L'église de Saint-Éman
Guidons vos pas pour une visite de la modeste mais charmante église de Saint-Éman qui semble figée dans le XIXe siècle au milieu de son cadre champêtre et bucolique… Une église « rustique et dorée comme une meule » comme la caractérisait Marcel Proust. Un édifice qui réserve à ses visiteurs quelques curiosités insoupçonnées et nous invite à y revenir…
83 ans séparent ces deux vues : l'église de Saint-Éman, désormais classée aux Monuments Historiques, à gauche sous la neige en janvier 2023 (© C.Guyon), et à droite le croquis réalisé en 1940.
C’est vers la fin du XIe siècle que ce sanctuaire fut érigé sous l’égide d’Ansold de Mongerville, seigneur des terres, pour commémorer le martyre de saint Eman assassiné en ces lieux au VIe siècle dans un écrin de verdure au pied des sources du Loir.
De l’extérieur, on constate que les générations, au fil des siècles, ont construit, remanié, transformé l’église en cédant aux règles architecturales de leur époque. Aux fondations du Roman primitif succèdent des ouvrages du Gothique, de la Renaissance jusqu’au style Baroque. Les contreforts sont massifs et imposants avec leur matériau endémique de grison brun rouille, agrégat de silex et de sable ferrugineux.
Les rampants à crochets du pignon en tuffeau, donne un petit air d’élégance à l’ouvrage. Le fin clocher d’ardoises où trône le coq offre un semblant d’élévation à l’ensemble. Le bras de la chapelle, au sud, traduit une impression de transept inachevé, en l’absence d’une aile, côté nord, pour parfaire la symétrie et donner ainsi à l’édifice la forme symbolique de la croix latine.
Eglise de Saint-Éman vue du ciel (® Conseil départemental d'Eure-t-Loir - 05/2022)
Eglise de Saint-Éman vue du ciel (® Conseil départemental d'Eure-t-Loir - 05/2022)
L’église de Saint-Éman et son architecture ont connu deux périodes importantes bien distinctes :
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La fin du XIe siècle pour la construction originelle du sanctuaire de style roman à simple nef avec ses contreforts massifs et ses petites ouvertures en plein cintre. Des vestiges sont visibles, côté nord, à l’entrée de la nef.
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À partir de la fin du XVe et au début du XVIe siècle, dans un style gothique, des travaux d’envergure avaient été entrepris pour réparer les outrages de la guerre de Cent ans et agrandir l’église qui accueillait une communauté de paroissiens de plus en plus étoffée, notamment lors du traditionnel pèlerinage au mois de mai.
À Saint-Éman, comme dans le voisinage, à Marchéville, Magny et Ollé, les sanctuaires avaient été pillés lors des incursions des armées anglaises épaulées par les troupes bourguignonnes, basées au château de Rabestan à Saint-Avit-les-Guespières. Les populations terrifiées se réfugiaient souvent dans les églises cachant leurs récoltes et leurs biens les plus précieux. L’ennemi profanait ces asiles qui devaient pourtant être inviolables puisque placés sous la protection divine. Après leurs forfaits, les envahisseurs, bien souvent, incendiaient les lieux. La pauvreté des populations, rançonnées ou empêchées de cultiver leurs champs rendirent les reconstructions difficiles et longues. La paix fut véritablement revenue à partir de 1475, sous le règne de Louis XI, les travaux de restauration pouvaient reprendre. Mais les chantiers d’envergure allaient être interrompus à partir de 1550 avec les guerres de religion qui se profilaient détournant les finances vers de nouvelles dépenses militaires.
À l’extérieur, entre l’aile sud et le chœur de l’église, dans le cimetière, on peut voir un chaos de sépultures bancales et de croix de fer forgé, de guingois, descellées, tombées dans l’oubli. Les pierres tombales érodées et noircies aux gravures émoussées sont les derniers témoignages des lignées des seigneurs et châtelains de Saint-Eman qui se sont succédées, unies par des alliances, au fil du temps :
les familles du Mouchet de la Mouchetière, de Malard, de Goussencourt. Ce sont plus de trois siècles de l’histoire du village, avec ses maux, ses misères, et ses mille tourments entrecoupés aussi de jolis moments qui sont enterrés là, sous nos yeux.
En poursuivant le tour de l’église, et après l’ancienne verrière aujourd’hui comblée de briques, nous passons devant les traces d’un contrefort démoli, en prévision certainement du bras nord formant transept envisagé au milieu du XVIe siècle. Les guerres de religion entre les catholiques et les protestants mettront un terme définitif à ces travaux. Un peu plus loin, on peut voir une petite porte murée. Il s’agit de l’ancienne porte des Morts. Les portes des Morts étaient souvent aménagées dans le mur nord, car le nord symbolise le royaume de l’ombre, le côté obscur, celui des ténèbres. Les fossoyeurs n’entraient pas dans l’église. Ils prenaient le corps du défunt au seuil de la porte pour la mise en terre dans le cimetière. Certains visiteurs s’étonnent de l’étroitesse de l’ouverture. Il faut considérer qu’à l’époque, les corps n’étaient pas placés dans des cercueils. Les défunts qui empruntaient la porte des morts étaient voués à la fosse commune, il s’agissait de la population la plus pauvre, et parfois des indigents retrouvés morts. Les archives paroissiales de Saint-Éman nous indiquent que « le 31 décembre 1709, est inhumé un mendiant trouvé mort dans un fossé sur la glace ». Les corps étaient simplement entourés d’un linceul. Quant aux membres du clergé et de l’aristocratie, ils demandaient à être enterrés sous le dallage de l’église, tombes dite de dignité, pour être plus près du Seigneur. Quelques généreux bienfaiteurs de la paroisse bénéficiaient également de ce privilège. Une déclaration de 1776 mit fin aux tombes concédées dans les églises. La pratique funéraire de la porte des Morts a connu également son apogée au XVIIIe siècle, les portes furent bouchées.
