Le bélier hydraulique
Avant d’évoquer le bélier hydraulique de Saint-Eman, cette bête curieuse de fonte qui est aujourd’hui au repos près du lavoir, et qui suscite toujours l’intérêt de nos visiteurs, nous allons en chercher l’origine et en apprendre un peu plus sur son inventeur dont tout le monde a entendu parler… mais pour une toute autre invention.
Les frères de Montgolfier
Nous allons en effet vous parler des frères de Montgolfier. Ils étaient issus tous les deux d’une famille de papetiers réputés de l’Ardèche comptant seize enfants. Joseph et Étienne de Montgolfier sont indissociables dans l’invention du ballon à air chaud. Joseph, douzième enfant de la fratrie, après d’assez médiocres études, mais curieux et inventif, se passionne pour la physique et rêve déjà de fabriquer une machine volante. Par contre, Étienne, doué en mathématiques, étudie l’architecture et pratique cet art jusqu’en 1772, avant de prendre la direction de l’affaire familiale qui compte près de trois cents ouvriers. Il rénove la technique française de la papeterie, introduisant notamment les procédés hollandais et la fabrication du papier « vélin », encore inconnu en France.
À partir de 1782, et après plusieurs tentatives réussies d’envol d’aérostat de soie emplie d’air chaud obtenu en brûlant un mélange de paille mouillée et de laine, les frères de Montgolfier présentent, le 19 septembre 1783, à Versailles, leur « montgolfière » devant le roi Louis XVI et sa cour. Le 21 novembre 1783, le roi consent à accorder son autorisation pour le premier vol humain au-dessus de Paris. Les vols vont ensuite se multiplier. Fortune et réputation faites, les deux frères abandonnent ensuite l’aéronautique. Étienne se consacre à l’entreprise familiale dont il devient propriétaire en 1787. Joseph, de son côté, insatiable, multiplie les expériences, et s’illustre encore par plusieurs inventions, dont la principale en 1792 voit le jour : le « bélier hydraulique », une machine qui, grâce à des soupapes, permet d’élever l’eau à plusieurs mètres. Ses recherches s’inscrivaient dans la quête d’optimiser le pompage de l’eau à destination du moulin de Viladon de la papeterie familiale, grande consommatrice d’eau et d’énergie pour les presses.
Joseph Montgolfier expérimenta son premier bélier hydraulique à Annonay, sa ville natale, en 1792 : « C’est une machine qui a pour effet d’élever l’eau d’une source à un niveau plus élevé que celui de la source, et cela en utilisant la force vive de cette eau. Autrement dit, il s’agit d’un dispositif qui utilise le choc de l’eau dans une conduite brusquement fermée, coup de bélier, pour forcer une partie de la masse de liquide à remonter à une altitude supérieure à la hauteur de la source… ».
Mais en cette fin du XVIIIème siècle, l’invention de Joseph de Montgolfier est source de polémiques dans les milieux scientifiques. Le fonctionnement de cette machine semble diabolique, comment peut-on élever de l’eau sans utiliser aucune énergie ?
Marc Seguin, le petit neveu de Montgolfier nous apporte le témoignage suivant :
« Joseph de Montgolfier porta la description de son bélier à la connaissance de l’Académie des Sciences. L’accueil n’eut rien de flatteur, Montgolfier excita la pitié des auditeurs. Parmi ceux-ci l’abbé Bossut, auteur d’un Traité d’hydrodynamique, qui fit observer qu’il était, lui, Montgolfier, en désaccord complet avec la science… que les résultats annoncés ne pouvaient être admis … L’inventeur laissa parler l’académicien et quand celui-ci eut fini, il lui fit observer que cette machine impossible fonctionnait déjà à son domicile, puis pria l’assemblée de bien vouloir nommer une commission, dont l’abbé Bossut ferait partie. Au jour et à l’heure indiquée, on laissa l’abbé Bossut examiner en détail la conduite par laquelle l’eau pouvait être portée à dix mètres de hauteur sur les toits de la maison. L’abbé s’assura qu’aucune cachette ne recelait quelque savoyard complice dont les bras vigoureux dussent produire les effets annoncés par Monsieur de Montgolfier. L’abbé Bossut s’étant précisément mis à l’endroit qu’allait inonder l’eau retombant du toit, il refusa, obstinément dubitatif, de changer de place malgré les avertissements de Joseph de Montgolfier. Il fallut bien passer outre et ignorer l’opiniâtreté de l’abbé qui fut inondé, sa tête chauve dégoulinante et les habits du malheureux académicien tout trempés… ». Diabolique, on vous disait !
