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Dans cet onglet assez riche, plusieurs thèmes seront abordés. À vous d'aller vous servir et de déguster...sans modération !
vie et martyre
Buste de saint Éman

Éman, Émanus...
... Vie et martyre d'un saint

De par sa mort, saint Éman donna vie au village qui porte aujourd’hui son nom en mémoire de son martyre. Vers la fin du XIe  siècle, un sanctuaire fut érigé, au milieu d’une clairière où coule une source, à l’endroit même où saint Éman fut massacré, le 16 mai de l’an 560, par de sauvages brigands par haine de sa sainteté.

 

Saint Éman, Emanus, est originaire de la Cappadoce romaine en Asie Mineure (La Turquie aujourd’hui), l’un des premiers foyers du christianisme oriental à la fin de l’Empire romain. Il est légitime de se poser cette question : « Mais qu’est-il venu faire dans cette galère à plus de 3 500 kilomètres de sa région natale ? »

Jeune homme, saint Éman entendit, pendant son sommeil, une invitation à marcher vers l’Occident pour vénérer les reliques et les tombeaux des martyrs de la foi chrétienne. Les pas du jeune pèlerin l’ont mené d’abord vers Rome, où il séjourna sept ans pour ses longues études de théologie et s’imprégner des Saintes Écritures.

Saint Éman éprouva ensuite le besoin d’aller prier à Milan sur le tombeau de saint Nazaire. Il y resta deux ans jusqu’à une nouvelle vision céleste qui le convia à aller prier à Autun sur le tombeau de saint Symphorien, et contribuer à l’évangélisation des peuples barbares et païens de la Gaule. Une nuit, saint Éman fut réveillé et reçut cet ordre : « Pars pour Chartres, va prêcher la divine parole aux populations de ces lointaines contrées, c’est là que le Ciel t’appelle, pars à l’instant et ne crains rien ».

En cours de chemin vers le pays des Carnutes, saint Éman séjourna quelque temps  à Orléans où il reçut la grâce du sacerdoce, le remplissant d’un nouveau zèle évangélisateur. Il avait quitté la Cappadoce en pèlerin, il arriverait à Chartres en véritable apôtre.

 

Dans la contrée de Chartres, à l’époque du règne de Childebert 1er, roi des Francs, fils de Clovis, saint Éman, infatigable, multiplia les conversions à la religion chrétienne, aimé et respecté pour sa charité et sa bonté.

 

Un jour, aux alentours d’Islernia (Illiers-Combray), dans les bocages, à côté d’une source, saint Éman fut sauvagement tué par une troupe de brigands menée par Abbo, un serviteur fourbe de Bladastus, un seigneur de la contrée (qui donna son nom au village de Blandainville) nouvellement converti par saint Éman. Abbo avait tenté, en vain, «d’emprunter» le cheval de saint Éman. Le voleur s’était senti terriblement humilié par le châtiment plein de charité du saint homme, sa vengeance fut terrible. Ainsi mourut saint Éman, en martyre, en ce jour du 16 mai de l’an 560.

pluvieux

Saint Éman, saint pluvieux, le pèlerinage

Le culte de saint Éman est auréolé de vertus miraculeuses tant au niveau de la clémence météorologique du ciel qu’à celui des remèdes thérapeutiques auprès des malades, et des enfants en particulier. Pour commencer, joignons nous à la traditionnelle procession du pèlerinage du mois de mai qui garantit une belle levée des semis et une généreuse récolte aux paysans de la région. 

Des écrits du XVIIe et du XVIIIe siècles attestent du pèlerinage de saint Éman rassemblant un nombre important de pèlerins venant de la région d’Illiers et de la grande Beauce pour prier ce saint pluvieux afin de quémander la pluie du Perche et d’assurer une bonne levée des semis de printemps: blé, seigle, orge, avoine.

La tradition voulait que le 16 mai, jour du martyre de saint Éman, les paroissiens et les pèlerins sortent, en grande pompe, le buste du saint en chêne polychrome datant du XVIe, accompagné de statuettes de procession et de bannières.

Le visage du saint était tourné vers l’ouest pour attirer la pluie. Mais saint Éman, peu contrariant et aux multiples pouvoirs, avait aussi la faculté de faire venir le soleil si les derniers semis souffraient trop de l’humidité. Il suffisait alors que le visage du saint fût tourné vers l’est, vers le soleil levant. Jadis, on plongeait le buste trois fois dans l’eau de la fontaine votive toute proche de l’église, alimentée par la source du Loir. Cet étrange « supplice de la baignoire » devait inciter  le saint à s’exécuter et à assurer la bonne régulation des pluies. Si les prières n’étaient pas satisfaites, avec le curé de la paroisse, on renouvelait la cérémonie en immergeant le buste de saint Éman plus profond et plus longtemps.

 

Dans le chœur de l’église, saint Éman est aussi associé à saint Eutrope, 1er évêque de Saintes. Les fidèles venaient plutôt prier ce dernier fin avril, avant la traditionnelle fête patronale de Saint-Éman. Saint Eutrope avait aussi ses vertus et ses spécialités, à savoir protéger les pommiers des gelées redoutées à la période des saints de glaces, de la lune rousse et favoriser plus particulièrement la levée des haricots qui devaient être semés le 30 avril, jour de fête du saint. Il fut plus particulièrement imploré lors du grand gel de mars et avril 1901 : « Une température quasi sibérienne continue à sévir sur notre contrée, un vent glacial souffle avec violence, un froid intense gèle les mares et les ruisseaux, les cultivateurs commencent à s’alarmer ».

 

Au début du XXe siècle, le pèlerinage de saint Éman n’était plus en odeur de sainteté, les fidèles étaient moins nombreux, moins assidus. Les agriculteurs, gardant toujours un œil sur les proverbes climatiques de l’almanach des campagnes, Le Messager en particulier, commencèrent à donner quelques crédits aux nouvelles observations météorologiques venant de Chartres. En effet, le 12 février 1862, Urbain Le Verrier, directeur de l’Observatoire de Paris, était venu chanter et vanter, avec succès, les mérites de la science météorologique et fit beaucoup d’adeptes parmi les propriétaires des grosses exploitations agricoles curieux de nouveautés technologiques malgré un climat controversé de scepticisme. Les élèves-instituteurs de l’École Normale de Chartres furent, dès cette époque, chargés d’établir des relevés météorologiques. Cette nouvelle mission avait été intégrée à leurs tâches pédagogiques.

 

Après le pèlerinage de 1963, conduit par l'abbé Bougard, le buste de saint Éman avait regagné son placard à gauche de l’autel se faisant oublier… la petite porte s’étant refermé sur son pieux visage.

 

Pourtant les témoignages étaient nombreux et élogieux, malgré le silence des prêtres, sur les bienfaits du traditionnel pèlerinage. Les archives relatent notamment  l’averse mémorable, en l’an 1649, à la fin de la procession. Une trentaine de paroisses environnantes étaient représentées en ce jour de pèlerinage, c’est dire sa popularité! La protection de saint Éman fut aussi particulièrement implorée lors de la mémorable sécheresse de 1552. Au fil des siècles saint Éman veille au grain… les écrits en témoignent et l’attestent. 

 

A la demande de la municipalité et de l’association des Amis de Marcel Proust, le pèlerinage reprit le 23 mai 1971 à l’occasion du centenaire de la naissance du célèbre écrivain. Mais cette reprise ne se fit pas sans déconvenue ni déception des paroissiens et des pèlerins heureux pourtant de renouer avec la tradition. Le curé Brossier refusait de conduire la procession devant la fontaine votive pour y immerger le buste de saint Éman ou même d’y tremper le simple bâton de procession. On ne pouvait pas lui donner tort si sa décision était liée à la valeur historique du buste polychrome, à moins qu’il ne trouvât cette tradition teintée de paganisme aujourd’hui obsolète et surannée. La procession a finalement eu lieu autour de l’église jusqu’au calvaire à travers le cimetière sans le rituel de l’immersion du bâton. On a pu lire le lendemain dans le journal local: « Les gens n’étaient pas contents ». Cette tentative de résurrection d’un des derniers pèlerinages de la région fut sans lendemain… qu’il pleuve ou qu’il vente

 

Quelques messes furent célébrées par la suite à la date du martyre de saint Éman, le 16 mai, suivies d’une procession de plus en plus clairsemée, toujours limitée à l’enceinte de l’église sans la ferveur d’antan. Le concile de Vatican II ouvert en 1962 par Jean XXIII et clos sous le pontificat de Paul VI en 1965 s’ouvrait désormais à la culture contemporaine, aux nouvelles mentalités, dans un souci de modernisation de l’Église et rendait désuet les pèlerinages qui avaient trouvé leur origine notamment dans le paganisme, les pratiques païennes, à travers, entre autres, le culte des fontaines, des mégalithes, et des chênes séculaires.


