Louis Percheron :
un cultivateur de Saint-Éman, « Mort pour la France »
En feuilletant les archives des concessions du cimetière de Saint-Éman, nous nous sommes trouvés face à une énigme ! Par un bulletin de transcription des autorités militaires daté du 5 octobre 1945, nous apprenons qu’un enfant du village, Louis Percheron, né le 4 novembre 1907, était déclaré « mort pour la France » le 27 juillet 1944 dans la province d’Holstein en Allemagne du nord, proche de la frontière avec le Danemark !
Au cours de ces dernières décennies, les habitants, y compris les plus anciens d’entre eux, n’avaient jamais évoqué le parcours de cet émanois pendant la seconde guerre mondiale au cours de laquelle il a trouvé la mort, à l’âge de 36 ans, enrôlé dans le 44e Régiment d’Artillerie Nord-Africain (R.A.N.A.).
Aucune victime de la guerre 39-45 n’est gravée sur la pierre du monument aux morts de Saint-Éman. Le nom de Louis Percheron n’y figure pas.
Dans le cimetière du village, le caveau familial avec la sépulture de Louis Percheron, ne porte aucune inscription particulière, et le nom du défunt n’est pas distingué de la mention honorifique de « Mort pour la France » décernée par le Ministère de la Guerre. Cette reconnaissance permettait aux corps des victimes de guerre de bénéficier d’un droit à une sépulture perpétuelle dans le cimetière choisi par la famille lors de la restitution du corps pour honorer à jamais leur mémoire. (NDLR : Ce qui fut fait par le secrétariat général aux anciens combattants en 1945 qui s’est chargé des démarches et formalités pour le rapatriement du corps du cimetière de Brunsbüttel-Koog où Louis Percheron avait été inhumé en juillet 1944).
Dans l’allée du cimetière, à quelques pas, mais au titre de la guerre 14-18, un autre compagnon d’infortune repose en paix pour l’éternité, il s’agit du soldat Gabriel Huvet qui, comme Louis Percheron, est décédé dans un hôpital militaire des suites de la maladie contractée pendant la guerre. Contrairement à la nudité de la sépulture de Louis Percheron, celle de Gabriel Huvet arbore les symboles guerriers et patriotiques avec les branches de laurier et de chêne d’un soldat « Mort pour la France ».
À croire que l’on voulait oublier, occulter cette mort, pourtant honorée par l’Armée française.… Une chape de silence était tombée sur le nom de Louis Percheron, un enfant d’une famille de cultivateurs du côté des Roselles à Saint-Éman... Pourquoi un tel mutisme ? D’autant plus que l’on ne pouvait pas évoquer l’amnésie liée au temps s’agissant d’histoire contemporaine !
« Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents ».
Victor Hugo
Janvier 1865
Chaque année, à l’automne, il y a même jusqu’aux feuilles mortes des platanes qui viennent couvrir la pierre tombale, pour mieux la dissimuler et la soustraire aux regards des passants… Il convient aujourd’hui de lever le voile sur cette page d’histoire locale. À notre façon, faisons écho à la reconnaissance solennelle de l’autorité militaire (officialisée à la date du 5 octobre 1945) et rendons hommage à cet honorable soldat.
Louis, Désiré, Charles Percheron est né le 4 novembre 1907 à Saint-Éman. Son patronyme illustre bien son ancrage dans le terroir du Perche et témoigne de sa robustesse dans la besogne.
L’acte de naissance en mairie nous apporte les précisions suivantes :
L’an mil neuf cent sept, le quatre novembre, à six heures du soir, par devant nous, Louis Antoine Edgar, comte de Goussencourt maire et officier de l’état civil de la commune de Saint Eman arrondissement de Chartres département d’Eure-et-Loir, à la mairie a comparu Percheron Ernest Hippolyte Mary âgé de trente six ans cultivateur domicilié aux Roselles en cette commune, lequel nous a déclaré que ce jourd’hui à trois heures du soir Esnault Louise Joséphine, sans profession, son épouse, âgée de vingt huit ans domiciliée avec lui est accouchée en son domicile d’un enfant de sexe masculin qu’il nous a présenté et auquel il a dit vouloir donner les prénoms de Louis Désiré Charles.
Les dites présentation et déclaration faites en présence de Fauquet Gustave Baptiste propriétaire âgé de cinquante neuf ans et de Grégoire James Abel Placide cafetier, âgé de trente cinq ans, tous deux domiciliés en ce bourg et non parents de l’enfant. Dont acte que nous avons signé avec le déclarant et les deux témoins lecture faite.