Peu après sa découverte, aux premières heures de la République, les dirigeants de l’époque n’autorisent pas la commercialisation et l’installation des béliers hydrauliques. Les Anglais, quant à eux, en devinent le profit qu’ils pourraient en tirer. Ils se procurent les plans, et obtiennent sans mal une patente d’importation le 13 décembre 1797 pour exploiter immédiatement le procédé. Cela explique que certains considèrent que les Anglais en sont les inventeurs, ce qui fait s’insurger Joseph de Montgolfier : « Cette invention n’est point originaire d’Angleterre, elle appartient toute entière à la France ; je déclare que j’en suis le seul inventeur… ». Perfide Albion !
Nous vous proposons ci-après un extrait du Mémoire de Joseph de Montgolfier :
Il y a près d’un an que réfléchissant sur certains phénomènes de la Nature dont la cause ne nous paraissait pas avoir été expliquée d’une manière satisfaisante, tels que l’élévation des marées plus grande sur certaines côtes que sur d’autres ; l’élancement des eaux d’un jet d’eau au-dessus du niveau du bassin d’où elles partent, à l’instant où l’on donne l’eau au jet d’eau ; celui des vagues de la mer contre un rocher, lorsqu’elles en rencontrent la surface plus ou moins inclinée. Et nous reconnûmes que la vraie cause en était le mouvement acquis, et le coup de marteau produit par l’arrêt plus ou moins prompt de ce mouvement. Considérant ensuite l’effet que produirait l’arrêt subit d’une masse d’eau mue d’une vitesse connue, dans un canal en forme de tuyau capable de résister, nous comprîmes qu’il en résulterait un effort momentané de puissance proportionné à cette masse et à sa vitesse. C’est cet effet que nous désignerons dans ce mémoire sous le nom de Coup de Bélier, et nous nommerons la colonne d’eau renfermée dans le tuyau Bélier Hydraulique. Tel est le Principe de notre Machine la plus simple possible, puisqu’elle n’a ni pompes, ni rouages, et que son moteur est une puissance que nous fournit la Nature dans la pente des rivières et dans le mouvement des eaux. Un simple tuyau ou canal couvert composé de deux branches placées, l’une le long du fleuve, ou dans le fleuve même, l’autre s’élevant verticalement ou obliquement selon la nature du local, et deux soupapes ; voilà tout l’appareil. En effet, qu’on se représente un canal couvert ou tuyau plus ou moins long couché dans une rivière, parallèlement à son cours, ce canal étant ouvert par les deux bouts, l’eau de la rivière le remplira et coulera dans son intérieur avec la même vitesse, pour le moins qu’à l’extérieur.
Or si par un moyen quelconque, on ferme subitement l’extrémité inférieure du dit canal, la colonne d’eau qui le remplit ayant un mouvement acquis frappera contre l’obstacle avec une force produite de sa masse par sa vitesse. Cette force toute entière à cette extrémité inférieure, si l’obstacle qui la ferme résiste, réagira contre les parois du canal et tendra à la briser par son effet dilaniateur (*). Si c’est avec la main qu’on ferme le canal, on sentira le coup de bélier dont nous venons de parler. Voici le calcul simple de l’effet d’un bélier hydraulique supposé de 100 pieds de long placé dans un fleuve dont la vitesse serait de 7 pieds 1/2 par seconde et dont on voudrait élever une partie des eaux à 20 pieds de hauteur, laissant la quantité indéterminée puisqu’elle dépend du diamètre du Bélier ; nous ne la compterons qu’en portions de la longueur du dit bélier. (Brevet INPI Compiègne).