Saint Éman,  saint guérisseur, ses miracles

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Saint Éman est aussi un saint guérisseur. Et si, dans le village de Saint-Éman, le buste en bois polychrome était traditionnellement vénéré pour la clémence du ciel, la statue en pied du saint, en calcaire, faisait plus particulièrement l’objet de prières pour retrouver une bonne santé ou se préserver de toute maladie. Cette statue de saint Éman trône au dessus du maître-autel et représente le saint en habit de moine avec capuche, chapelet et livre de prières à la main. Au pied du retable, on allumait des cierges pour s’attirer la protection du saint thérapeute.

En 1655, le frère Simon Martin, religieux de l’Ordre des Minimes, écrivait dans les Sacrées Reliques que saint Éman, à Autun, fit des miracles: « Par la vertu du signe de la croix, il redressa un bossu boiteux, il donna la vue et l’ouïe à un enfant, qui était tout ensemble sourd et aveugle. Et par un troisième miracle, il redonna la vie à un enfant mort, appelé Urbice, de qui la mère était gravement tourmentée d’un démon, dont elle fut aussi délivrée par les prières du même saint Éman ».

Nous vous invitons à consulter notre article mis en ligne intitulé « Saint Éman à Autun » pour connaître d’une manière plus exhaustive les miracles attribués à saint Éman à travers les écrits de l’abbé Dinet datant de 1861.

Dans nos contrées, on invoquait plus particulièrement saint Éman pour la guérison des fièvres et des fluxions de poitrine. On venait puiser à la fontaine l’eau aux vertus miraculeuses que l’on buvait pendant neuf jours. D’autres y trempaient leur chemise ou un linge qu’ils appliquaient à nu et conservaient pendant une neuvaine. Cette eau avait également la vertu de guérir les maladies infantiles en général et  le gonflement des nourrissons en particulier.

 

Dans la région, les nourrissons de Paris ou de l’Assistance publique ont toujours été nombreux et assuraient ainsi quelque argent aux familles nécessiteuses. Mais la pauvreté engendrait de déplorables conditions d’hygiène et de nourriture. Ces enfants en pension et ceux du pays étaient souvent souffreteux. Des mères et des nourrices plongeaient leurs bébés tout nus dans l’eau glacée, persuadées qu’ils allaient guérir. En 1834, le docteur Robbe, de Nogent-le-Rotrou, dans un article du Glaneur d’Eure-et-Loir, sur les superstitions du Perche, signalait ces pratiques assassines. La mortalité fut telle qu’en 1844, le docteur Lepecq, médecin de l’Assistance publique, avec l’aide de l’avocat Morin, obtint du sous-préfet l’interdiction de ces pratiques. Rien n’y fit, et tout se passa comme d’habitude… Le médecin fut d’autant plus outré qu’une rumeur courait que dans les limites du Perche, dans le village de Saint-Éman, malgré l’interdiction, on avait vu des jeunes filles se revêtir d’une chemise mouillée, trempée dans la fontaine, qu’elles allaient garder neuf jours sur leur peau nue en récitant des Pater et des Ave en adoration du saint patron de la paroisse.

 

Cette croyance persista puisque dans l’ouvrage intitulé « Le Folk-Lore de la Beauce et du Perche », de Félix Chapiseau, édition 1902, on peut lire : « La fontaine de Saint-Éman, près d’Illiers, à la source du Loir, jouit du privilège de guérir les fièvres ainsi que les fluxions de poitrine. On s’y rend surtout, en neuvaine, à dater du jour de la fête du saint, le 16 mai. Les pèlerins viennent puiser à la fontaine, s’y baignent les mains, s’en humectent la figure. Ils y trempent des chemises qui, appliquées à nu sur le malade, doivent être conservées pendant neuf jours, ou bien ils emportent de l’eau, dont on boit pendant neuf jours. Cette eau préserve aussi les enfants du « mal de saint Éman » qui les fait enfler. »

 

Cette maladie dite du « gonflement du nourrisson » résultait pour les bébés sevrés de l’intolérance au lait de vache. L’allergie aux protéines provoquait des œdèmes spectaculaires au niveau du visage, et un gonflement abdominal anormal. 

 

Dans le Perche, comme à Saint-Éman, plusieurs fontaines ont la faculté et les mêmes vertus curatives à soigner les fièvres. Félix Chapiseau, quelque peu incrédule, nous en dresse une liste après un préambule teinté d’ironie et de scepticisme :

 

« Le climat dans nos contrées n’est nullement pyrétique ; mais le paysan, prenant l’effet pour la cause, confond la fièvre au général, avec les maladies qui la donnent. Et il vient naïvement à la source au lieu de recourir aux soins éclairés du médecin. C’est ainsi que, par habitude, par avarice et par superstition, on continue à aller en « voyage » à la fontaine des Trois-Maries, près de Méréglise ;

          A celle de Saint-Jean, près de Luigny ;

          A celle du Juef, près d’Unverre ;

          A celle de la Boêche,près d’Yèvres ;

          A celle de Saint-Eliph et Saint-Félix, près de Montigny-le-Chartif ;

          A celle de Measlay, près d’Arrou ;

          A celle de Saint-Jean, à Brou ; (Brou possède aussi la fontaine de Saint-Cloud qui guérit les furoncles, appelés vulgairement clous) ;

          A celle de Saint-Gilles, dans le parc du château de Frazé ; etc... »

 

La plupart des fontaines « miraculeuses », objets de dévotion et de pèlerinage, sont entourées d’une grille, comme à Saint-Éman, où sont suspendus symboliquement des rubans, pour y attacher et y laisser la fièvre désormais prisonnière. Dans le Perche nogentais, on construisait près des fontaines sacrées une chapelle ou un de ces petits oratoires appelés mariettes. Des ex-voto, toujours modestes, souvent naïfs, étaient suspendus dans ces oratoires : chapelet, petit crucifix,  image pieuse, ruban, …

Rubans suspendus à Saint-Éman

Titre 3

reliques

Reliques de saint Éman

« Celui qui est affectionné pour quelqu’un vénère aussi les choses que cette personne a laissées d’elle-même après sa mort »

Saint Thomas d’Aquin (1225-1274)

L'adoration des reliques :

Dès le début de l’histoire de l’Église, les chrétiens ont pris l’habitude de venir prier et de se recueillir sur les lieux des martyrs et vénérer leurs saintes reliques. Au VIe siècle, le jeune Éman avait ainsi quitté sa Cappadoce natale, région dépourvue, comme toute l’Asie mineure, de tombeaux sacrés pour aller prier dans la péninsule romaine notamment sur la sépulture de saint Nazaire à Milan.

 

Au fil des siècles, la plupart des reliques furent disséminées : la fin des croisades se solda par une véritable rafle, tout ce qui était rapporté de Terre sainte étant considéré comme inestimable. Les guerres de religion allaient conduire au pillage et à la dispersion d’innombrables reliques de saints, et la Révolution française amènerait son lot de fureur dévastatrice et de profanation comme à l’église Saint-Maurice à Chartres avec les ossements de saint Éman, martyr.

 

Chaque cité et village avait son saint et voulait ses reliques ; les corporations et les métiers voulaient aussi leurs saints patrons et désiraient s’offrir quelques fragments du corps vénéré. Pour toutes les processions, il fallait, ainsi que le réclamait la société féodale, exposer ostensiblement les reliques aux yeux de tous les pèlerins.

 

Évidemment la multiplication des reliques les plus diverses et quelquefois les plus incongrues (le lait de la Vierge à Laon, une dent du Seigneur à Saint-Médard de Soissons,...) allait jeter le doute sur leur authenticité et le discrédit sur leur vénération.

 

Plus près de nous, en août 2005, le pape Benoît XVI déclarait lors des Journées Mondiales de la Jeunesse de Cologne :

« En nous invitant à vénérer les restes mortels des martyrs et des saints, l’Église n’oublie pas qu’il s’agit certes de pauvres ossements humains, mais d’ossements qui appartenaient à des personnes visitées par la puissance transcendante de Dieu. »

Saint Éman, martyr, ses reliques :

Nous vous rappelons qu’au VIe siècle, Saint Éman fut attaqué par des bandits, coureurs des bois, assoiffés de sang à la solde d’Abbo, serviteur du seigneur Bladastus. Les mécréants, en haine de la sainteté de ce moine prêcheur, le tuèrent sauvagement à coup d’épée, lui broyant la moitié du corps, le disloquant et l’abandonnant à côté d’une source qui devint la « fontaine des miracles », lieu du pèlerinage voué à saint Éman à la date du 16 mai, jour de son martyre. Cela expliquerait et donnerait du sens à la principale et plus connue représentation iconographique du saint par son buste, en bois polychrome, vénéré et porté lors de la procession du traditionnel pèlerinage. Ce que l’on sait moins c’est que saint Éman, le jour de sa mort, était aussi accompagné par ses fidèles compagnons saint Maurel et saint Almaire, martyrisés avec lui.

 

Leurs corps furent inhumés à Illiers par les religieux de la paroisse Saint-Hilaire. A la fin du Xe siècle le corps de saint Éman fut transporté en tant que relique à Chartres dans l’église Saint-Maurice située dans les faubourgs, du côté de Lèves, église détruite au XVIIIe siècle. Les reliques de saint Éman allaient devenir l’objet d’un véritable culte dans la cité des Carnutes où il avait créé, au VIe siècle, au temps de l’évêque saint Lubin, un ermitage sur lequel sera bâtie, au IXe siècle, une chapelle dédiée à saint Éman et placée sous son patronage.