La nef
Entrons sous le porche...
Revenons vers le porche couvert et bardé qui suscite la curiosité des visiteurs, et qui répond aussi au nom évocateur de « caquetoire ». Il est à l’image de l’ancien narthex qui faisait la transition entre l’extérieur et l’intérieur, entre le profane et le sacré, abritant ceux qui n’étaient pas baptisés. Après l’office, les paroissiennes s’y réunissaient pour « caqueter », mais elles n’étaient pas là, faut-il le rappeler, pour dire du mal de leurs voisins ! Les hommes, quant à eux, se retrouvaient à l’estaminet qui se trouvait à proximité, de l’autre côté de la fontaine.
Le porche fut classé à l’inventaire des Monuments Historiques le 27 janvier 1928 de par la qualité de sa charpente : poinçon et entrait sculptés. Les porches étaient de construction courante dans le Perche, l’Orléanais et le Berry. Les fidèles s’y retrouvaient, on y enterrait des notables. Des marchands itinérants, colporteurs, étameurs, y installaient leurs étals et les mères miséreuses y abandonnaient parfois leur bébé.
Le tambour-afficheur y collait ses avis à la population. En pénétrant sous le porche, on remarque d’entrée une jolie poutre de chêne ouvragée avec, aux extrémités, la gueule des « rageurs », avaleurs de poutres, aussi appelés engoulants. Les têtes de dragons font penser aux figures de proue des drakkars vikings destinées à effrayer les populations assaillies. Au centre, on voit, d’un côté un ornement botanique de style naïf entouré de feuilles d’amarante, symbole d’immortalité, et de l’autre, des grappes de raisin et feuilles de vigne rappelant la présence de quelques vignobles dans la région ou tout simplement, en ces lieux, l’image biblique du vin, le sang du Christ. Le poinçon, à la verticale, représente le fût d’un arbre ébranché. Certains y voient la prophétie de l’Ancien Testament : « un petit rameau sortira de Jessé et donnera une fleur splendide ». Les pièces de charpente datant du XVIe proviendraient de l’ancienne église Saint Hilaire d’Illiers, abandonnée et détruite au moment de la Révolution. Le pignon en bardage bois et sa maçonnerie en brique est d’époque plus récente. Malheureusement, comme vous pouvez le constater, sa pose a provoqué de vilaines entailles sur les pilastres du portail Renaissance au milieu duquel on aperçoit un blason où figuraient les armes des Comtes De Malard aujourd’hui effacées.
Une pierre tombale gravée est insérée dans le dallage du porche. Il s’agit de la sépulture d’un comte de Malard, celle de Louis Alphonse, mort en 1830, à l’âge de 28 ans. Il était le frère aîné de Marie Louise Angèle « Azelle » qui allait se marier le 11 novembre 1838 avec Charles Gustave de Goussencourt.
Sur le tuffeau tendre du portail, des deux côtés, on trouve la trace de nombreux graffitis, ancêtres de nos tags, datés du début XIXe jusqu’à nos jours : symboles de la croix, de la roue et l’esquisse d’un clocher de style gothique. De nos jours, à l’occasion des cérémonies de mariage, certains invités perpétuent la tradition, en gravant les prénoms des mariés et la date de l’union.
Poussons la porte, et d’emblée, s’impose à nos yeux le jambage massif des poutres en chêne soutenant la charpente du clocher entièrement chevillée prenant appui sur le sol dallé de la nef. Une grande échelle posée sur un entrait transversal permet, aux seules personnes autorisées, d’accéder au clocher avec une vue sur l’ensemble de la voûte lambrissée de l’édifice. Sur les poutres, vous pouvez voir des traces noires de brûlure des flambeaux que l’on y accrochait jadis. Avec le solstice d’été, les lumières du couchant filtrées par le vitrail de la rosace viennent colorer les poutres de la charpente et les murs blanchis. Vous remarquerez qu’un pilier chêne a un diamètre plus important que les autres. Ce nouveau poteau de soutien, poncé et raboté, a été posé à l’occasion des travaux de restauration entrepris en 1954. C’est celui qui porte le tronc pour la collecte des dons. Les visiteurs étant particulièrement généreux, il a fallu envisager en cet endroit un pilier particulièrement solide !
Avant de nous avancer plus avant, arrêtons-nous devant le bénitier de pierre daté de 1637. Il y est gravé l’inscription : « Faic Fair par Marin Gorny ». Les fonts baptismaux, en pierre avec couvercle de cuve en bois, sont de la même époque. La colonne d’évacuation est en pierre de calcaire tendre. Le confessionnal, du XIXe, particulièrement dégradé, ne reçoit guère de visites et de confidences de nos jours, faute de curé, … et plus de vilain péché à avouer ! L’intérêt pour ce vétuste isoloir a été relancé par la lecture d’une nouvelle écrite par Cyrille Gove, publiée aux Éditions du Colombier, en 2019. L’auteur fait de ce confessionnal, la dernière demeure imaginée d’un abbé basque officiant à Saint-Éman, se faisant appeler Yrribarando, inhumé dans la plus pure tradition de sa contrée natale : « Au pays basque, jusqu’à une époque récente, les prêtres qui venaient de mourir étaient placés assis dans leur confessionnal, exposés à la vénération des fidèles... » … pour une ultime bénédiction.
Dirigeons nos pas vers la nef...
La nef est pavée de tomettes en terre cuite carrées certainement issues de la fabrication de l’unique briqueterie du village, en direction des Pâtis, aujourd’hui détruite. En revanche, dans la chapelle et le chœur, le sol est couvert d’un carrelage en pierre formant un damier noir et blanc.