(*) qui produit un déclenchement violent (Larousse 1897)
Après avoir fait connaissance avec l’inventeur de ce procédé et survolé quelques principes techniques de fonctionnement du bélier hydraulique, nous vous invitons maintenant à vous pencher sur celui de Saint-Eman qui vit le jour dans notre contrée en 1876.
Le Comte de Goussencourt et le bélier hydraulique de Saint-Éman
Le Comte Louis Antoine « Edgar » de Goussencourt (voir aussi "Les seigneurs de Saint-Éman") fit construire le nouveau château de Saint-Eman, commencé en 1868, au crépuscule du Second Empire. Il fut habité en 1874, à l’aube de la IIIème République. Le Comte de Goussencourt voulant améliorer le confort de sa nouvelle demeure en garantissant l’eau courante à tous les étages commande un bélier hydraulique au début de l’année 1876. L’appareil ainsi que tous ses accessoires lui sont expédiés de la gare du Mans et livrés en deux envois. Le premier le 24 février 1876 comprenant 7 000 kg de tuyaux de fonte, le second à la date du 8 mars 1876 pour les tuyaux restants et le bélier équipé pour un poids total de 4 500 kg. Celui-ci sera mis en service dès le 6 avril 1876. Le bélier hydraulique dit « Bollée » du nom de son fabricant, d’un poids de 191 kg propulsait l’eau de la source captée jusqu’à la citerne située dans le grenier du château. Il y avait, entre le bélier situé du côté de l’église et le réservoir dans le grenier du château, une dénivellation de 21 mètres et une distance de 1080 mètres. Le débit était de huit litres environ à la minute. Le bélier hydraulique fut régulièrement entretenu et réparé jusque dans les années 1914. La réparation des clapets représente le principal de la maintenance. La cloche et le balancier n’ont fait l’objet d’interventions qu’à cinq reprises à partir de 1902. Avec le départ du châtelain vers 1920, la demeure étant délaissée, le bélier s’est arrêté et a sombré dans l’oubli, au fond de son trou, dans une niche.
Le Comte de Goussencourt, en 1876, n’avait pas fait preuve du même scepticisme que les républicains en 1792, quant à l’intérêt évident de cette invention qui bénéficiait d’une belle publicité dans les gazettes. Il avait dû s’intéresser aux travaux d’amélioration technique de la famille Bollée sur le mécanisme inventé par Joseph de Montgolfier.
Ernest Sylvain Bollée
Ernest Sylvain Bollée (voir aussi Wikipedia) avait en effet déposé un nouveau brevet en 1857 pour sécuriser et optimiser le fonctionnement de l’appareil. Il avait eu l’idée d’adjoindre une pompe à air qui introduisait régulièrement de l’air dans la cloche. En effet, une quantité d’air insuffisante diminuait l’efficacité du bélier et risquait de provoquer l’explosion de la cloche. Un tube vertical ouvert en son extrémité haute, placé perpendiculairement dans l’arrivée d’eau, permettait d’amener de l’air avec la possibilité d’en régler le volume. De même, afin de faciliter l’ouverture et la fermeture du clapet, Ernest Sylvain Bollée complétait le système avec un balancier, que l’on pouvait régler en modifiant la masse du contrepoids. On pouvait de la sorte régler la fréquence des coups de bélier.