 

Au moment de la Révolution, les édifices religieux ont été vandalisés, détruits. A la cathédrale de Chartres, les statues ont été saccagées, la Vierge noire de la crypte brûlée. A l’église Saint-Maurice, les restes de la dépouille sacrée de saint Éman ont été profanés et jetés au vent.

 

Lors des fouilles archéologiques de 2017 sur le site de l’ancienne église Saint-Maurice, le cimetière a révélé l’existence de 180 sépultures datées entre les VIe et XVIIe siècle. A été également découverte une fosse de type « ossuaire » regroupant une partie des ossements provenant des sépultures situées à l’intérieur de l’ancienne église.

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Ces récentes recherches ont permis de donner du crédit à la présence de la dernière sépulture de saint Éman sur le site de l’église Saint-Maurice dès la fin du Xe siècle, date de la translation de ses restes mortuaires, jusqu’à la profanation de sa tombe au moment de la Révolution française au XVIIIe siècle.

 

De nos jours, sur les lieux du martyre de saint Éman, dans l’église du village, dans le placard à droite du maître-autel, une châsse en bronze du XIXe siècle, renferme un os du martyr, qui serait, d’après les anatomistes, l’os du pubis (os central du bassin au niveau de la vessie). Cette relique serait aujourd’hui la seule « au monde » connue à travers la lecture des archives que nous avons longuement consultées.

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 "Hors cadre"...

Pérégrinations, trafics et vols de reliques

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Chants et prières au jour de la Saint-Éman

Dans un exemplaire du Graduale romanum, livre de chant de l’Église latine, édition de l’année 1846, retrouvé dernièrement dans la sacristie de l’église de Saint-Éman, nous en apprenons un peu plus sur les prières et chants entonnés en ce jour du 16 mai, date du traditionnel pèlerinage, et jour du martyre de saint Éman. 

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Dans la mémoire de quelques octogénaires de la région, résonnent encore à leurs oreilles, en écho à leur lointaine enfance, des oraisons, des psaumes entendus lors de la procession autour de l’église de Saint-Éman que leur famille jamais ne manquait.

 

Selon que le jour de la Saint-Éman était « dans » ou « hors » du Temps Pascal, les textes proposés différaient : Messe Protexisti, du Commun d’un Martyr, ou Messe In virtute.

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Dans un autre livre également retrouvé dans la sacristie, on peut lire en détail le rituel des processions « pour les nécessités publiques », et notamment pour demander la pluie comme à Saint-Éman : Ant. Exurge, Domine, adjuva nos, avant le départ de la procession. Après le Sancta Maria, la procession se mettait en route avec le buste de saint Éman , les bâtons et la bannière du saint… jusqu’à la fontaine votive… où l’on chantait les prières Kyrie eléison, Christe eléison... Venait ensuite la lecture du psaume 146...

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Les saluts « pour les nécessités publiques » valaient aussi en temps de disette et de famine, de peste, et aussi en temps de guerre rassemblant nombre de paroissiens au sein de l’église.

 

En 1947, Ph-L. Larcher, avait écrit, à la suite d’un texte théâtralisant le martyr de saint Éman, une prière dédiée au saint pour le traditionnel pèlerinage du 16 mai devant la fontaine votive. Nous vous en livrons aujourd’hui la retranscription intégrale.

 

 

Grand saint Éman qui dans les cieux

Offris à ton heure dernière

Ta vie et ton âme à ton Dieu

Veuille écouter notre prière.

 

Les biens de la terre pour toi

Ne furent rien moins que fumée

Pourtant en embrassant la foi

Notre terre, tu l’as aimée.

 

Et les cigales sous les cieux,

Ainsi que le concert des anges,

Qui chantent la gloire de Dieu

Vers toi, élèvent leurs louanges.

 

Vois le cortège des enfants

Qui chantent bien haut tes cantiques

Écoute-les, Ô saint Éman

Contemple leur ardeur mystique.

 

Les jeunes fronts sont inclinés

Sur les gros livres de prière

Et dans les yeux illuminés

Leurs âmes se voient tout entières.

 

Sur les épaules on a porté

Ô grand Saint tes saintes reliques

Et les bâtons t’ont escorté

Autour de l’église rustique.

 

Sainte Marie et son Enfant

Sur les bâtons, qu’en la fontaine,

Saint Eutrope et toi saint Éman

On inclina trempés à peine.

 

Ainsi, les rites accomplis

Nous te prions d’une âme pure

Ô grand Saint, dans le paradis,

Commande aux lois de la Nature.

 

Fais qu’en la terre où on l’a mis

Le grain semé devienne graine

Fais que les biens qui sont promis

Prospèrent bientôt dans la plaine.

 

Fais que pour nous l’onde du ciel

Tombe sur terre avec mesure

Que coulent le lait et le miel

Avec le grain en nos mesures !

 

Répands tous les bienfaits de Dieu

D’un cœur ému d’une âme entière

Saint Éman, tout en ce saint lieu

Nous t’adressons notre prière.

 

Et devant toi grand saint Éman

Nous balancerons en cadence

Nos chastes corps, au son des chants,

Nous t’offrirons, dans une danse

L’obole d’un rythme sacré

Pour que vive la réjouissance

Près du temple à toi consacré !

Autun

Saint Éman à Autun, le culte de saint Symphorien

Le présent volet sur la vie de saint Éman, notre moine venu de Cappadoce au VIe siècle, est une retranscription partielle d’un ouvrage édité en 1861. Cette publication est parue sous le titre « Saint Symphorien et son culte avec les souvenirs qui s’y rattachent ». Il nous est particulièrement précieux. Il est l’œuvre de l’abbé Ch.-L. Dinet, chanoine de la cathédrale d’Autun. Dans le chapitre XXIII de son premier tome, l’abbé Dinet, aborde plus particulièrement le pèlerinage de saint Éman (Emanus) sur le tombeau de saint Symphorien à Autun accompagné par saint Nectaire, l’évêque du diocèse. Sur le thème de ce pèlerinage à Autun, l’abbé Dinet évoque plus exhaustivement la vie et l’œuvre de saint Éman.

La lecture de ce texte apporte une version enrichie, un nouvel éclairage sur des propos que l’on a pu tenir précédemment à travers d’autres écrits qui se voulaient plus allégés, plus synthétiques. Nous espérons que ce document répondra à l’intérêt, à la curiosité, que portent certaines personnes sur l’hagiographie : la vie des saints et sur les ouvrages des érudits Bollandistes. Sans chauvinisme aucun, saint Éman est un beau sujet d’études jalonné par ses nombreux pèlerinages entre Rome, Milan, Autun et Orléans avant de venir évangéliser le pays des Carnutes et y mourir en martyr après de nombreuses conversions religieuses.

 

Le texte ci-après étant daté du XIXe siècle, certains lecteurs pourront être déroutés par une syntaxe un rien surannée, d’autres, à n’en pas douter, en seront charmés, nostalgiques d’ouvrages anciens.

Statuette de saint Éman dans l'église de Saint-Éman
texteDinet

Un pèlerin, saint Éman, au tombeau de saint Symphorien, à Autun

De la Bourgogne médiévale, ancien territoire des Éduens, saint Nectaire évêque d’Autun, se rendit en pèlerinage (1) à Milan, en 542, pour vénérer saint Nazaire, vaillant soldat de Jésus-Christ, et lui recommander en personne, par de ferventes prières, le diocèse dont il avait la noble charge pour le placer sous sa protection. Saint Nectaire espérait aussi rapporter du saint tombeau quelques ossements, inestimable trésor destiné à la nouvelle église qu’il venait de bâtir sur les hauts d’Autun. Mais l’usage était alors très rare en Occident de diviser les corps saints. On se contenta donc de lui donner une partie du linge teint du sang du martyr. Il reçut avec profonde vénération, une pieuse joie et une vive confiance, ce sang généreux qui avait coulé pour la foi, et fut heureux de l’emporter comme un gage du contrat qu’il faisait avec saint Nazaire, en mettant sous son patronage et sous celui de la Mère du Sauveur sa cathédrale et son diocèse.

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Nectaire trouva encore à Milan un autre trésor : c'était un saint, un saint vivant qu'il put emmener dans sa ville épiscopale ; et par cette circonstance providentielle, quoique fortuite en apparence, son voyage au delà des Alpes se lie étroitement au culte de saint Symphorien. Un homme de Dieu comme lui et comme lui pieux pèlerin, venu d'une contrée lointaine, du fond de la Cappadoce, pour prier sur le tombeau des martyrs de Milan, faisait alors l'édification de toute la ville : il se nommait Éman (Émanus) (2). Dès sa plus tendre enfance, nourrie de foi et de piété, sa belle âme, forte et généreuse autant que pure et candide, vraie sœur des anges, se tourna aussitôt vers Dieu ; et plus tard, ni les premiers feux de l'adolescence, ni les ardeurs trop souvent orageuses de la jeunesse ne purent en troubler le calme, en ternir la fraîcheur.

