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Le colombier de Saint-Éman (Eure-et-Loir)

L’article précise que « Parmi ceux que l’on peut encore admirer en Eure-et-Loir, on peut citer ceux d’Ardelles, Beauche, Conie-Molitard, Monboissier, Néron, St-Arnoult-des-Bois, Saint-Éman, Sours… ».

Le colombier de Saint-Éman

Il a fallu un article consacré aux colombiers d’Eure-et-Loir dans le magazine « L’Eurélien » de mars-avril 2023 pour prendre conscience de l’existence d’un colombier sur notre propre territoire… Et aujourd’hui bien des Émanois sont à la peine pour citer spontanément son emplacement !

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Les colombiers d'Eure-et-Loir dans "L'Eurélien" de mars-avril 2023 (p2)

À Saint-Éman, le colombier, plus communément appelé pigeonnier, situé au milieu de la cour de la ferme des Pâtis, devait déjà exister au début du XIXe siècle à l’époque du Comte Louis de Malart, avant la construction du château neuf en 1868.  Il est bon de rappeler que ce nouveau châtelain avait épousé Marie-Henriette Du Mouchet de La Mouchetière de la précédente lignée ancestrale des seigneurs de Saint-Éman.

 

Jusqu’à la fin de l’Ancien régime, en 1789, les seigneurs érigeaient des colombiers sur leur domaine en véritable « signe extérieur de richesse ». Ils étaient les seuls à détenir le « droit de fuye », celui d’élever des pigeons. Ce droit était réservé aux seigneurs, hauts justiciers et abbayes. Le nombre de nichoirs appelés boulins était lié à la richesse du maître des lieux. Dans le pigeonnier, il y avait un boulin, logement d’un couple de pigeons, par demi-arpent de terre en propriété (NDLR : environ 1/2 ha). Certains propriétaires rajoutaient de faux boulins pour faire croire qu’ils avaient beaucoup de terres afin de mieux marier leurs enfants, d’où peut-être l’origine de l’expression « se faire pigeonner ».

 

L’intérêt du colombier était de disposer de pigeonneaux dont la chair était fort prisée lors des festins donnés dans la demeure seigneuriale. Le métayer de l’exploitation agricole du château disposait quant à lui des nombreuses déjections de pigeons, riche engrais convoité pour les cultures. La colombine était utilisée en fumure jusqu’au milieu du XIXe siècle.

 

Les paysans, l’heure de la Révolution venue, avaient voulu à travers les cahiers de doléances, abolir ce privilège parmi tant d’autres. En effet, à partir de ces colombiers où ils nichaient, les nombreux pigeons allaient dévaster les semailles et les maigres récoltes des petites fermes voisines, une véritable calamité !

 

Le colombier est mort, vive le pigeonnier !

 

Paradoxalement après la Révolution, le pigeonnier devint la partie emblématique du riche habitat paysan s’imposant au milieu de la cour des fermes fortifiées. Ces témoignages sont encore vivaces dans nos campagnes.

 

Le colombier de Saint-Éman passe aujourd’hui inaperçu sur le bord de la route, dissimulé derrière les murs de clôture. Pour satisfaire la curiosité et entrevoir le colombier, il faut s’approcher du portail (Propriété privée, entrée interdite)… puis imaginer, à l’ombre de la tour ronde, une scène de la vie paysanne ordinaire au temps des moissons après la guerre de 1870, la paix retrouvée avec l’envol d’une colombe.  

Quelques caractéristiques architecturales du colombier de Saint-Éman :

 

Le pigeonnier se présente sous la forme d’une tour cylindrique, détachée des bâtiments de la ferme, au milieu de la cour fermée. L’emplacement d’un pigeonnier est toujours choisi loin des grands arbres pouvant abriter des rapaces, et protégé des vents dominants. La tour est construite en pierres de silex avec quelques blocs du grison endémique. Les murs sont revêtus d’un enduit de teinte ocrée avec quelques traces de ciment de tuileau rosé. Les portes d’accès, haute et basse, sont parées d’un encadrement de briques. La charpente conique est recouverte de tuiles plates avec un épi de faîtage en zinc. Sur les murs lisses, nous pouvons remarquer aux 2/3 de la hauteur de la tour, une ceinture de briques en saillie, corniche de défense appelée larmier ou randière, afin d’empêcher la montée des prédateurs : rats, fouines, belettes. Le larmier protégeait  également les murs des eaux de ruissellement de la toiture. 

Il n’y a pas de lucarnes ni de balconnets d’envol dans le pigeonnier des Pâtis. La porte haute du pigeonnier, seul accès, est joliment ornée d’un motif en forme de cœur… cœur de pigeon ! Cette porte devait impérativement être maintenue fermée à l’époque des semailles. De petits abreuvoirs et mangeoires étaient disposés à l’intérieur de la tour pour permettre aux pigeons de s’alimenter pendant les fermetures saisonnières.