Nous vous invitons à en apprendre un peu plus sur cet artisan-inventeur avant qu’il ne devienne plus tard, avec ses descendants, un industriel de renom. Ernest Sylvain Bollée est né à Clefmont en Haute-Marne et meurt au Mans le 10 septembre 1891 renversé par un tramway à cheval. Il est maître saintier, fondeur de cloches itinérant, il est aussi connu comme étant l’inventeur de l’éolienne Bollée. Décidant de se sédentariser, ce sarthois d’adoption, s’installe d’abord à La Flèche en 1839 avec le projet de s’implanter ensuite à Angers, mais les inondations du Loir l’obligent à déménager à Sainte-Croix, à environ trois kilomètres du centre du Mans. Il construit son premier four rue Sainte-Hélène au Mans en novembre 1842. Pour répondre aux nouvelles exigences d’approvisionnement en eau de l’industrie et de l’agriculture, et aux nouvelles normes sanitaires plus strictes, Ernest Sylvain Bollée élargit sa production traditionnelle de cloches, aux robinets, clapets, canalisations et béliers hydrauliques.
Son fils aîné, Amédée Ernest, se spécialisera dans la construction des premiers véhicules à moteur, le deuxième fils Ernest-Jules continuera la fabrication des béliers, et le cadet, Auguste, reprendra la fabrication des éoliennes. Vers 1894, il y aura 850 béliers hydrauliques installés et recensés dans les différentes régions de France, dont celui de Saint-Éman. Le bélier hydraulique, à cette époque, obtiendra de nombreux prix, dont une médaille d’or à l’Exposition de 1889 à Paris.
Renaissance du bélier
À Saint-Éman, le bélier hydraulique a été redécouvert en bordure d’un champ, et a revu le jour grâce au Club de l’Amitié, association locale créée le 4 février 1986 sous l’impulsion de Gérard Courteil, maire du village à cette époque. C’est en mars 1987 que le mécanisme a été déterré, exhumé, par les membres de l’association avec l’autorisation de M. Gourdain Lucien, agriculteur, exploitant la parcelle. « Nous avons été surpris de le retrouver en si bon état. Il y avait même des pièces de rechange en bronze que le père d’Henri Choquet, qui était chargé de son entretien, entreposait là » précisait le maire. La restauration du bélier hydraulique a été confiée à Raymond Millet, mécanicien agricole à Illiers-Combray. L’Écho Républicain, dans son édition du 10 février 1988, a consacré un article sur la restauration du mécanisme et la remise en service du bélier. Dans les semaines qui suivront, à une centaine de mètres de son emplacement initial, le bélier hydraulique prendra place dans un puits à la margelle de briques à proximité de la source du Loir. Ces travaux s’inscrivent dans l’aménagement du site agrémentant ainsi l’aire de repos du sentier de grande randonnée, le GR35, qui traverse le village. Ce projet communal a été, en partie, financé par le Pays d’accueil de la Haute Vallée du Loir.
Le bélier hydraulique une fois restauré et désormais alimenté par la source du Loir, avait vocation à alimenter une petite fontaine placée devant la mairie à des fins touristiques illustrant ainsi le fonctionnement de ce mécanisme datant du siècle dernier. Chaque année, le bélier était mis en service du printemps à l’automne jusqu’au début des années 2000. Les coups de bélier réguliers et constants rythmaient le cœur de notre village auprès de ceux qui venaient en prendre le pouls à l’occasion d’une promenade bucolique.
Aujourd’hui, le bélier s’est assagi et se fait bien silencieux en toutes saisons. Il y a plusieurs raisons à cela. Les sécheresses répétées de ces dernières années font baisser les nappes phréatiques et diminuer le débit des sources, celle du Loir n’y fait pas exception. La baisse de pression dans le mécanisme ne permet plus d’optimiser le jeu des clapets pour la circulation heurtée de l’eau dans les canalisations. Il est à déplorer également des défauts d’étanchéité sur les différents joints. On éprouve aujourd’hui quelques difficultés à trouver des pièces de rechange et des réparateurs, un savoir-faire artisanal qui devient rare.
Avec malice, lors de nos visites guidées, nous évoquons le bélier de Saint-Éman, chacun s’attend à voir un spécimen d’ovin mâle belliqueux d’une race endémique dans la prairie toute proche non loin des moutons à tête noire qui viennent s’abreuver dans le Loir naissant… il n’en est rien ! Dans le passé, quelques enfants au regard craintif questionnaient leurs parents sur l’origine de ce bruit semblant venir des entrailles de la terre… amplifié dans l’imaginaire d’esprit juvénile.