Toujours blanche comme un lys, elle exhalait en même temps le parfum de toutes ces vertus qui font d'un jeune chrétien le plus aimable des hommes et le rendent digne des regards du ciel. Attentif à recueillir dans son cœur les moindres parcelles de la parole et de la grâce de Dieu, il y activait chaque jour davantage les flammes de la divine charité ; et le tenant sans cesse élevé en haut par les pieux élans de la prière, il semblait déjà vivre d'avance sur la terre de cette vie céleste, aspiration des nobles âmes que les choses d'ici-bas ne peuvent satisfaire. Les années, qui trop souvent dessèchent la naïve et tendre piété de l'enfance, n'avaient fait en lui que l'accroître, la fortifier, la mûrir et l'exalter jusqu'à l'héroïsme. En effet il avait tout quitté pour embrasser la vie parfaite. Bien plus encore dans la fleur de la jeunesse, il entend, nouvel Abraham, une inspiration secrète qui lui dit de quitter la terre de la patrie et de marcher vers l'Occident, pour aller vénérer les tombeaux des martyrs, y puiser de saintes et grandes inspirations pour travailler à la gloire de Dieu, et gagner des âmes par son exemple et par sa parole. Il part immédiatement sans hésiter, brisant avec toute l'énergie du courage évangélique les mille liens qui l’attachent au pays natal, quittant sa famille, ses amis, et renonçant à toutes les espérances, hormis à celles de l'éternité.

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Le jeune pèlerin dirigea d'abord ses pas vers Rome. Avec quelle vénération et quel amour il toucha le sol de la ville sainte ! Après une longue pérégrination, il crut retrouver une terre connue et amie, la terre des aïeux. Un fils de l’Église ne se sent point étranger dans ce centre de l'unité catholique, dans le sein de la mère de toutes les Églises. Cette patrie de tous les vrais chrétiens, enfants de Dieu, lui offrait l'image de la patrie céleste. Il voyait Jésus-Christ dans son représentant ; il était heureux de pouvoir aller souvent coller ses lèvres sur les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul. Là, ne se croyait-il pas transporté aux temps apostoliques, ne touchait-il pas au berceau du christianisme ? Tous les pas qu'il faisait sur cette terre arrosée du sang de tant de martyrs, honorée de la présence de tant de pontifes si grands et si saints, réveillaient dans son âme ces souvenirs des âges héroïques de l’Église, où les fidèles aiment à retremper leur foi et leur piété. Mais pendant qu'il cherchait ainsi tous les jours dans la ville éternelle des sujets d’édification, le pieux pèlerin ne se doutait pas qu'il était lui-même l'objet de l'admiration publique. Le souverain pontife voulut le voir, le reçut et l'entretint avec une paternelle bonté.

Trouvant en lui dès cette première entrevue l’âme d'un saint, d'un prêtre, d'un apôtre, il désira l'enrôler dans la milice cléricale et lui fit commencer les études nécessaires. Le jeune Cappadocien obéit à la voix du vicaire de Jésus-Christ comme à Jésus-Christ même. Il se mit au travail et fit des progrès si rapides, si merveilleux, que bientôt on ne parla dans Rome que de sa science, comme on ne parlait déjà que de sa vertu. L'Esprit saint qui le remplissait de vertus, dit le biographe, l'inondait aussi de lumière, et le don d'intelligence égalait en lui le don de piété.

Après un séjour de sept ans à Rome, Éman, qui avait entendu parler des nombreux prodiges que Dieu opérait à Milan par l'intercession de saint Nazaire, conçut un vif désir d'aller prier au miraculeux tombeau. Là, il augmenterait encore l'activité de sa foi et l'ardeur de sa charité ; là aussi, en présence de cette cendre éloquente du vaillant athlète de Jésus-Christ, au milieu de la multitude de pèlerins qui affluaient de toutes parts, il pourrait exercer avec fruit son zèle pour le salut des âmes. Plein de ces pensées, il alla donc trouver le prince des évêques, son protecteur, son père et son guide, et lui fit part de son dessein. Celui-ci rendit grâces au ciel qui inspirait à Éman de si nobles résolutions, subvint aux nécessités du voyage, serra le zélé pèlerin dans ses bras paternels, et mêlant ses derniers avis à ses derniers adieux, il ajouta:

« Partez, mon fils ; allez où l'Esprit saint vous appelle, allez travailler à la gloire de Dieu. »

Et sur le jeune homme à genoux descendit la bénédiction du pontife.

Attendri mais plein d'une sainte ardeur, triste et joyeux à la fois, Éman quitta le Saint-Père pour prendre la route de Milan. Un pieux empressement précipitait ses pas : aussi arriva-t-il bientôt dans la ville objet de tous ses vœux. Il n'y choisit point d'autre demeure que l'église où reposait le corps du glorieux martyr. C'est là qu'il passa deux ans, menant une vie qui tenait plus de l'ange que de l'homme ; là que, dans ses communications intimes avec Dieu, il eut une vision céleste et fut inspiré d'aller à Autun prier aussi sur le tombeau de saint Symphorien où, pour répandre de plus en plus et confirmer la foi naissante des peuples barbares récemment établis dans les Gaules, le divin maître voulait bien, comme à celui de saint Nazaire, opérer de nombreux miracles.

 

C'est ainsi que la Providence, qui réservait à l'admirable pèlerin la mission d'exercer l'apostolat au milieu de populations encore à demi chrétiennes et à peine civilisées, la gloire aussi de verser son sang pour l’Évangile, semblait vouloir l'y préparer en l'appelant successivement aux tombeaux des plus grands apôtres et des plus illustres martyrs. Quoi de plus propre en effet à exciter de plus en plus la vivacité de la foi, à enflammer l'ardeur du zèle, à fortifier le courage, que l'exemple de ces héros du christianisme ? Éman, qui ne savait pas balancer un seul instant dès qu'il croyait entendre la voix du ciel, se disposait à partir seul, inconnu, étranger et sans aucun secours humain. Il avait à franchir des montagnes escarpées, à traverser un vaste espace ; mais ni les difficultés, ni la longueur, ni les dangers de la route n'étaient capables de l'arrêter. Dieu, toutefois, content de sa bonne volonté, satisfait de sa prompte et généreuse obéissance, adoucit les rigueurs de cette épreuve par une grande consolation, en lui faisant rencontrer avant le départ un compagnon de voyage tel qu'il n'eût osé l'espérer. Éman s'était jeté entre les bras de la Providence, et la Providence qui ne se laisse jamais vaincre en générosité ne l'abandonna point: elle ménagea des rapports entre lui et notre saint évêque Nectaire qui allait revenir à Autun.

Les deux pèlerins en se voyant au tombeau du martyr de Milan avaient su bientôt se comprendre et s'apprécier: ils furent donc enchantés de pouvoir faire route ensemble. Nectaire se félicitait d'emmener avec lui dans son diocèse un homme si saint et si zélé, dont les exemples et les paroles seraient une prédiction puissante. Éman ne pouvait trop s'applaudir d'être conduit au tombeau de saint Symphorien par l'évêque même de la cité où reposaient les reliques du glorieux martyr. Ils se mirent donc en route, pleins d'une sainte joie, heureux l'un de l'autre et bénissant la bonté de Dieu qui avait bien voulu les rapprocher de si loin. Pendant le voyage, la prière et d'intéressants entretiens venaient sans doute tour à tour se partager les heures. Émanus recueillait avidement de la bouche de son vénérable compagnon une foule de détails pieux relatifs à l’Église éduenne, si féconde en grands souvenirs. Les Actes si beaux de nos saints apôtres et ceux de saint Symphorien, de saint Flocelle, de saint Révérien; l'histoire si intéressante de l'épiscopat des Amateur, des Rhétice, des Cassien, des Simplice et des autres grands évêques d'Autun; celle de l'apostolat et des miracles de saint Martin dans le pays éduen ; la relation du célèbre pèlerinage des deux grands évêques d'Auxerre et de l'admirable prêtre Eptade aux tombeaux de nos martyrs et de nos saints pontifes. Il apprenait aussi avec un vif intérêt les merveilles opérées dans ce lieu sacré, que tant d'illustres serviteurs de Dieu avaient déjà honoré de leur présence durant leur vie; que leurs reliques et leur mémoire consacraient après leur mort, et où de miraculeux bienfaits attiraient encore tous les jours des foules de pèlerins.

