Les oseraies
En consultant les archives communales du milieu du XIXe siècle nous découvrons, au cœur même de notre village, une activité méconnue et insoupçonnée des générations actuelles : l’exploitation d’oseraies pour les vanniers des environs et d’Illiers en particulier. Les agriculteurs utilisaient également les pousses flexibles de l’osier, une fois fendues, en guise de lien pour leurs divers travaux.
Nous espérons que ce petit texte permettra à l’osier de Saint-Eman de renaître de ses cendres et d’éclairer notre mémoire quelque peu enfumée.
Dans le registre des contributions foncières visé le 17 octobre 1827 par le Préfet du département, Jean Elie, baron de Giresse-Labeyrie, préfet de la Seconde Restauration, sous le règne de Charles X, nous pouvons prendre connaissance et suivre toutes les mutations des propriétés bâties et non-bâties imposables déclarées et enregistrées à Saint-Eman sur la période de 1833 à 1914. Dans ce document, il est certifié que la superficie totale du village est de quatre cent soixante arpents.
C’est ainsi que nous avons découvert ces parcelles à vocation osiéricole dans notre village et plus précisément aux lieux-dits de La Taillanderie et des prés de Saint-Éman. Ces terres sont appelées oseraies et parfois orthographiées ozerayes.
En amont de la vallée du Loir, notre sol typique des zones humides avec la nappe phréatique qui affleure la couche d’argile à silex d’où jaillissent nombre de sources, fait que le terrain est propice à l’osiériculture, sol humide et frais. Le saule « salix » se développe en bordure des fossés où s’écoulent les nombreuses sources autour de l’église. Orientées sud, les saulaies arbustives sont nombreuses notamment au niveau de l’emplacement originel du bélier hydraulique au milieu d’un pré couvert de fourrés marécageux.
La trogne centenaire d’un saule têtard en bordure du chemin du lavoir, qui fait figure de rescapé, nous gratifie chaque année de ses pousses d’osier jaune qui ne trouvent plus preneur en ces temps nouveaux.
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Les parcelles exploitées de saules à osier étaient situées de part et d’autre du chemin menant aujourd’hui de l’église aux étangs, en longeant le cours du Loir naissant. Elles portaient les numéros B50, B199, B200, B201 sur l’ancien cadastre, avant remembrement, et représentaient une superficie totale de 65,70 ares.
L’osier est le rejet annuel d’une pousse de saule. Il existe plusieurs variétés d’osier. Comme l’écrivait Olivier de Serres (1539-1619) agronome français :
« Il y a des oziers de plusieurs corps, de grands, de moiens, de petits : de plusieurs couleurs, de noirs, blancs, jaunes, dorés, rouges, tannés, verts : de doux et flexibles, les uns plus que les autres : de francs et de bastars, … »
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​La coupe de l’osier à la serpe se faisait quand la sève était totalement descendue à partir du 15 novembre jusqu’à la fin février. L’osier était ensuite entreposé en « ruches » pour qu’il sèche.
À Saint-Éman, par endroit, on peut encore apercevoir le salix alba appelé aussi osier jaune à cause de la couleur de son écorce. Les plantations ont une durée de vie de 20 à 25 ans. Chaque année, les pousses tendres de l’osier faisaient aussi le régal des ragondins, sangliers et chevreuils, nombreux dans le secteur encore aujourd’hui.
Les vanniers venaient ensuite prendre livraison des fagots d’osier pour les stocker puis les travailler à partir du mois de mai en les décortiquant avec un « plon » à mains, ustensile qui fut utilisé jusque dans les années 1930.
En détaillant les registres, on apprend que Cochinal Charles François (1767-1841) vannier à Illiers, était propriétaire de la parcelle de 27,70 ares sise à La Taillanderie. Il assurait ainsi, à peu de distance, l’approvisionnement en osier de son atelier de vannage. Son fils Charles François Désiré (1803-1868), qui était tourneur sur bois, habitant Bonneval, transforma l’oseraie en simple pré et le vendit en 1838 à Laille Thomas. La nouvelle destination agraire est d’ailleurs mentionnée au folio n° 55 du registre des Contributions. Mais en 1874, avec les nouveaux propriétaires Fauquet et Brossard, force est de constater que les pousses de saule s’imposent chaque année et envahissent le terrain car la parcelle retrouve sa destination originelle d’oseraie.
En 1847, la commune de Saint-Eman devenait elle aussi propriétaire d’une oseraie de 15 ares, parcelle n° B50 du cadastre, voisine de celle du lavoir.
Parmi les propriétaires successifs des oseraies de Saint-Eman, parcelle B201 de La Taillanderie, on trouve jusqu’en 1877, Moulin Pierre Nicolas (1789-1858) qui fut maire de Magny de 1837 à 1848.
En 1912, Gouabault Ferdinand, instituteur-secrétaire de mairie à Saint-Eman, devient propriétaire entre autres parcelles de l’oseraie de 3 ares située à La Taillanderie. Pour mémoire, il se fit élire maire de la commune la même année à l’âge de 53 ans à la suite des mandatures du Comte Edgard de Goussencourt.
Depuis plus d’un siècle, l’osier et la vannerie étaient sortis de la mémoire des habitants du village. Aujourd’hui, si vos pas vous conduisent vers le lieu-dit : « Les Petites Vallées » peut-être y croiserez-vous un vannier, qui sait ! … un lien recréé entre les oseraies du passé et un savoir-faire préservé.