En mars 1987, une petite poignée de bénévoles profitaient de leur temps de repos, l’espace du week-end, pour aider le maire, Gérard Courteil, à extraire le bélier hydraulique pesant 191 kg de son repaire où il se terrait depuis le printemps 1876…
Le bélier Bollée, « l’anatomie » de sa mécanique
Pour les visiteurs avides de renseignements techniques, nous vous livrons, ci-après, les données sur le mécanisme de fonctionnement du bélier hydraulique. Nous devons ces explications, avec croquis, à M. Marcillat Christophe demeurant à La Riche (Indre-et-Loire) qui se passionne, entre autres, pour les béliers hydrauliques et en a entrepris un inventaire à travers les différents départements qu’il sillonne. Son approche pédagogique facilite notre compréhension sur le fonctionnement du bélier de Saint-Eman en particulier. Certes, les dessins techniques sont nombreux sur les sites Internet, mais les mécanismes parfois diffèrent et leur déchiffrage se complique pour les néophytes que nous sommes. M. Marcillat s’est intéressé à celui de notre village suite à l’article paru dans l’Écho Républicain en février 1988.
Caractéristiques techniques du bélier hydraulique de Saint-Éman :
Bélier en fonte avec balancier, poids 191 kg.
Marque : Bollée Type : 0.1189
Hauteur de la cloche : 57cm Diamètre : 28cm
Hauteur de chute motrice : 1.90m
Longueur des tuyaux d’ascension : 1080 ml, 545 tuyaux fonte de 2 ml/u avec un diamètre intérieur de 40mm.
Tuyaux de Batterie : 33ml, 11 tuyaux de 3 ml/u avec un diamètre intérieur de 90mm.
Ascension, hauteur de refoulement : 21 ml.
Rapport H/h 11.05 (H : hauteur de refoulement/h : hauteur de chute)
Dépense d’eau du bélier : 172 l/minute
Ascension d’eau : 8 l/minute soit 12m3/J
Description :
-
Un conduit cylindrique rigide C-C1 réunit le bief d’amont (la source du Loir) à une cloche dont la base se trouve au niveau du bief d’aval. Une soupape S’ permet à l’eau de passer du conduit C1 dans la cloche. De la base de la cloche part le conduit de refoulement qui rejoint la petite fontaine située sur la place de la Mairie.
-
Sur le corps cylindrique du bélier C-C1 est interposée une boîte B dans laquelle peut se mouvoir verticalement une soupape de grande dimension S. Le mouvement de cette soupape est limité par un talon t et la surface supérieure de B.
-
Une couronne d’orifices a disposés dans la partie supérieure de la boîte B permet à l’eau de passer du bief amont dans le bief aval.
Fonctionnement :
-
Au début du cycle, la soupape S vient de retomber et se trouve donc en position basse. L’eau se précipite alors vers le bief aval à travers la couronne d’orifices a et prend de la vitesse.
-
Quand cette vitesse est suffisante, l’eau soulève la soupape S qui s’applique sur son siège et ferme, dans cette position, la couronne d’orifices.
C’est le « coup de bélier ».
-
La surpression qui en résulte ouvre la soupape S’ de la cloche et fait entrer une certaine quantité d’eau dans cette dernière.
-
Très rapidement, la soupape S’ se referme, tandis que la vitesse de l’eau dans le corps du bélier est devenue pratiquement nulle.
-
La soupape S qui n’est plus soutenue en l’absence de courant d’eau, retombe sous l’action de son poids. Le rôle du système de biellette articulée à son axe et à un levier D qui porte à son autre extrémité un contrepoids, est double : d’une part, compenser le poids de la soupape que le courant d’eau soulèvera plus facilement, d’autre part, amortir sa chute après le « coup de bélier ».
-
Le cycle est terminé, sa durée est d’un peu plus de 2 secondes.