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Châsse de saint Symphorien

Ces intéressants récits augmentaient de plus en plus la vivacité du désir qu'avait Émanus de voir cette terre bénie, le berceau de notre Église, ces vénérables catacombes, témoins de la foi et de la piété courageuses des premiers fidèles d'Autun, lorsque, semblables à ceux de Rome, ils allaient pendant la nuit abriter les saints mystères dans les tombeaux du vaste polyandre, cherchant dans la cité des morts la paix que leur refusait la cité des vivants. Nectaire n'oublia pas de parler à Émanus de la célèbre abbaye fondée au siècle précédent par saint Euphrone, où des ermites et des clercs réguliers comme ceux de saint Basile chantaient jour et nuit les louanges de Dieu, auprès des reliques du grand martyr autunois. Le pèlerin de Cappadoce entendit avec un tressaillement de bonheur le nom de son illustre compatriote. En retrouvant bientôt à Autun des disciples, des enfants de l'évêque de Césarée, ne croira-t-il pas y retrouver sa patrie absente ? « , dut-il alors s'écrier avec une joie vive et pieuse, j'aurai donc des frères dans ces bons religieux! Ils voudront bien me recevoir et leur cloître sera pour moi un asile bien aimé. Image du ciel ici-bas, j'y dresserai ma tente et je m'écrierai : qu'il fait bon ici ! En vérité, la Providence se montre bien douce et bien admirable. Pourrais-je assez la bénir ? » Ainsi les deux voyageurs par leurs pieux colloques entre eux et avec Dieu trompaient la longueur du voyage. Peut-être que le jeune pèlerin trouvait un intérêt tout particulier à visiter la Gaule. Cette contrée n'aurait-elle pas été le berceau de ses ancêtres? Car il pouvait fort bien être Galate d'origine, puisqu'il portait le même nom que ce chef gaulois, l'Allobroge Émanus, qui, selon Justin, faisait partie de la grande expédition de Bellovèse. Et les Ombriens, peuple du Milanais, conduits à cette même expédition en Asie, n'étaient-ils point frères des Eduens ? Le vif intérêt avec lequel Émanus visitait Milan et Autun était donc peut- être à la fois religieux et patriotique. Ne retrouvait-il pas dans ces deux villes le souvenir et la terre des aïeux ? La mémoire des saints et la mémoire de la patrie ne parlaient-elles pas toutes deux à son cœur (3) ? Quoi qu'il en soit, Émanus avait une sainte impatience de voir cette terre qui promettait tant d'aliments à sa piété, et qui lui était chère comme chrétien, sinon comme fils des anciens Gaulois. Chacun des récits de Nectaire lui faisait palpiter le cœur, et ses désirs, devançant la marche, s'élançaient vers la ville de saint Symphorien. Enfin apparaît tout à coup l'antique cité, terme du voyage. Il nous semble le voir tomber aussitôt à genoux et saluer de loin ces lieux arrosés du sang des martyrs, pleins de l'histoire et des reliques des saints. Il s'empressa en arrivant d'aller prier avec le pontife, son protecteur et son guide, dans la basilique de l'abbaye, au tombeau de Symphorien où l'avait appelé la vision céleste !

Là, tout deux remercièrent Dieu avec ferveur d'être arrivés sains et saufs après une si longue route au but tant désiré. Nectaire bénissait aussi le divin maître de lui avoir fait trouver dans le pieux Cappadocien un trésor de vertu et de zèle, un modèle de sainteté pour son diocèse. Éman de son côté rendait grâce à la Providence qui lui avait procuré, comme autrefois au jeune Tobie, un ange pour conduire ses pas. Dès qu'ils eurent payé le tribut de la reconnaissance et collé leurs lèvres sur la pierre du saint tombeau, Nectaire se hâta de présenter aux religieux son compagnon de voyage. Avec quelle joie mêlée de vénération ces enfants de saint Basile n'accueillirent-ils pas un fils de la Cappadoce, un saint que Dieu leur envoyait! Ce jour dut être pour l'abbaye une fête de famille. La communauté ne tarda pas à connaître tout le prix du trésor qu'elle possédait; car Dieu lui-même se chargea de faire éclater aux yeux des hommes la sainteté de son serviteur. C'était le lendemain de l'arrivée du pieux pèlerin. Un mendiant tout perclus de ses jambes, qu'on voyait ordinairement près de la porte de l'église implorant la charité des fidèles, occupait ce jour-là son poste habituel. Le saint qui était alors en prière ne le vit qu'en sortant. Aussitôt, touché de compassion, il rentra et continua à prier le reste du jour et la nuit tout entière. Le lendemain, tout rayonnant de l'ardente charité, de la confiance et de la foi vives qu'il venait de puiser dans un long et intime commerce avec Dieu, il alla trouver le mendiant estropié et, le prenant par la main, lui dit après avoir invoqué le nom de Jésus : « Mon ami, marchez. » Le pauvre était guéri. Ce miracle, sceau divin imprimé à la sainteté d'Éman, le fit connaître et le désigna à la vénération publique. Mais lui, toujours humble et caché, aimait à vivre, selon l'expression du Prophète, dans le secret de la face du Seigneur. L'histoire, qui ne consigne ordinairement dans ses fastes que ce qui apparaît et éclate aux yeux des hommes, se tait sur sa vie pendant plusieurs années. L'homme de Dieu ne se distingua-t-il durant cet intervalle par aucun autre fait extraordinaire et frappant ? Nous ne le savons point. Toutefois on peut bien penser que sa parole et son zèle ne demeurèrent pas inactifs et stériles pour le salut des âmes. Au reste sa présence seule était une prédication continuelle, et son exemple, un éloquent apostolat. Quelle action plus puissante sur les peuples que le spectacle quotidien d'une haute vertu ? Dieu ne laissa pas son serviteur jouir bien longtemps du bonheur de cette pieuse retraite où sa main l'avait conduit. L'époque à laquelle il devait l'appeler à de nouvelles pérégrinations et mettre son courage à de nouvelles épreuves était arrivée.

 

Voilà en effet que dans une vision, pendant le sommeil de la nuit, Émanus entendit une voix qui lui disait : « Pars pour Chartres et va prêcher la divine parole aux populations de ces contrées. C'est là que le ciel t'appelle : pars à l'instant et ne crains rien. » Aussitôt il se leva, se mit en route et arriva bientôt, non plus en pèlerin mais plutôt en apôtre, au lieu désigné. Chartres, comme Milan et Autun , avait été un des principaux centres du druidisme (4). Ne serait-ce pas pour cette raison peut être que, poussé par une inspiration céleste, il se rendit successivement dans ces trois villes? Dieu ne l'envoyait-il pas travailler à déraciner les derniers restes des superstitions gauloises? Peut-être aussi était-il attiré à Chartres pour contribuer à répandre la piété envers Marie dans les régions voisines de ce sanctuaire célèbre, lieu vraiment mystérieux, que les premiers apôtres des Gaules trouvèrent prêt à recevoir le Dieu de Bethléem et déjà presque sanctifié par le culte prophétique de la vierge qui devait enfanter? Notre saint ne se rendit certainement pas dans le pays chartrain sans de graves motifs. A peine y était-il arrivé qu'il se mit à prêcher pour obéir aux ordres du ciel et à l'impulsion de son zèle. Dieu seconda ses efforts et les récompensa en lui donnant la consolation, bien chère à un apôtre, d'opérer des conversions nombreuses. C'était la seule qu'il ambitionnât, parce qu'elle se confondait avec la gloire du divin maître. « Ceci, dit le biographe (5), se passait sous le grand roi Théodebert (6), à qui les intérêts de la religion n'étaient pas moins chers que ceux du royaume. » Émanus passa deux ans à Chartres, et son séjour dans cette ville fut marqué par plusieurs faits merveilleux que nous allons raconter. Un saint diacre de cette Église était allé avec un clerc remplir quelques fonctions du saint ministère dans un village à une certaine distance de la ville. À leur retour, comme ils se reposaient sur les bords de l'Eure pendant que leurs chevaux mangeaient, des brigands, probablement encore païens et en haine de la religion, les assaillirent tout à coup, et les ayant tués, jetèrent leurs cadavres dans la rivière. Or, peu de jours après, Dieu révéla dans une vision nocturne à Émanus le lieu où ils étaient. Celui-ci se rendit dès le point du jour à l'endroit désigné, trouva en effet les deux ministres de l’Église massacrés pour le nom de Jésus-Christ, pria longtemps pour eux à genoux sur la rive et les conduisit à Chartres où on leur fit d'honorables et pieuses funérailles. — Une autre fois, comme il passait la nuit en prières, un habitant des cieux portant à la main la palme des vainqueurs lui apparut et lui dit : « Venez avec moi : vous allez voir la gloire des martyrs au ciel et les tourments des impies dans l'enfer. » En même temps, le prenant par la main, il lui montra en effet la félicité des uns et le malheur des autres. Puis, comme Émanus lui demandait qui il était : « Je suis Andoche, répondit le martyr. » Et il nomma également ceux qu'il appelait ses frères, tels que Bénigne, Thyrse, Félix, Pothin, Irénée, Andéol, tous parés de la couronne du martyre (7), tous comme lui disciples de saint Polycarpe et venus de Smyrne pour conquérir à Jésus-Christ ce beau pays des Gaules destiné à devenir la France, la fille aînée de l’Église, le royaume très chrétien. Dieu voulut lui ménager la grâce de cette vision pour donner à son courage une nouvelle force, à son zèle une nouvelle ardeur. En le familiarisant ainsi d'avance avec l'idée du martyre, en lui montrant la récompense et la gloire qui l'attendaient, il le préparait à l'épreuve suprême qui devait couronner son dernier pèlerinage et les travaux de son apostolat. Formé à l'école de la charité évangélique, Éman avait une âme aussi sensible que grande et élevée. Tous les malheureux trouvaient en lui la plus tendre et la plus généreuse sympathie. Nous avons déjà vu un trait de sa bonté compatissante, la guérison de ce boiteux qui mendiait à la porte de la basilique de Saint-Symphorien. En voici un autre: - Les bergers d'un des hommes les plus marquants de la contrée, nommé Bladiste, faisant un jour le recensement de leurs troupeaux, constatèrent la perte de plusieurs têtes de bétail et l'imputèrent aux habitants du hameau voisin qu'ils ne craignirent pas d'accuser de vol. Ces malheureux furent arrêtés, chargés de fers, battus de verges et enfin condamnés à mort. À cette nouvelle, le saint accourut : représentations, promesses, prières, larmes, il employa tout pour les sauver. Et comme rien ne semblait pouvoir fléchir le juge, il s'écria dans un sublime transport de charité : « Eh bien ! si la justice veut être satisfaite, s'il lui faut absolument des victimes, me voici ; que je meure à la place de ces pauvres gens ! » Le magistrat, frappé de tant d'héroïsme, fit élargir les condamnés, en leur disant: « Remerciez l'homme de Dieu ; c'est en sa considération que je vous accorde la vie ». Impossible de décrire tous les témoignages de reconnaissance que ces malheureux, passant subitement du désespoir à l'ivresse d'une joie inespérée, prodiguèrent à un libérateur dévoué jusqu'à la mort. Pour lui, s'arrachant à leurs étreintes, il alla remercier en secret le Dieu bon et tout-puissant d'avoir bien voulu se servir, disait-il, de son indigne serviteur pour ramener des portes du tombeau des hommes qui venaient de voir de si près le dernier supplice, et pour faire des heureux. Afin de mériter de plus en plus que l'Esprit saint donnât de la vertu à sa parole, et aussi afin d'offrir, autant que possible, une compensation satisfactoire pour ses péchés et ceux des autres, Éman se livra dès lors à d'extraordinaires austérités. Refusant aux sens les plaisirs les plus légitimes, il ne s'occupait de la vie matérielle que pour les pauvres; et sa pensée toujours élevée vers le ciel ne descendait sur la terre qu'à l'appel de la charité. Pour lui-même, l’âme était tout : il semblait n'avoir point de corps. Aussi passait-il dans de saintes veilles la plus grande partie des nuits, lisant la divine Écriture, méditant les vérités éternelles, entretenant sans cesse avec Dieu ce commerce intime de la prière auquel les âmes d'élite s'arrachent avec peine, parce qu'elles y trouvent leur force, leur consolation et comme un avant-goût de l'union béatifique. Placées sur ces hauts sommets de la contemplation où l'air est si pur, où rien ne voile le ciel, elles regardent avec tant de dédain et si bas au-dessous d'elles les choses vulgaires au milieu desquelles la multitude s'agite!