L’intérêt que l’on porte aujourd’hui au colombier de la ferme des Pâtis est aussi une belle invitation  à donner un coup de projecteur sur les familles d’agriculteurs qui s’y sont succédées pendant le XIXe siècle. Une belle occasion aussi pour redécouvrir des patronymes familiers qui ont cours dans les exploitations agricoles des villages voisins mais qui ont, aujourd’hui, déserté le village de Saint-Éman : Gatineau, Cabaret,...

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En 1836, nous lisons que Jacques Née était le métayer des terres agricoles rattachées au château du Comte Louis de Malart. Dans le registre du recensement, toutes les familles étaient mentionnées au lieu-dit des Pâtis sans distinction entre demeure seigneuriale et exploitation agricole. Nous dénombrions jusqu’à dix-huit personnes vivant sur place. Parmi les membres de la famille de Malart, nous trouvions Jacques de Goussencourt, capitaine, marié à Marie-Louise de Malart. Il sera à l’origine de la dernière lignée des châtelains de Saint-Éman qui s’éteindra en 1920 avec le Comte Edgar de Goussencourt.

En 1846, Louis Gatineau succédait à Jacques Née. Il exploitait les terres agricoles avec ses trois enfants âgés de 18 à 22 ans.

 

En 1876, après la construction du château neuf par le Comte de Goussencourt, le recensement de l’époque indiquait que Julien Cabaret, âgé de 30 ans, natif de Billancelles, était l’exploitant des lieux. Il y avait sur la ferme un charretier, un berger et deux domestiques, le plus jeune étant âgé de 13 ans. En 1881, Julien Cabaret décédé, c’était sa jeune épouse Sinaï Desnoyers, veuve Cabaret, née à Meslay-le-Grenet, âgée de 27 ans, qui reprenait les rênes de l’exploitation. Par la suite deux agriculteurs se succéderont jusqu’à l’aube du XXe siècle : Tout d’abord Alphonse Carré qui fut également adjoint au Conseil municipal aux côtés du Comte Edgar de Goussencourt, maire, propriétaire du domaine agricole. Puis à la fin du XIXe siècle avant que Louis Langlois ne soit mentionné comme agriculteur à la ferme des Pâtis, les travaux des champs furent effectués par les journaliers habitant au hameau voisin des Fauquetteries, François Courteil, Eugène Dupont, et Alphonse Bullou. (Constat fait grâce au recensement de l’année 1896).

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NDLR : Le dernier habitant et exploitant de la ferme des Pâtis fut Jean-Claude Foussard, arrivé en 1965 et parti, en retraite, au début des années 2000. Sa veuve Christiane rencontrée le 9 mars 2023 m’a confirmé la présence de nichoirs dans la partie haute du pigeonnier en précisant toutefois que cette tour était réduite depuis bien des années à un simple usage de remise.

 

Dans ma perpétuelle quête d’informations sur notre petit village, lors d’une précédente conversation, Christiane Foussard m’a également apporté ce témoignage sur le village et l’église : à son arrivée à Saint-Éman, elle n’a pas connu la procession avec le rituel de l’immersion du buste ou du bâton de procession de saint Éman. Cette tradition avait été abandonnée deux ans auparavant. À cette époque, le village comptait moins de dix maisons, perdues et isolées au milieu de la campagne et seulement 45 habitants. En 1965, l’église était désertée, dans un triste état, plus de messe..., la commune utilisait l’édifice comme remise en l’encombrant d’objets divers et hétéroclites. Mme Foussard et son mari devaient se rendre à l’église de Nonvilliers-Grandhoux pour suivre les offices. C’est à partir de 1971 que l’église retrouva un nouvel intérêt avec, entre autres, l’initiative des Amis de Marcel Proust d’honorer le centenaire de la naissance de l’écrivain par un concert donné à « Saint-André-des-Champs ». Par la suite, la municipalité conduite par le maire Gérard Courteil  a eu l’envie de faire célébrer des messes dédiées à saint Éman au mois de mai de chaque année lors de fêtes patronales. Il faudra attendre le samedi 14 mai 2022 pour renouer avec la traditionnelle procession et son rituel jusqu’à la fontaine votive célébrée par l’abbé Monnier.

Pour conclure cet article, nous invitons les personnes intéressées par les colombiers, pigeonniers du département à venir voir à 28 km de Saint-Éman, un magnifique spécimen situé au Trocadéro près du Château des Vaux à Saint-Maurice-Saint-Germain.

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