Dans une de ses correspondances, M. Christophe Marcillat nous précise que les béliers installés en Eure-et-Loir sont tous des béliers de marque Bollée à cause de la proximité de production, au Mans, même si le fabricant en a fourni dans presque tous les départements français grâce à l’acheminement facilité par le chemin de fer.
117 béliers de marque Bollée ont été répertoriés dans la Sarthe,
113 dans l’Orne,
42 dans le Loir-et-Cher,
31 dans notre département d’Eure-et-Loir.
Le bélier de Saint-Eman se révèle être l’un des plus anciens du département. Dans les proches environs, d’autres modèles Bollée ont été installés notamment à Frazé en 1877, à Saint-Avit-les-Guespières en 1880, à Montireau en 1886, à Montigny-le-Chartif en 1904 et à Illiers-Combray en 1920. La plupart des béliers hydrauliques sont situés sur des propriétés privées non accessibles au public sauf lors des Journées du Patrimoine pour quelques-unes d’entre elles.
Ces béliers de marque Bollée ont plus particulièrement marqué la période 1870-1910, celle des propriétaires de châteaux, de grandes demeures, contrairement à ceux plus nombreux et plus récents de marque Pilter, Douglas… entre 1918 et 1950, essentiellement destinés aux fermes des départements du Sud-Ouest, Dordogne et Bretagne.
Nous vous communiquons ci-après un extrait du manuel d’entretien avec son croquis en coupe datant de la fin du XIXème siècle et fourni par le fabricant Bollée du Mans lors de la livraison du bélier à ses clients. Ce manuel correspondant au modèle dit « ordinaire » celui livré au Comte de Goussencourt à Saint-Eman en 1876 :
Principe de fonctionnement :
Un bélier est une machine à action et à réaction. L’action c’est le coup de bélier dont la puissance vient de la hauteur de la chute motrice en mettant en mouvement avec une certaine vitesse le poids de l’eau qui est dans sa batterie, et qui, à l’instant où le clapet se ferme ne trouvant pas d’issue pour fuir au dehors, se précipite en soulevant la soupape dans l’intérieur de la cloche. Quand par suite de la résistance de l’air qui est dans la cloche, égal à la hauteur d’ascension, la puissance d’action se trouve épuisée, l’entrée de l’eau dans la cloche s’arrête et la réaction commence. Aussitôt l’air comprimé de la cloche tente de refouler l’eau dans la batterie par où elle était venue. Mais la soupape se ferme vivement, l’eau ne peut ressortir. L’air comprimé en fermant la soupape imprime à l’eau dans la batterie un faible mouvement de recul : c’est la réaction.
En navigant sur Internet, on apprend qu’il existe aujourd’hui la possibilité de découvrir sa région, le Perche et Faux-Perche en l’occurrence, à travers l’application Géocaching, le jeu de piste du XXIème siècle, qui permet, guidé par son GPS, de foncer tête baissée, sans réfléchir, dans une chasse aux trésors où figure… non pas votre horoscope mais le bélier hydraulique de Saint-Eman. Il faut vivre avec son temps ! Mais il faut avouer que les nouvelles technologies ont parfois la vertu de sortir de l’oubli des bribes de notre patrimoine, de notre histoire, en cela le progrès est méritoire.
Pour les plus anciens des émanois résonnent encore à leurs oreilles l’écho de ces coups de bélier, de ces battements amplifiés par la présence des sources du Loir surtout aux aurores. Les sons ricochaient sur l’eau du lavoir tout proche contre le rideau des peupleraies voisines aux feuillages argentés pour finir aujourd’hui épinglés dans un coin de notre mémoire.
.
Des poètes traduisent cette nostalgie à travers ces quelques lignes :
Et mon cœur tout à coup se serre, car j’entends,
Comme un bélier sinistre aux murailles du temps,
Toujours le grand bruit sourd de ces flots noirs dans l’ombre.
« Le chariot d’or » en 1900 de Albert Samain.
L’observateur écoute toujours avec anxiété le retentissement des sombres coups de bélier du destin contre une conscience.
« L’Homme qui rit » en 1869 de Victor Hugo