La marche séparant la nef de la chapelle est en parement brique tandis que celle menant au chœur est en pierre de taille, plus noble.
Le dallage sombre contraste avec la blancheur du chaulage des murs devenus aujourd’hui écailleux rongés à leur pied de plaques de vertes moisissures et cloquées par le salpêtre envahissant. Sous l’autel, nous avons retrouvé un stock d’anciens pavés, de taille différente, et parfois de forme hexagonale, de fabrication artisanale et locale.
Sur votre droite, un chasublier, à quatre portes avec moulures, en chêne ciré, de la fin du XVIIIe siècle. Ce meuble, à l’origine, ne se trouvait pas dans l’église de Saint-Éman, car trop imposant de par ses dimensions inhabituelles. Les petites églises rurales disposaient généralement d’un chasublier à deux portes. Ce magnifique meuble contient toujours quelques chasubles soigneusement conservées. La couleur des chasubles est fonction des temps liturgiques, le blanc ou couleur dorée (Pâques, Noël, et fêtes de la Sainte-Vierge), le violet (Avent, Carême), le rouge (Rameaux, Pentecôte et le jour des fêtes célébrant les martyrs), le vert (offices dits ordinaires), le rose (3ème dimanche de l’Avent, et 4ème dimanche du Carême) et le noir (la couleur du deuil).
Un tiroir renferme également quelques bannières avec le blason de Sainte Jeanne d’Arc qui devaient initialement être remisées dans la chapelle de la Confrérie située dans l’aile Sud de l’église.
Ce chasublier renferme dans un de ses tiroirs à couvercle une croix de procession en laiton repoussé et ciselé sur ses deux faces et sur une âme de bois du XVIe à laquelle il manque malheureusement une branche. Il s’agit d’un élément rare d’orfèvrerie ancienne conservé dans le département d’après les informations recueillies auprès de Fabienne Audebrand, conservateur des antiquités et objets d’art d’Eure-et-Loir.
Posé sur le chasublier, un globe de mariée, cadeau de mariage assez répandu du début du XIXe jusqu’à la Première Guerre mondiale. On y mettait la couronne de la mariée agrémentée de fleurs d’oranger en cire, de décors en métal doré et de petits miroirs sur un coussin de soie. Au fil des années, la mariée y ajoutait quelques souvenirs à la naissance de ses enfants, avec des petits mots, des rubans. Le globe de la mariée serait un détournement de la cloche en verre protégeant l’horloge des garnitures de cheminée dans les belles demeures aristocrates qui avaient cours sous Napoléon III. Celui conservé en l’église de Saint-Éman est accompagné d’un petit mot du donateur (non identifié) : « Prière de laisser ce dépôt au lieu Saint ».
Aujourd’hui, dans cette église, les mariées se font de plus en plus rares. Certaines jeunes femmes, en visite des lieux pour les préparatifs de la cérémonie, sont « refroidies » par la présence des sépultures devant l’entrée de l’église, au pied du « caquetoire ». Superstitieuses, elles ne s’imaginent pas un seul instant être photographiées, vêtues de leur robe de mariée, devant des pierres tombales, c’est définitivement rédhibitoire. Et, bien souvent, les jeunes couples, pour conjurer le mauvais sort, partent en quête d’une nouvelle église, c’est bien mal connaître la bienveillance de notre saint patron !
Le long des murs court un Chemin de croix dépouillé, d’une grande simplicité, témoignant de la pauvreté de la paroisse. Quelques cadres sont toutefois surmontés d’une croix ciselée. Les tableaux déroulent les quatorze stations du Chemin de croix, de la condamnation à mort de Jésus à la mise au tombeau de son corps. Des bougies posées sur les petits supports fixés au mur assuraient un faible éclairage à l’heure des vêpres.
Des croix aux extrémités trilobées, entourées d’un cercle rouge, indiquent que l’église a été consacrée par un évêque. Notre petite église a connu le rituel que l’on vous rappelle ci-après. La cérémonie de la consécration proprement dite commençait par l’onction de la table de l’eucharistie avec du saint chrême (mélange d’huile d’olive avec du baume) par l’évêque entouré des prêtres des paroisses voisines. On appliquait ensuite une huile sainte sur les croix gravées sur les murs. Puis l’évêque allumait le cierge pascal et invitait les prêtres à allumer les petites chandelles placées sous les croix. Les croix de la consécration sont toujours au nombre de douze pour rappeler les douze apôtres. À Saint-Éman, on en dénombre seulement onze, celle qui manque pourrait être celle de Judas, l’apôtre banni ! Ou peut-être est-ce seulement le seul fait des travaux entrepris et non achevés dans le passé ... On peut légitimement penser que l’église a été consacrée par un évêque familier et originaire de l’église Saint-Jacques d’Illiers, venu en voisin, d’autant plus que les travaux de l’église actuelle de Saint-Éman remontent à la fin du XVe et début du XVIe. La noble Famille d’Illiers a donné deux évêques à la cathédrale de Chartres : Miles d’Illiers, frère de Florent d’Illiers, de 1459 à 1492. Il fut remplacé, peu avant sa mort, et jusqu’en 1507 par son neveu, René d’Illiers, le propre fils de Florent d’Illiers susnommé et de Jeanne de Coutes, sœur de l’écuyer attaché au service de Jeanne d’Arc. (Ceci peut expliquer la présence de bannières portant le blason de Sainte Jeanne d’Arc au sein de l’église de Saint-Éman !). La consécration de l’église fait que, symboliquement, l’édifice de pierres construit par les hommes devient la domus Dei (demeure de Dieu) et la porta Caeli (porte du Ciel) avec une médiation entre les hommes et Dieu assurée par la présence des reliques d’un saint patron, saint Éman en l’occurrence.