Enfant, on trouve sa trace à l’âge de 4 ans au foyer familial dans le registre du recensement de 1911. Son père Ernest, Hippolyte, né à Yèvres en 1871, est déclaré fermier à la ferme des Roselles. Sa mère Louise, Joséphine Hénault est née en 1879 à Frazé, elle est sans profession. Louis vit avec sa sœur Aimée, Louise, Élisa, de sept ans son aînée. La famille Percheron a pour voisin Victor Colas qui est le garde particulier de M. Chapet, gros propriétaire terrien et forestier, à l’affût des braconniers sévissant dans les bois de son patron sur les terres des Châtelliers-Notre-Dame.
Dix ans plus tard, en 1921, on apprend que Louis a une nouvelle petite sœur Andrée, Marie née en 1918. Sa sœur aînée, Aimée, âgée maintenant de 21 ans travaille sur la ferme ainsi que Pierre Percheron, son oncle, et Théodore Esnault, son oncle maternel, tous domiciliés aux Roselles. La famille a de nouveaux voisins, il s’agit de la famille d’Antoine Blondeau qui est cantonnier, sa femme Désirée est couturière.
En 1926, le foyer familial ne compte plus que quatre personnes, les parents, Louis et sa petite sœur Andrée, âgée de huit ans. Louis Percheron travaille sur la ferme avec son père. Les voisins ont à nouveau changé. Habitent maintenant à côté de chez eux, Sylvain Terminet, qui est peintre et Marie Bihet de vingt ans sa cadette, de quoi alimenter certainement les commérages au lavoir... d’autant plus que les nouveaux voisins sont originaires des départements du Cher et de La Loire « Ils sont point d’chez’nous ceux-là, encor’ des accourus ! ».
Au cours de l’année 1926, à son vingtième anniversaire, Louis Percheron passe devant le Conseil de révision à Illiers comme tous les jeunes de la « classe 1926 ». Il est déclaré « bon pour le service » avec le numéro de recrutement 603.
Dans sa fiche militaire, il est précisé qu’il exerce la profession de cultivateur. A défaut de photographie, grâce aux renseignements de la rubrique « Signalement », on peut esquisser un portrait de Louis Percheron, il mesurait 1m70, cheveux : châtain foncé ; front : moyen ; visage : ovale ; yeux : gris bleu ; nez : ordinaire.
C’est le 10 mai 1928, qu’il effectue son service militaire dans l’Artillerie. Le 5 mai 1929, il est affecté au 71e régiment d’artillerie comme 2e canonnier. Il est renvoyé dans ses foyers le 7 octobre 1929 avec un certificat de bonne conduite.
Par le recensement de 1931, on apprend qu’à cette date son père, Ernest, Hippolyte, est décédé. Louis vit et travaille à la ferme des Roselles, avec sa jeune sœur et sa mère Louise, veuve. Celle-ci reste en nom, elle est déclarée en qualité de patronne sur l’exploitation agricole. A cette époque, il n’y a pas d’autres familles dans ce lieu-dit.
En 1932, Louis Percheron reçoit une notification de l’Armée l’informant qu’il est rattaché à la 1ère Réserve à partir du 15 octobre 1932 et qu’il pourra ultérieurement être convoqué pour faire des exercices militaires.
Une mention en marge de son état civil, nous apprend que Louis s’est marié à Illiers le 7 avril 1934 avec Solange, Marie-Joseph Jahier.
Lors des élections municipales de mai 1935, Louis Percheron fait son entrée dans le Conseil à l’âge de 28 ans. A l’issue de ces scrutins, Félicien Duchêne est élu maire, et Albert Courteil est proclamé adjoint. Louis Percheron est désigné délégué à la commission municipale scolaire aux côtés de René Courteil, et de Mary Duchêne. Il sera également nommé classificateur suppléant pour les contributions foncières en sa qualité de propriétaire exploitant aux Roselles. Louis Percheron semble bien impliqué dans les activités du conseil municipal, outre le fait d’être régulièrement désigné secrétaire de séance, il sera également élu, lors de la séance du 18 août 1935, délégué, avec René Courteil, au conseil de discipline des fonctionnaires communaux. Les registres des délibérations nous permettent de retrouver la trace de sa signature, une empreinte laissée à travers le temps…
En 1936, le recensement de la population confirme que les jeunes mariés Percheron vivent toujours aux Roselles avec leur bébé, la petite Raymonde, Louise, Marie, née l’année précédente. Le jeune couple partage aussi la maison avec Louise Percheron, veuve, âgée de 57 ans et Andrée, la sœur de Louis qui vient d’avoir ses 18 ans.
Louis Percheron est appelé à faire une période de manœuvres de 21 jours dans le 31e Régiment d’Artillerie, du 1er au 21 juin 1936.
À la fin de l’année, le 26 novembre 1936 plus précisément, Louis Percheron et sa petite famille partent habiter au Cormier sur la commune de Nonvilliers-Grand-Houx, il y est déclaré cultivateur.
Le 3 septembre 1939, à 17 h, peu avant l’angélus du soir, la France entre dans la Seconde Guerre mondiale… le destin de Louis Percheron se dessinait à l’approche de ces heures sombres.