 

Cependant la grande fête de saint Symphorien approchait. Éman voulut aller au moins une fois encore prier à ce tombeau chéri que nos pères entouraient d'une vénération, d'un amour et d'une confiance dont nous nous faisons à peine une idée dans ce siècle à demi chrétien. Il lui était si doux de prendre part aux pieuses joies de cette solennité qui se célébrait alors avec une grande pompe, à la fois religieuse et patriotique, et attirait de toutes parts d'innombrables pèlerins. Il partit donc pour Autun et revit avec bonheur cette ville, cette abbaye, cette basilique où l'appelaient d'affectueux souvenirs, où il avait laissé la plus grande partie de son âme. Là, comme à l'époque de son premier pèlerinage, il passait les nuits en prière dans l'église du martyr et attirait l'admiration universelle. Dieu manifesta de nouveau la sainteté de son serviteur, en lui donnant le pouvoir de chasser les démons du corps des possédés ; mais en même temps, pour faire éclater et épurer de plus en plus sa vertu, il le mit à une bien rude épreuve. Quelque vil calomniateur, poussé sans doute par une odieuse jalousie, le noircit, à ce qu'il paraît, auprès de Nectaire; il vint même à bout de prévenir contre lui le saint évêque au point de le faire jeter dans un cachot noir et infect. Le pieux pèlerin se laissa conduire, sans ouvrir la bouche pour se plaindre, dans ce lieu d'horreur. Après avoir écarté les immondices qui couvraient le sol humide, il se mit à genoux, adora les desseins de Dieu et pria comme le Sauveur du monde pour ses aveugles ennemis. Mais voilà que tout à coup l'affreuse prison fut inondée d'une éclatante lumière et embaumée de la plus suave odeur. En même temps la porte s'ouvrit d'elle-même; mais l'archidiacre Euphrone, qui attribuait probablement ce prodige à quelque pouvoir magique, la referma aussitôt. Elle s'ouvrit de nouveau jusqu'à trois fois. Cependant, le vénérable évêque instruit de ce qui se passait, reconnut le doigt de Dieu; et voyant qu’Émanus avait été indignement calomnié, il alla se jeter à ses pieds, lui demanda pardon, l'honora dès lors d'une estime et l'entoura d'une vénération plus grandes que jamais. Bien plus, afin de lui témoigner tout le cas qu'il faisait de son mérite, il le pressa vivement de vouloir bien consentir à entrer dans le clergé. L'humble serviteur de Dieu, qui jusque-là n'avait pas osé accepter le saint ministère des autels, y consentit enfin dans la crainte d'aller contre la volonté divine en résistant aux instances du pontife. Il pensait aussi que l'éminente qualité de ministre de Jésus-Christ serait pour lui un motif de plus d'exercer son zèle, en même temps qu'un moyen nouveau de faire le bien. Prosterné devant le saint évêque d'Autun, il reçut donc de lui la couronne des clercs et une affectueuse bénédiction. Nectaire espérait sans doute pouvoir le conserver dans son diocèse; mais Dieu en avait disposé autrement et ne tarda pas à manifester son intention. Soudain, au milieu du silence et des ténèbres de la nuit, apparaît à Émanus, qui prenait quelques instants de sommeil, un vénérable évêque paré d'ornements plus blancs que la neige et accompagné d'un adolescent à l'angélique visage (8). « Levez-vous, lui dit-il, et retournez à Chartres. De là vous vous rendrez au village appelé Sibernie (9), et je vous montrerai l'emplacement où vous devez bâtir une église. C'est là que vous annoncerez la parole de Dieu, que vous exercerez le ministère apostolique et que désormais vous fixerez votre résidence jusqu'au jour où Dieu couronnera votre vie par un glorieux martyre. » « Quel est votre nom, demanda Éman, ô vous qui m'annoncez une si belle destinée, depuis longtemps l'objet de tous mes vœux ? » « Je suis, répondit le mystérieux personnage, Eusébe, autrefois évêque de Verceil (10). » Et à ces mots, la vision disparut. Éman s'éveilla aussitôt, rendit grâces à Dieu et, après avoir fait une dernière prière au tombeau de saint Symphorien, se hâta de partir pour le pays où le ciel le rappelait : heureux d'emporter avec lui l'assurance d'aller bientôt revoir au ciel le vénérable pontife et l'aimable adolescent, probablement saint Symphorien, qui lui avaient apparu.

 