Arrêtons-nous devant l'autel
Sur le côté gauche de la nef, plaqué contre le mur, un autel fait face à celui de la chapelle sud. On y voit sur le tablier, la croix de Malte commune d’ailleurs aux trois autels de l’église.
La statue de la Vierge à l’enfant en plâtre polychrome porte la signature de l’atelier statuaire DANIEL ED = 76 RUE BONAPARTE PARIS. Sa particularité est de représenter la Vierge, l’Immaculée Conception, écrasant de son pied le Serpent de la Tentation, symbole du péché originel. De cette représentation, Pie V pape de 1566 à 1572, dans une bulle du rosaire, déclarait que « la Vierge a écrasé la tête du serpent à l’aide de celui qu’elle a enfanté ». Dans l’église de Saint-Éman, pour renforcer l’image de la présence du Fils dans cet épisode biblique, le visage du Christ est incrusté en médaillon au-dessus de la statue.
Des ateliers statuaires de la rue Bonaparte d’art populaire dit « Saint-Sulpice » est également sortie la statue de Joseph avec l’Enfant Jésus située dans le chœur avec la mention RAFFL DELIN FRERES SUCrs 64 RUE BONAPARTE (PARIS). Dans la chapelle sud, la statue du Christ est de même facture. Les dommages partiels subis par la statue, au niveau du bras droit, révèlent le mode de fabrication utilisé dans les années 1880, mêlant plâtre et filasse pour le remplissage.
Puis, tournons-nous vers la droite...
Avant d’avancer dans l’aile sud, à droite, on peut remarquer un des rares éléments de style Renaissance figurant à l’intérieur de l’église : les chapiteaux mutilés avec, notamment, le symbole caractéristique de la salamandre, emblème de François 1er, et des chérubins joufflus. Les colonnes seraient inspirées de l’ordre ionique avec ses chapiteaux à volutes.
(NDLR : L’ordre ionique est apparu au VIe siècle avant J.C. en Ionie, une région de la Grèce antique située dans l’actuelle Turquie, en Asie mineure, pays d’origine de saint Éman).
On remarque également sur la partie supérieure, le départ d’arcs amputés. Bien souvent, le visiteur s’étonne de cette impression d’ouvrage inachevé laissant penser à une démonstration de quelques sculpteurs de l’époque ayant voulu faire montre de savoir-faire dans le nouveau style Renaissance pour convaincre des maîtres d’ouvrage de la région encore hésitants… une impression de « showroom » au temps du XVIe siècle !
À cet endroit, masqué en partie par la chaire, devait se trouver la douzième croix de consécration de notre église que l’on recherche en vain… La chaire surmontée de son abat-voix offre, de chaque côté, d’imposants motifs floraux avec feuilles d’amarante, encadrant le prédicateur appelé à faire son sermon aux fidèles.
L’autel latéral baroque du XVIIe siècle, assez rustique, abrite trois antiques statues : au centre, une Vierge à l’enfant polychrome, en calcaire du XVIIe siècle, endolorie par les outrages du temps, en attente d’une restauration, à sa droite, saint Eutrope mitré, de la même époque, en pierre badigeonnée, un tronc est destiné aux offrandes faites à ce saint, également vénéré dans la petite église de Saint-Éman, à gauche, une statue de sainte Barbe, en pierre blanchie, également du XVIIe siècle. Il était de coutume de la représenter dans les églises pour protéger ces dernières des fléaux de l’incendie et de la foudre. En effet, la foudre est le châtiment infligé au père de sainte Barbe qui avait cru bon d’enfermer sa fille dans le cachot d’une tour afin de la punir de sa foi chrétienne condamnable à l’époque. Comme elle était une sainte studieuse, elle est aussi, aujourd’hui, la patronne des étudiants. C’est la raison pour laquelle, à Saint-Éman, elle est représentée, studieuse, avec un livre ouvert. Dans le « Petit guide impressionniste, fantaisiste et sentimental de l’église de Saint-Éman », rédigé par Claude Thisse, on apprend que celui qui avait dénoncé la foi chrétienne de sainte Barbe auprès de son mécréant de père était un berger. Le Ciel, pour le punir de cette vilenie, transforma ses moutons en sauterelles. C’est pour cette raison, que sainte Barbe était invoquée par les agriculteurs chaque fois que le criquet menaçait les récoltes. En se référant aux travaux de Louis Réau, il mentionne également « l’extraordinaire clientèle de sainte Barbe » en évoquant la vénération des brossiers d’antan pour les poils de barbe des chèvres… c’est ainsi qu’avec un brin d’ironie on peut constater que chacun allait, à sa convenance et sans retenue, puiser dans la martyrologie des saints pour s’attirer les grâces divines.
Sur la table d’autel est enchâssée une pierre naturelle consacrée, dite « pierre d’autel » avec ses motifs de croix sur laquelle officie le prêtre.
Au fond de l’aile Sud du transept d’église escamoté, la verrière est en grande partie murée mais la partie haute de style Gothique avec son arc brisé et remplage lobé est encore visible. Les vestiges du vitrail révèlent dans une teinte rouge les initiales de Saint-Éman « St-E ». Sur la droite, une ancienne porte basse, murée, bien visible de l’extérieur, donnait un accès direct à la sacristie. Dans le passé, les petites églises rurales n’étaient pas pourvues de sacristie. Le curé revêtait ses habits de célébration de l’office, à l’étroit, derrière le maître-autel, bien souvent dans l’espace laissé par l’abside. Les chasubles et le calice étaient déposés dans un grand coffre. Il a fallu attendre la fin du XVIIe siècle, comme à l’église Saint-Jacques d’Illiers, pour aménager la sacristie dans l’aile du transept.