Par décret de Mobilisation générale, Louis Percheron est rappelé le 8 septembre 1939, affecté à la 4ème batterie du 44e Régiment d’Artillerie (44e R.A.). Il sera fait prisonnier en juin 1940 en Alsace. Le 19 juin, le drapeau à croix gammée flottait sur la cathédrale de Strasbourg.
Dans le compte-rendu du conseil municipal en date du 20 septembre 1939, nous apprenons que Louis Percheron, Léon Ratier, Mary Duchêne, et René Crépeau sont mobilisés. A la session du 2 décembre 1939, on lit dans le registre que : « le conseil décide de n’exécuter pendant la période des hostilités aucun travail important ».
Fin juin 1940, Louis Percheron est en captivité au stalag AK DO 988 avec le numéro de matricule 60153.
En mai 1941, dans la liste de présence des conseillers, nous lisons que Mary Duchêne, Louis Percheron et René Crépeau sont prisonniers de guerre.
Au début de l’année 1943, nous retrouvons Mary Duchêne siégeant à nouveau au sein du conseil municipal. Il a été libéré. Au fil des séances, dans le registre des réunions du conseil, le nom de Louis Percheron s’efface petit à petit… jusqu’à disparaître sans aucune mention dans le texte, ni information particulière sur son destin. Des pages se tournent, de nouvelles s’écrivent, des visages s’effacent, d’autres naissent… et plus de cinquante ans après, au milieu de dossiers oubliés, dans une liasse de papiers jaunis, se glisse un document officiel écorné, paré de ses tampons, avec, tracé à l’encre noire la mention manuscrite : « Louis Percheron, mort pour la France ».
Dans la fiche militaire consultée aux archives départementales, on peut également lire que Louis Percheron est décédé le 27 juillet 1944 à l’hôpital de la Marine de la ville de Marne province d’Holstein en Allemagne. Il a été inhumé au cimetière du hameau de Brunsbüttel Koog. Son corps, sera par la suite, rapatrié dans le caveau familial au cœur du petit cimetière de Saint-Éman.
Dans le recensement de l’après-guerre, en 1946, on apprend que la veuve de Louis Percheron avait définitivement quitté la ferme des Roselles à Saint-Éman ainsi que sa dernière adresse connue au Cormier. Elle vivait désormais, avec sa fille Raymonde (*) âgée de 11 ans, au lieu-dit : « Les Ormeaux » à Nonvilliers-Grand-Houx, chez Eugène Seigneuret, agriculteur, avec qui elle s’est remariée.
Il est justice de constater qu’aujourd’hui, au monument aux morts de Nonvilliers-Grand-Houx, Louis Percheron, aux côtés de ses frères d’armes, est honoré aux cérémonies du Souvenir par une minute de silence… pour l’éternité.
(*) Raymonde Percheron est décédée récemment à Marboué (Eure-et-Loir) à l'âge de 86 ans
Additif janvier 2024
La réinhumation de Louis Percheron à Saint-Éman
Lundi 28 novembre 1949
C’est par un faire-part récemment « exhumé » des archives de la famille Baron-Sotteau courant décembre 2023 que nous en apprenons un peu plus sur la réinhumation de Louis Percheron le lundi 28 novembre 1949 dans le petit cimetière de Saint-Éman.
L’association Histoire et Patrimoine de Saint-Éman avait consacré et publié l'article ci-dessus à la mémoire de Louis Percheron le 19 décembre 2021. Outre le fait de mettre en lumière un être disparu et quelque peu oublié au fil du temps, notre mise en ligne a eu le mérite de susciter de l’intérêt parmi nos lecteurs et dans notre entourage. Et quelle plus belle récompense pour les passeurs de mémoire que nous sommes d’être aujourd’hui destinataires d’archives personnelles venant éclairer un destin révélé ou « réveillé » par nos écrits dans une volonté de transmission intergénérationnelle, une des missions de l’association...
La famille, les amis, les voisins étaient invités à assister le lundi 28 novembre 1949, à 15h, en l’église de St-Éman, aux convoi, service et réinhumation de Monsieur Louis Percheron, prisonnier de Guerre, décédé le 27 juillet 1944, muni des sacrements de l’Église.
De la part de :
Mademoiselle Raymonde Percheron, sa fille et de sa mère Madame Vve Percheron ;
Monsieur et Madame Jahier, ses beaux-parents ;
Monsieur et Madame Hateau-Percheron, leurs enfants et petits-enfants, Monsieur et Madame Noury-Percheron et leur fils, Monsieur et Madame Lucereau-Jahier et leurs filles.
De ses sœurs, beaux-frères, belle-sœur, neveux, nièces, oncles, tantes, cousins, cousines et de toute la famille.
Réunion à l’église