Arrivé à Orléans, notre saint lévite, persuadé que le sacerdoce lui était indispensable pour travailler plus efficacement au salut des âmes, alla trouver l'évêque de cette ville pour lui communiquer son projet. Celui-ci, frappé de l'air de sainteté qui se remarquait dans Émanus, l'accueillit avec une bienveillance mêlée de respect, l'apprécia de plus en plus à mesure qu'il le connut davantage ; et voyant que c'était un apôtre que le ciel lui adressait, il acquiesça bientôt à sa demande. L'homme de Dieu, fortifié encore par la grâce du sacerdoce, plein d'un nouveau zèle pour le salut des âmes et d'une nouvelle ardeur pour le martyre, se rendit incontinent à Chartres et de là dans le lieu où la vision nocturne l'avait appelé, y bâtit une église, s'y livra avec une infatigable activité à tous les travaux du ministère pastoral et de l'apostolat, en attendant la palme qui lui avait été promise. C'est alors qu'il lui arriva plusieurs aventures qui montrent à la fois sa charité, son inaltérable douceur et la protection dont Dieu l'environnait. Un jour ayant été invité chez Bladiste, ce grand seigneur dont il a déjà été question précédemment, il crut devoir accepter, sacrifiant, bien qu'à regret, son amour pour l'humilité, la mortification et la retraite, à un devoir plus impérieux. Comme la route était longue, il fut obligé de s'arrêter, en revenant, dans une maison pour y passer la nuit. Ne sachant où mettre son cheval, il fit un signe de croix sur lui et le laissa paître en liberté et à la garde de Dieu sur la pelouse voisine. Or, un des convives de Bladiste, nommé Abbon, vil parasite, cupide autant que pauvre, s'empara de l'animal, monta dessus, mais ne put s'éloigner. C'était un fait analogue à celui que nous a raconté précédemment le biographe de saint Germain d'Auxerre. Émanus, montrant alors la même charité que le grand évêque, feignit de croire que le voleur avait besoin de son cheval, le pria très poliment de s'en servir et finit même par lui donner de quoi acheter une chaussure neuve, afin qu'il fût moins tenté de voler des chevaux. Quelque temps après, ce misérable eut des imitateurs qui essayèrent de dérober quelques brebis appartenant au saint prêtre. Mais au moment où ils s'introduisaient dans la bergerie, ils furent frappés d'une étrange et subite terreur et s'enfuirent précipitamment glacés d'effroi. Le lendemain, dévorés par le remords , poussés comme malgré eux par une force secrète et encore tout tremblants, ils allèrent se jeter aux pieds du saint prêtre, avouant leur crime et demandant pardon. Reçus par lui avec une compatissante et miséricordieuse bonté, touchés des douces et pieuses paroles qui tombaient de ses lèvres souriantes, ils se retirèrent les larmes aux yeux, enchantés et meilleurs. Les âmes les plus viles ne pouvaient résister à l'ascendant de tant de vertu, se soustraire à l'influence de tant de charité : profondément émues, elles se sentaient attirées par un charme vainqueur et ramenées au bien. Cependant la réputation de l'homme de Dieu s'était déjà répandue au loin, comme on va le voir. Un homme puissamment riche, d'une province d'Allemagne, avait un fils sourd et aveugle de naissance. Après mille tentatives inutiles et d'énormes dépenses, le malheureux père, ayant entendu parler d’Émanus, lui envoya son fils en le priant d'obtenir du ciel la guérison de ce cher et unique héritier, pour laquelle tous les moyens humains étaient évidemment impuissants. Notre saint, que nulle affliction ne trouvait insensible, se mit aussitôt en prière et ne cessa pendant quatre jours de demander à Dieu qu'il voulut bien, pour sa gloire et pour le salut du peuple, manifester sa puissante bonté en faveur de ce pauvre jeune homme et de cet inconsolable père. Une prière que la foi, la confiance et la charité rendaient si persévérante, fut exaucée. Le cinquième jour l'enfant, parfaitement guéri, partait pour son pays; et avec lui la joie et le bonheur rentrèrent dans sa famille. Un adolescent nommé Urbitius, jouant un jour avec ses compagnons, fut tué par l'un d'eux. Ce triste accident, qui avait fait apparaître la mort au milieu des plaisirs, jeta le deuil dans plusieurs familles. Les parents du mort s'emparèrent aussitôt du meurtrier et le conduisirent à Chartres où il fut mis en prison. Déjà on instruisait son procès; déjà même il était question pour lui de la peine capitale. A cette nouvelle l'homme de Dieu courut à la ville pour interposer sa médiation. « N'est-ce pas assez et beaucoup trop d'un mort, disait-il ? Pourquoi deux malheurs ? Pourquoi frapper deux familles ? Le supplice de l'un rappellera-t’-il l'autre à la vie ? Pourquoi donc vous obstiner à une vengeance qui est à la fois inutile et criminelle ? Rappelez-vous plutôt que Dieu ne vous pardonnera qu'autant que vous aurez vous-mêmes pardonné, Ah ! je vous en conjure, écoutez les paroles de paix que je vous apporte de sa part, moi son ministre et votre pasteur ! » Mais, représentations, exhortations, prières, tout fut inutile. Espérant que la mère de la victime se laisserait plus aisément fléchir, il la prit en particulier et renouvela auprès d'elle toutes ses instances. Cette femme, aigrie par le chagrin et ne respirant que la vengeance, s'obstina à ne vouloir rien entendre et demeura inflexible. Alors l'homme de Dieu vit bien que l'intervention du ciel était nécessaire et que le bras seul du Tout-Puissant pouvait briser des cours si durs. Il se rendit donc à la prison et pria longtemps avec une grande ferveur. Sa prière n'était pas achevée que tout à coup les fers qui enchaînaient les pieds et les mains du prisonnier tombèrent d'eux mêmes. Ce prodige vainquit enfin l'obstination de la famille du mort: le jeune homme fut mis en liberté. Mais la femme vindicative et altérée de sang, qui avait opposé aux prières du saint une criminelle résistance, fut punie comme elle le méritait. Ce jour-là même, le démon s'empara d'elle; et alors, par un contraste frappant, on vit toute cette famille qui avait d'abord rebuté si durement le saint prêtre, forcée de venir se jeter à ses pieds pour implorer son assistance. Émanus qui était trop grand pour ouvrir, même un seul instant, son âme au plaisir d'une représaille, se mit aussitôt en prière, et la possédée fut incontinent délivrée de l'esprit malin. Toutefois cette malheureuse famille n'était qu'à demi consolée: elle pleurait toujours la perte d'un fils chéri. Touché de tant de douleur, le saint se rendit auprès du cadavre, et plein de confiance dans le Dieu qui est la charité même, il le pria de vouloir bien achever son œuvre. Puis soudain, à l'invocation du nom de Jésus, le mort se leva plein de vie. Sa mère, dont les yeux étaient encore mouillés de larmes, passa dans le même moment de la plus profonde tristesse aux transports de la joie la plus délirante et de la reconnaissance la plus vive, auxquels elle mêlait l'expression du vif regret d'avoir contristé par son obstination vindicative le saint homme qui ne s'était pourtant vengé que par des bienfaits. Les deux familles réconciliées et heureuses glorifiaient Dieu, bénissaient son serviteur, admiraient de plus en plus une religion qui donnait à la fois et tant de puissance et tant de charité. Mais voici de nouveaux prodiges. Un seigneur nommé Laudon avait conçu une affection coupable pour une vierge consacrée à Dieu. Le père de la jeune personne, soutenu de tous ses proches et de tous ses amis qui étaient fort nombreux, opposait au sacrilège une résistance invincible. Laudon, désespéré, furieux, médita un projet de vengeance et trouva enfin le moyen de faire jeter en prison ce malheureux père avec quarante personnes. Que faire contre un homme si puissant? Quel secours pourra invoquer la famille éplorée? Un seul espoir lui reste, le saint prêtre Émanus, l'ami de Dieu, le protecteur du faible et de l'opprimé, lui dont la charité opère des merveilles. On court l'avertir de ce qui se passe. Aussitôt il part, et rencontrant sur la route le vil oppresseur de la vertu, le persécuteur de l'innocence, qui chevauchait entouré d'un cortège d'hommes armés, il s'élance, transporté d'un saint zèle, saisit la bride de son cheval et lui crie : « Au nom de Dieu, arrêtez; rendez à la liberté tous ces malheureux que vous avez chargés de chaînes et ne vous souillez pas d'un double crime. » Le féroce Laudon, sourd aux paroles du saint, pique des deux et s'enfuit rapidement. Mais quand il fut à une certaine distance, frappé tout à coup d'une terreur surnaturelle, il tomba aux pieds de l'homme de Dieu, en lui demandant pardon: son cœur était changé. Il fit aussitôt mettre en liberté les pauvres détenus victimes de sa colère, et imposa un frein à sa criminelle passion. Notre saint ne tarda pas à trouver d'autres occasions de donner encore à quelques malheureux sa miraculeuse assistance. Sur les bords de l'Eure habitait un homme nommé Orfactius, énergumène furieux. Nul ne pouvait l'aborder, et on le voyait avec horreur se déchirer les lèvres de ses propres dents. Ses parents et ses amis ayant entendu parler de la sainteté d'Éman et des prodiges qu'il opérait, le lui amenèrent. Le serviteur de Dieu, touché de compassion, se jeta aussitôt à genoux. Sa prière, que portaient au ciel l'ardeur de sa charité et la vivacité de sa foi, était à peine achevée que le malade se trouva guéri. Dans le même temps, il rendit la raison à un pauvre fou en priant pour lui. C'est ainsi que Dieu, en consacrant par tous ces prodiges et par beaucoup d'autres encore que nous ne rapportons pas, dit l'historien, l'éminente sainteté de son serviteur, achevait d'implanter la foi dans les populations des campagnes; car il ne fallait rien moins que le spectacle de vertus et de faits extraordinaires pour frapper ces esprits grossiers. Mais celui qui se regardait comme le très humble et trop indigne instrument de ces œuvres divines ne manquait jamais, de peur que la moindre parcelle d'amour-propre ne tombât sur son cœur, de recommander toujours aux personnes guéries de ne point dire par qui elles l'avaient été.

 

Néanmoins, malgré tant de précautions, l'éclat de ses miracles perçait bien vite le nuage dont il voulait les envelopper, et son humilité était toujours trahie par la renommée qui répandait partout sa gloire avec la gloire de Dieu. Cependant il soupirait sans cesse après la palme du martyre qui lui avait été promise, comme le terme et la récompense de ses travaux; mais toujours humblement soumis à la volonté du divin maître, il attendait cette faveur, objet de ses désirs, avec une patience résignée et de plus en plus active, ne songeant qu'à travailler à s'en rendre digne. Enfin arriva le moment marqué par la Providence. Un jour il alla se promener avec ses deux compagnons, les dignes coopérateurs de son apostolat, dans un bois voisin de son humble demeure. Or, il y avait en ces lieux une troupe de brigands qui depuis longtemps désiraient attenter à la vie de l'homme de Dieu.