Derrière la cloison en planches de chêne avec grille de balustres de bois tourné, dite clôture de la confrérie, du XVIIe siècle se trouve la sacristie, avec son placard à bannières enfermant quelques vestiges défraîchis et endommagés, en lambeaux, fixé en hauteur contre le mur. Sur le fronton du meuble à bannières on peut lire la date de 1774. En l’absence des processions tombées dans l’oubli ces dernières années, on trouve aussi en ce lieu, remisés, les bâtons de procession et leurs statuettes abritées de petits dais à colonnettes en forme de lanternes emmanchées. Les statuettes représentent Dieu le Père, la Vierge à l’Enfant, et saint Éman. Les bâtons de procession sont disposés dans leur présentoir bois datant du XIXe siècle. Le brancard de procession y est également remisé. Dans le mur, est sculptée une petite piscine d’esprit Renaissance. Une autre piscine est visible près de l’autel dans le chœur de l’église avec un cadre mouluré et sa cuvette d’évacuation. C’était là que, selon le rituel de purification, le curé se lavait les mains et rinçait les objets du culte : Psaume 25,6-7, Lavabo inter innocentes manus meas (Je me laverai les mains parmi les innocents). Intégrés dans les murs, on peut voir des corbeaux, assises saillantes en pierre, avec des motifs sculptés soutenant des poutres.
À l’extérieur de la sacristie, est exposée la bannière de procession de saint Eman, broderie appliquée sur tissu, datant du XIXe siècle.
Au fond de la chapelle de la confrérie, et plus particulièrement derrière l’autel latéral, on remarque des plaques de l’enduit mural qui se détachent laissant apparaître quelques traces de peintures murales où l’on devine le profil de personnages qui ne demandent qu’à nous livrer leurs secrets.
En évoquant l’existence de ces peintures, quelques personnes avisées émettent l’idée d’une possible représentation appelée « Le dit des trois Morts et des trois Vifs », thème populaire au XVe souvent retrouvé dans la région notamment à Meslay-le-Grenet, aux Autels-Villevillon, à l’église du Réveillon à la Ferté-Vidame. Des investigations et des sondages doivent prochainement être menés sous l’égide de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles du Centre-Val-de-Loire).
À la croisée du transept...
À la croisée du transept, en levant la tête on découvre un remarquable Christ en bois fruitier polychrome du XVIIe siècle. Après avoir échappé, il y a quelques années, à une tentative de « spoliation » il a été replacé et fixé sur la première poutre du chœur constituant la poutre de Gloire. Nous pouvons remarquer que la croix sur laquelle est crucifié le Christ est l’exacte représentation du poinçon de la charpente du porche que nous avons vu précédemment, celle d’un tronc d’arbre ébranché, appelé écot en foresterie.
Dans l’église de Saint-Éman, comme dans de nombreux édifices, la voûte est comme un navire renversé, la quille arrondie en l’air, mais privée ici de l’étrave d’une abside orientée vers le soleil levant. Cette image de coque de bateau inversée est une représentation symbolique de l’Arche de Noé ancrée dans la Terre, notre mère nourricière. La voûte est lambrissée en châtaignier avec quelques traces d’ancienne peinture rouge aux motifs de fleurs de lys. À la croisée des couvre-joints, on aperçoit encore quelques caches en forme de fleur. Au niveau de la voûte, côté nord, il est bon de signaler une curiosité, celle du réemploi de lattes de tonneaux en guise de lambris. Il y en a au moins deux qui sont particulièrement reconnaissables grâce au trou de bonde. Parfois on pense avoir découvert une trace de peinture ancienne alors qu’il ne s’agit en fait que des taches du vin d’anciennes barriques recyclées. Ces détails attestent que le savoir-faire des artisans se conjuguait aussi avec l’art de la récupération, les matériaux manquaient et étaient fort onéreux. Nous en avons un autre exemple, en allant examiner le dos de l’autel de la Vierge à l’Enfant en passant par la sacristie. Celui-ci présente un assemblage hétéroclite de planches de toute nature grossièrement taillées et fixées mais qui a, comme nous pouvons le constater, la vertu de résister durablement au temps. L’ingéniosité et la débrouillardise palliaient ainsi à la parcimonie des ressources !
Sur la voûte de l’autel sud, un motif particulièrement ouvragé est encore visible, d’autres sur les travées voisines se devinent mais leurs détails sont effacés. Sur les entraits, poutres de la nef et du chœur, en leur milieu, on peut voir des motifs sculptés, parfois floraux, et un blason avec des armoiries portant trois annelets (NDLR : représentation de la bague des anciens chevaliers, symbole de noblesse, emblème que l’on retrouve aussi communément en Saône-et-Loire, région où saint Éman fut nommé clerc par saint Nectaire à Autun). Motifs que l’on peut observer sur le blason de la famille d’Illiers qui arbore, quant à lui, six annelets sur un fond d’or. Un autre blason porte trois croissants dits « montants » qui sont les armes de Châteaudun. Dans l’église de Saint-Éman, les blasons sont honorifiquement placés sur la poutre des Gardiens du seuil et sur la poutre de Gloire dans le chœur. Les extrémités des entraits sont garnies de gueules menaçantes d’animaux imaginaires. À l’entrée de la nef, on peut voir les « gardiens du seuil », monstres féroces aux dents pointues et acérées. Ils invitent « les brebis égarées à rester dans le droit chemin au risque de se faire dévorer » en suivant l’allée centrale de la nef qui les conduit à l’autel, et en refusant toute tentation. Le cheminement des paroissiens se fait, sous les motifs floraux avec des feuilles d’amarante sculptées illustrant le Chemin de Grâce qui garantit l’immortalité aux fidèles.
À nos pieds, enchâssée dans le dallage de la nef, une sépulture de 1668, sur laquelle est gravé le nom de la famille Crestot, famille de bienfaiteurs, qui, on peut le penser étaient en parenté avec Denis Crestot, curé de la même paroisse entre 1655 et 1675, date de sa mort. Ce curé fut aussi un généreux donateur. Dans les archives de la fabrique de Saint-Eman datées de 1668 à 1691, on peut lire : « le défunt curé Denis Crestot, par testament, lègue à la paroisse un arpent de terre près du clos Tassin ».
Les inscriptions portées sur cette pierre tombale prouvent que la césure typographique n’était pas pleinement maîtrisée par le graveur de l’époque qui s’est peu soucié des syllabes. La mission était parfois confiée à des tâcherons ne sachant pas écrire. La finalité de leur travail était de recopier et de « caser » toutes les lettres dans le cadre imposé par les dimensions de la pierre naturelle à graver…
CY . EST . LA .TOM
BE. DES . TRE
PASSES . OV .
GIST . MICHEL
CRESTOT .
BIENFACTEVR
ET . ROBERT. CRES
TOT . ET SA . FEMME
PRIEZ.DIEV.POVR.EVX
Les bancs et les stalles
À gauche, le « banc d’œuvre » fin XVIIIe siècle, est plaqué contre le mur, face à la chaire. Il était occupé par le Conseil de fabrique de la paroisse (NDLR : le conseil municipal en est aujourd’hui l’émanation, toutefois les Conseils de fabrique existent toujours en Alsace, et dans certains cantons suisses). Les membres du Conseil de fabrique, appelés les marguilliers, avaient notamment en charge les concessions des bancs clos (*), des chaises, et des places... au cimetière.
(*) NDLR : Bancs clos fabriqués par des huchers-menuisiers, appartenant au corps de métier des charpentiers. A Saint-Éman, travail sobre et dépouillé. Dans les églises, les rangées de loges closes veillaient à disposer les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.
Les quêtes faites parmi les travées de la nef revenaient au Conseil. Par contre les offrandes faites, dans le chœur, par les notables revenaient au curé. Les seigneurs des lieux bénéficiaient d’un « Droit de Banc », places privilégiées derrière la clôture du chœur qui les séparaient des travées occupées par les villageois. Les stalles, avec parcloses, étaient réservées au clergé. Deux stalles individuelles sont disposées de part et d’autre de la clôture du chœur avec ses petites balustres de bois tourné.
On peut s’attarder quelques instants devant le maître-autel baroque datant du XVIIIe siècle. C’est à partir du siècle précédent que le style baroque allait s’imposer en France, et devenir un stéréotype décoratif et architectural. Comme l’écrivait Claude Thisse « Dans nos campagnes, le baroque était synonyme de luxe du superfétatoire dans des lieux de misère frappé toutefois de la marque de la rusticité… la simplicité paraissait en effet offensante pour la maison de Dieu, espace de miracles. On devait faire merveilleux, donc riche, profus, en enroulements, en volutes, en gerbes donnant au mobilier et à la décoration comme une envolée spirituelle… Cela donne au maître-autel de l’église de Saint-Éman ces formes « rococo » chantournées avec ses pots-à-feu sommant les corniches, ses guirlandes, ses colonnes et rinceaux qui en font quelque chose de particulièrement attendrissant et charmant ».
À gauche du maître-autel, dans son placard, le buste de saint Éman, en bois polychrome, également du XVIIIe, cher au cœur des Émanois, que l’on a évoqué à l’occasion des processions du saint pluvieux. A l’opposé, sur notre droite, dans la petite loge à la porte ornée de rinceaux peints, et surmontée d’un fronton, une châsse néo-gothique en bronze doré du XIXe, renferme la seule relique connue de saint Éman, un os du pubis.
Le panneau bois du tablier de l’autel est orné de la croix de Malte, il en est de même des deux autels latéraux. Certains érudits pensent que cette croix, emblème des chrétiens d’Orient, Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, peut faire référence aux origines de saint Éman venu de Cappadoce, en Asie mineure, berceau de la chrétienté orientale. D’autres considèrent que la présence de ces croix honore la lignée de Florent d’Illiers qui compte plusieurs chevaliers de l’Ordre de Malte au cours du XVIIe siècle : Joseph d’Illiers, Joachim d’Illiers et Alexandre d’Illiers, tous frères et fils de Léon 1er d’Illiers dit « de Balzac ».
(NDLR : Ce chevalier devint par héritage de ses oncles maternels, marquis d’Entragues et de Gié, à la condition de porter les nom et armes de Balzac et de les transmettre à ses enfants mâles. La famille de Balzac quant à elle s’est éteinte au XVIIe).
Sur la table de l’autel, on peut voir la pierre encastrée, ornée de ses croix de consécration. De part et d’autre du tabernacle, sont présentés sous verre, les canons d’autel, datant du XIXe siècle, papier enluminé à l’image des manuscrits médiévaux. Du temps de la messe en latin, dos aux fidèles, trois tableaux écrits en latin, étaient disposés sur l’autel. Ces canons offraient l’avantage au célébrant de ne pas avoir à tourner les pages pendant l’office. Pour information, le tableau à gauche comporte le texte du prologue de l’Évangile selon Saint Jean que le prêtre disait à la fin de la messe. Au centre, le tableau sur trois colonnes comporte le Gloria, le Credo et les prières de la Consécration. À droite, le troisième cadre contient les prières de bénédiction de l’eau et celles du rite du lavement des mains avant les offrandes. Sur la table du maître-autel, est posé un antiphonaire, livre d’Église contenant les diverses parties de l’office notées en plain-chant (*), imposant in-folio relié à la calligraphie élégante.