Cette bouche qui prêchait la foi et la morale évangéliques leur était odieuse. Le fanatisme du vice contre la vertu, du paganisme expirant contre le christianisme vainqueur, plus encore que la soif de l'or, excitait leur rage, armait leurs bras. Ces misérables ayant aperçu Émanus au sein de la forêt sombre et déserte, crurent l'occasion favorable pour exécuter leur affreux projet. Ils sortirent donc aussitôt de leur repaire et coururent à lui en brandissant leurs épées. A cette vue, le saint s'avança d'un air digne et calme au-devant d'eux et les invita avec douceur à quitter la voie du crime pour embrasser la loi de Jésus-Christ. Mais ces paroles de paix et de salut loin de désarmer les brigands, sectateurs barbares de l'ancien druidisme, ne firent qu'enflammer davantage leur fureur homicide. « Il y a trop longtemps que tu prêches : meurs. »Et à ces mots, ils le massacrèrent avec ses collaborateurs, le 17 des calendes de juin (16 mai), vers l'an 560. Les anges vinrent recueillir les âmes des martyrs et les accompagnèrent au ciel. C'est ainsi que pour les soldats de Jésus-Christ le jour de la mort devient le jour du triomphe. Avec quel bonheur Émanus prit place au milieu de ces martyrs de Rome et de ces martyrs de Milan dont il était allé vénérer les reliques; à côté de notre Symphorien sur le tombeau duquel il avait si souvent passé les jours et les nuits, dÉmandant à Dieu le même courage, le même sort, la même récompense. Sa prière était exaucée: il possédait la couronne éternelle. Son corps et celui de ses deux compagnons, martyrisés avec lui, furent inhumés à Islaris-Cella (Illiers) par des religieux; et jusqu'à ce jour, dit le biographe, le Dieu tout-puissant n'a pas cessé d'opérer des miracles sur le tombeau de ces trois fidèles serviteurs morts pour sa cause. Bien des années après, les précieux restes de saint Éman furent transportés à Chartres dans l'église de Saint-Maurice hors des murs, où ils devinrent l'objet de la vénération publique.

« Nous espérons, continue le vieil historien, que tous les honneurs rendus par nous au saint martyr et en son nom à notre Seigneur Jésus-Christ auxquels ils se rapportent, nous mériterons sa puissante protection au ciel, où il vit avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit auxquels appartiennent toute louange et toute gloire, au delà des temps et des siècles, au delà de l'éternité. »

 

Tel fut Éman, l'un des saints que nous avons vus jusqu'ici les plus dévoués, avec Cassien et Eptade, au culte de saint Symphorien en la cité d’Autun.

Représentation de l'église Saint-Maurice à Chartres
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Notes :

  1. D’après Venance Fortunat (530-609) évêque de Poitiers.

  2. Nous suivons les Actes de saint Éman tels qu'ils ont été découverts et publiés. (Bolland, 16 mai.)

  3. Mémoires de la Société éduenne

  4. Chartres, dit le P. Longueva, était comme le centre de la religion des anciens Gaulois. Hist. de l'Egl. gall., t. 1, p . 81. )

  5. La vie de saint Éman, écrite par un contemporain , est tirée d'un manuscrit découvert dans l'abbaye de Vendôme par André Duchêne. Bolland . , 16 mai , p . 595.

  6. Théodebert régna de 534 à 548.

  7. Innotuit ei nomen suum et nomina fratrum suorum secum martyrio coronatorum ... Bolland.

  8. L'histoire ne nomme pas cet adolescent, mais il est à croire que c'était saint Symphorien.

  9. Peut-être Illiers ?

  10. On est peut- être étonné qu'Eusèbe de Verceil apparaisse à Émanus. Le pieux pèlerin avait sans doute une dévotion toute particulière à ce saint évêque et était allé probablement vénérer ses reliques pendant son séjour à Milan . D'ailleurs Eusèbe pouvait être cher à Émanus, parce qu'il avait introduit en Occident une règle analogue à celle de S. Basile , suivie par les clercs de Saint-Symphorien et par Émanus lui-même.

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pelerinage1971

Le pèlerinage de Saint-Éman du dimanche 16 mai 1971… dans le journal

Une photocopie de coupure de presse datant de plus de cinquante ans est loin d’égaler la reprographie numérisée de nos jours.  Cet article issu des archives de la famille Courteil retranscrit ici dans son intégralité a le grand mérite de nous faire revivre dans le détail le déroulement de ce pèlerinage initié en 1971 renouant avec la traditionnelle fête patronale tombée dans l’oubli.

Pour   le   pèlerinage   et   la   fête   patronale

la population de St-Éman fut multipliée par 20

La France ne compte qu’une seule commune portant le nom de Saint-Éman. Celle-ci, discrètement blottie dans le vallon à proximité d’Illiers, n’a que 47 habitants. Mais elle possède une curiosité : la source du Loir, que chanta Pierre Ronsard en 1550 :

 

            Source, d’argent toute pleine,

            Dont le beau cours éternel

            Fait pour enrichir la plaine

            De mon Pays paternel.

 

            Elle possède aussi une belle église, étroite et ancienne, avec un porche à la charpente ouvragée classé par les Monuments historiques.

 

            Saint-Éman, dans son écrin de verdure, paraît vouloir sortir de sa solitude, de son silence. La fête patronale, tombée dans l’oubli depuis longtemps, ainsi que le pèlerinage, ont fourni l’occasion d’inviter les parents et les amis à prendre le chemin de la source du Loir.

 

            Et c’est ainsi que nous avons vu dimanche la population de Saint-Éman multipliée au moins par vingt.

Encouragée par le maire, M. Courteil, par l’adjoint M. Jude, une équipe de personnes aussi courageuses que dévouées fit « le ménage » dans l’église. Balais et têtes de loup firent disparaître la poussière et les toiles d’araignées de ce lieu de culte pratiquement toujours fermé depuis un quart de siècle. Ensuite, il fut procédé à l’encaustiquage. Et ce ne fut pas une mince affaire !

 

            Dimanche, on pouvait voir des fleurs sur les autels et l’église sentait bon la cire, comme une chapelle de communauté religieuse.

Après ce premier miracle de la propreté, on assista à un autre : l’église se révéla trop petite pour contenir la foule. Aucune place ne resta vide. L’on vit même de dignes personnes assises sur les marches de la chaire.

 

            L’Harmonie d’Illiers, sous la direction de Me Wilpotte, apporta une note artistique dans cette cérémonie religieuse.

 

            Revêtu des ornements rouges, endosser pour fêter un saint martyr, Mgr Dongradi, prélat de Sa Sainteté, vicaire général, célébra la messe, demandant à l’assistance de s’unir au saint sacrifice « dans la joie et dans la prière ». Commentant les lectures du martyre du diacre saint Étienne, il montra que saint Éman se consacra pareillement au service du Seigneur pour porter le message de l’évangile dans cette région où il fut martyrisé.

 

            Mgr Dongradi invita à réfléchir sur « la fidélité » aux devoirs religieux après les engagements du baptême, et sur les devoirs de charité, de bonne entente, qui s’imposent aux communautés chrétiennes.

 

            L’office terminé, M. l’abbé Brossier, curé d’Illiers, adressa de nombreux remerciements. De même, M. Courteil, maire, s’approcha du micro et dit avec beaucoup d’émotion combien il était heureux de cette journée, qui a vu la reprise de la tradition du pèlerinage et de la fête patronale.

 

            Saint Éman que l’on invoque en période de grande sécheresse pour demander de la pluie, n’ajouta rien à la pluviométrie actuelle. C’est sous un beau soleil que se déroula la procession autour de la source et autour de l’église, dans le cimetière très propre, où les tombes avaient bénéficié également du nettoyage. Dans ce village peu peuplé, ce sont souvent les mêmes noms que l’on lit sur les plaques. Et l’on constate que l’on vit vieux à Saint-Éman.

(NDLR : Le 17 mai 1971, dans un autre journal local, on lisait « Les gens n’étaient pas contents » car le curé, lors de la procession, s’était refusé au rituel de l’immersion du bâton du saint patron dans la fontaine votive. Il faudra attendra le 14 mai 2022 à Saint-Éman pour retrouver sous la conduite de l’abbé Olivier Monier la procession avec le rituel de la triple immersion du bâton du saint dans la fontaine, tradition abandonnée depuis le pèlerinage effectué en mai 1963 suite aux nouvelles dispositions édictées par le concile de Vatican II). 

            L’harmonie joua encore quelques morceaux, et la foule avait le choix, sur place, entre quelques jeux organisés sous tente par l’Amicale des Anciens Combattants d’Algérie de Brou.

 

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