(*) NDLR : chant de la liturgie catholique romaine, récitation rythmée à une voix ou à l’unisson, et a cappella admis comme équivalent au chant grégorien.
Entre la pierre d’autel et le tabernacle, on peut voir l’ostensoir, pièce d’orfèvrerie en métal doré, du XIXe siècle, en forme de soleil rayonnant avec sa lunule (*).
(*) NDLR : Une lunule du latin lunula, « petite lune », est un récipient liturgique destiné à contenir une grande hostie exposée dans l’ostensoir lors des adorations et salut du Saint-Sacrement.
Le tabernacle peint, du XVIIe siècle, présente trois figures un peu effacées. A gauche, Saint Roch et son chien, au centre, Dieu le Père, à droite, un saint moine, auréolé, en robe blanche avec un scapulaire noir. (NDLR : pièce d’étoffe à capuche portée sur les épaules composée de deux lés de drap tombant sur la poitrine et sur le dos, habit de certains ordres religieux comme les Bénédictins, les Augustins,). Saint Bernard de Tiron est souvent évoqué. En effet, il édifia, à l’époque même de la construction du sanctuaire de Saint Eman, à la fin du XIe siècle, l’abbaye de la Sainte-Trinité à Thiron-Gardais. D’autre part les moines de Tiron, jusqu’au début du XVIIe siècle, étaient souvent cités dans les archives locales à travers leur occupation des terres sises aux « Abbayes du Loir », proches de Saint-Éman. Le tabernacle est surmonté d’un magnifique Christ en os du XVIIe siècle, aux fines et délicates ciselures pleines de réalisme anatomique, œuvre de missionnaires. Ils en firent don à la paroisse pour orner le tabernacle du maître-autel. En s’y attardant, on peut admirer le rendu saisissant dans le drapé du pagne (perizonium) du Christ.
Au dessus du maître-autel...
Au-dessus du maître-autel, le retable, encadré par deux colonnes corinthiennes, présente, sur une toile peinte, la Vierge à l’Enfant assise sur des coussins de nuages. Il s’agit d’une Vierge d’humilité en « vision céleste ». C’est une variante iconographique de la peinture du thème de la Vierge à l’Enfant initiée au XIVe siècle par les primitifs italiens tendant à humaniser la représentation des personnages bibliques afin de mieux exaucer les prières des fidèles en se rendant plus proches, plus accessibles.
La Vierge à l’Enfant est accompagnée à gauche de saint Denis, premier évêque de Paris, vers 250 an après J.-C., et à droite saint Eutrope, mitré, premier évêque de Saintes, au début du IVe siècle. Ces deux saints sont représentés ensemble sur le tableau du retable alors que trois siècles les séparent ! Ce qui les réunit c’est certainement d’avoir tous les deux « perdu » la tête. Saint Denis eut la tête tranchée, et saint Eutrope le crâne fendu à coup de hache. Les migraineux ont longtemps imploré la miséricorde de ces deux saints. Saint Denis fait partie de la famille des martyrs « céphalophores (*) » et fit des disciples dans cette iconographie.
(*) Céphalophore : Saint qui porte sa tête après sa décapitation ou plus rarement celle d’un autre saint. On peut citer : St Lucien, St Quentin, St Just. Les saintes femmes ne sont pas en reste ! Parmi les plus célèbres on peut mentionner Ste Noyale (Pontivy, Morbihan), Ste Valérie (Limousin) et Ste Solange (Bourges).
Nous avons précédemment indiqué dans le texte que sainte Barbe était placée dans les églises pour les protéger de la foudre et des incendies. On demandait aussi à saint Denis de décourager les voleurs dans les églises à l’image de ce qu’il avait fait subir à un fripon. Dans l’abbaye Saint-Denis, un détrousseur, monté sur la châsse du Saint avait voulu subtiliser les reliques sacrées, il glissa, s’écrasa les testicules subissant ainsi le supplice du « compressus testiculis » et pour finir s’embrocha sur une hallebarde. De quoi dissuader tous les voleurs, même les plus téméraires, à Saint-Éman comme ailleurs ! Le retable peint dans notre église proviendrait d’ateliers parisiens, comme il était d’usage dans les sanctuaires provinciaux. Ces peintures sont dites du « Pont-Neuf », lieu où se situaient les ateliers d’art religieux au XVIIIe siècle.
Le contre-retable porte trois statues. À gauche saint Jean-Baptiste, en pierre badigeonnée, prophète qui baptisa Jésus, et qui fut lui aussi décapité. Il est représenté avec un agneau couché sur le bréviaire tenu à la main. À droite saint Sébastien, en pierre badigeonnée, XVIIe siècle, facilement reconnaissable, attaché à un poteau et transpercé de flèches, qui se sont envolées... et tout en haut, dans une niche bordée d’une guirlande de feuillages dorés, saint Éman, en pied, imploré en tant que saint guérisseur, représenté ici en moine pèlerin. Il porte une robe de bure, avec dans une main un chapelet enroulant son bâton de pèlerin et dans l’autre un bréviaire entrouvert.
En reprenant les propos de Claude Thisse dans son « Petit guide impressionniste, fantaisiste et sentimental », disons que les tableaux et statues de l’église sont de facture naïve et rustique. Ils sont le reflet d’une grande simplicité où s’exprime avec sincérité la ferveur d’une population accablée et miséreuse dont le refuge était la divinité au sein de l’église. Les artisans, le plus souvent, étaient du cru ou d’un terroir voisin. Ils travaillaient des matériaux divers avec plus ou moins de succès mais cela donnait toujours des œuvres originales d’un intérêt certain. À Saint-Éman, pour le statuaire, on utilisait un calcaire tendre allant même jusqu’à sculpter dans la masse du plâtre bien durci qui devenait une pierre à travailler comme toute autre.
En divers endroits du chœur, nous pouvons voir des pique-cierges en bois peint, ou cirés et notamment les quatre cierges du catafalque. Les six chandeliers, à trois pieds, avec leurs cierges d’autel sont disposés symétriquement de chaque côté du tabernacle, encadrant la Croix avec l’effigie du Christ supplicié. Les cierges sont de cire blanche pour les fêtes, jaunes pour les offices funèbres ou de pénitence. Un septième cierge serait requis si l’évêque diocésain célébrait la messe pontificale au sein de notre petite église. Dans la chapelle sud, contre la cloison à balustres, se trouve un candélabre de fine tôle oxydée couverte de coulures de cire révélatrices de prières et de vœux à exaucer.
En cette église, au milieu de la charpente étriquée du clocher, se dissimule une rescapée. Il s’agit de la cloche portant le nom de Marie-Antoinette qui a échappé à la Révolution... Les cloches, à cette époque, furent nombreuses à être dépendues puis fondues pour devenir de funestes canons afin de défendre la République naissante, ou frappées en monnaie qui faisait cruellement défaut en ces temps de conflits perpétuels. A la fin du XIXe siècle, la famille « de Goussencourt » (*) avait peut-être voulu avec ce nouveau nom de baptême honorer à leur manière la dernière reine de l’Ancien Régime.
(*) NDLR : La refonte et la bénédiction de la nouvelle cloche ont aussi symboliquement marqué la 1ère année du 1er mandat de maire de Louis Antoine Edgard de Goussencourt qui allait présider à la destinée du village pendant... 40 ans. Sa belle-sœur Marie Noémie née de Marguerite de Rochefort, épouse de Louis Marie Fernand de Goussencourt fut la marraine de la cloche bénie par le curé Gallas des Châtelliers-Notre-Dame.
La cloche avait été initialement fondue en 1548, comme l’atteste l’inscription sur la cloche actuelle. Elle fut ensuite bénie en 1761 au nom des saintes « Anne et Henriette ».
Dans les registres paroissiaux, on trouve l’acte de bénédiction de la cloche de Saint-Éman en date du 20 juillet 1761 : « L’an mil sept cent soixante et un le vingt de juillet a été bénie au nom des saintes Anne et Henriette par nous prêtre curé de Saint Hilaire d’Illiers en beauce soussigné une cloche de cette église. Le parrain a été Messire Gilles Henri Decosne escuyer seigneur de Rouvray et autres lieux, la marraine Dame Anne Margueritte Françoise de Givais épouse de Messire Henry Barthélémi Marie Du Mouchet de la Mouchetière ecuyer seigneur de Saint-Eman… de Me Claude de Saint-Aubin curé de cette paroisse… de Louis Lenfans laboureur et sindic de cette paroisse, Jean Onillon ancien gager et autres qui ont tous signé avec nous le présent acte ».
Un siècle plus tard, en 1871, la cloche fut refondue dans les ateliers Bollée (*) au Mans pour y graver le nom de la famille de Goussencourt et lui donner un nouveau nom de baptême : « Marie-Antoinette ».
(*) NDLR : C’est certainement à cette occasion que le baron Edgard de Goussencourt étudia et envisagea de confier à Ernest Bollée, cinq ans plus tard, la fourniture et la mise en œuvre d’un « bélier hydraulique » pour fournir l’eau courante au « château neuf des Pâtis ».
Sur trois niveaux, sont gravées les inscriptions suivantes :
CLOCHE DE ST EMAN FONDUE EN 1548 REFONDUE EN 1871 ET NOMMEE MARIE ANTOINETTE - EDGARD
Ls Ane BARON DE GOUSSENCOURT MAIRE ET PAR Mme MARIE NOEMIE VICsse DE GOUSSENCOURT SA BELLE SŒUR
Mr L. GALLAS ETANT CURE Mr LE GENERAL Cte DE GOUSSENCOURT PPre A ST EMAN
Sur le bas de la robe de la cloche, on trouve la signature :
BOLLEE ET SES FILS FONDEURS ACCORDEURS AU MANS
L’extrême sécheresse qui désola la région en 1552 donna naissance à un usage singulier qui s’est perpétué jusqu’au début du siècle dernier. Pendant quatre mois de l’année, du 1er mai au 31 août, on y sonnait tous les jours que Dieu fait, la cloche que les paroissiens appelaient la « Cloche des Biens ». L’entendant sonner, les paroissiens priaient pour attirer la protection du Ciel sur les récoltes, suppléant ainsi la procession du 16 mai vouée à saint Eman. Deux précautions valent mieux qu’une ! Quand la moisson s’avérait généreuse, le vicaire, en « sonneur de carillon » allait quêter dans les fermes des environs afin de percevoir les dividendes des bonnes grâces du Ciel.
C’est en 1803 que la paroisse de Saint-Eman est rattachée à celle des Châtelliers-Notre-Dame. Son dernier curé, Guillaume Piriou originaire du diocèse de Quimper s’en ira desservir la paroisse d’Ollé. S’éteint ainsi une longue lignée de curés qui trouve son origine en 1139, avec le curé Germond, quand notre village s’appelait encore Sanctus Emanus, à la fin de la construction du sanctuaire roman originel, et à l’heure des premières célébrations eucharistiques.
Outre les curiosités que recèle la petite église de Saint-Éman, et en dehors de toute considération religieuse ou architecturale, des visiteurs trouvent en ces lieux une « ambiance », une atmosphère dans laquelle ils éprouvent de la sérénité, ressentant intimement une paix intérieure. Ils ont, dans ce cadre rustique et bucolique, l’impression de mettre entre parenthèses les tracas du quotidien, une manière de se « ressourcer » … c’est peut-être cela le miracle de Saint-Éman !