
Louis Percheron :
un cultivateur de Saint-Éman, « Mort pour la France »

En feuilletant les archives des concessions du cimetière de Saint-Éman, nous nous sommes trouvés face à une énigme ! Par un bulletin de transcription des autorités militaires daté du 5 octobre 1945, nous apprenons qu’un enfant du village, Louis Percheron, né le 4 novembre 1907, était déclaré « mort pour la France » le 27 juillet 1944 dans la province d’Holstein en Allemagne du nord, proche de la frontière avec le Danemark !



Au cours de ces dernières décennies, les habitants, y compris les plus anciens d’entre eux, n’avaient jamais évoqué le parcours de cet émanois pendant la seconde guerre mondiale au cours de laquelle il a trouvé la mort, à l’âge de 36 ans, enrôlé dans le 44e Régiment d’Artillerie Nord-Africain (R.A.N.A.).
Aucune victime de la guerre 39-45 n’est gravée sur la pierre du monument aux morts de Saint-Éman. Le nom de Louis Percheron n’y figure pas.
Dans le cimetière du village, le caveau familial avec la sépulture de Louis Percheron, ne porte aucune inscription particulière, et le nom du défunt n’est pas distingué de la mention honorifique de « Mort pour la France » décernée par le Ministère de la Guerre. Cette reconnaissance permettait aux corps des victimes de guerre de bénéficier d’un droit à une sépulture perpétuelle dans le cimetière choisi par la famille lors de la restitution du corps pour honorer à jamais leur mémoire. (NDLR : Ce qui fut fait par le secrétariat général aux anciens combattants en 1945 qui s’est chargé des démarches et formalités pour le rapatriement du corps du cimetière de Brunsbüttel-Koog où Louis Percheron avait été inhumé en juillet 1944).
Dans l’allée du cimetière, à quelques pas, mais au titre de la guerre 14-18, un autre compagnon d’infortune repose en paix pour l’éternité, il s’agit du soldat Gabriel Huvet qui, comme Louis Percheron, est décédé dans un hôpital militaire des suites de la maladie contractée pendant la guerre. Contrairement à la nudité de la sépulture de Louis Percheron, celle de Gabriel Huvet arbore les symboles guerriers et patriotiques avec les branches de laurier et de chêne d’un soldat « Mort pour la France ».
À croire que l’on voulait oublier, occulter cette mort, pourtant honorée par l’Armée française.… Une chape de silence était tombée sur le nom de Louis Percheron, un enfant d’une famille de cultivateurs du côté des Roselles à Saint-Éman... Pourquoi un tel mutisme ? D’autant plus que l’on ne pouvait pas évoquer l’amnésie liée au temps s’agissant d’histoire contemporaine !
« Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents ».
Victor Hugo
Janvier 1865

Chaque année, à l’automne, il y a même jusqu’aux feuilles mortes des platanes qui viennent couvrir la pierre tombale, pour mieux la dissimuler et la soustraire aux regards des passants… Il convient aujourd’hui de lever le voile sur cette page d’histoire locale. À notre façon, faisons écho à la reconnaissance solennelle de l’autorité militaire (officialisée à la date du 5 octobre 1945) et rendons hommage à cet honorable soldat.



Louis, Désiré, Charles Percheron est né le 4 novembre 1907 à Saint-Éman. Son patronyme illustre bien son ancrage dans le terroir du Perche et témoigne de sa robustesse dans la besogne.
L’acte de naissance en mairie nous apporte les précisions suivantes :
L’an mil neuf cent sept, le quatre novembre, à six heures du soir, par devant nous, Louis Antoine Edgar, comte de Goussencourt maire et officier de l’état civil de la commune de Saint Eman arrondissement de Chartres département d’Eure-et-Loir, à la mairie a comparu Percheron Ernest Hippolyte Mary âgé de trente six ans cultivateur domicilié aux Roselles en cette commune, lequel nous a déclaré que ce jourd’hui à trois heures du soir Esnault Louise Joséphine, sans profession, son épouse, âgée de vingt huit ans domiciliée avec lui est accouchée en son domicile d’un enfant de sexe masculin qu’il nous a présenté et auquel il a dit vouloir donner les prénoms de Louis Désiré Charles.
Les dites présentation et déclaration faites en présence de Fauquet Gustave Baptiste propriétaire âgé de cinquante neuf ans et de Grégoire James Abel Placide cafetier, âgé de trente cinq ans, tous deux domiciliés en ce bourg et non parents de l’enfant. Dont acte que nous avons signé avec le déclarant et les deux témoins lecture faite.
Enfant, on trouve sa trace à l’âge de 4 ans au foyer familial dans le registre du recensement de 1911. Son père Ernest, Hippolyte, né à Yèvres en 1871, est déclaré fermier à la ferme des Roselles. Sa mère Louise, Joséphine Hénault est née en 1879 à Frazé, elle est sans profession. Louis vit avec sa sœur Aimée, Louise, Élisa, de sept ans son aînée. La famille Percheron a pour voisin Victor Colas qui est le garde particulier de M. Chapet, gros propriétaire terrien et forestier, à l’affût des braconniers sévissant dans les bois de son patron sur les terres des Châtelliers-Notre-Dame.
Dix ans plus tard, en 1921, on apprend que Louis a une nouvelle petite sœur Andrée, Marie née en 1918. Sa sœur aînée, Aimée, âgée maintenant de 21 ans travaille sur la ferme ainsi que Pierre Percheron, son oncle, et Théodore Esnault, son oncle maternel, tous domiciliés aux Roselles. La famille a de nouveaux voisins, il s’agit de la famille d’Antoine Blondeau qui est cantonnier, sa femme Désirée est couturière.
En 1926, le foyer familial ne compte plus que quatre personnes, les parents, Louis et sa petite sœur Andrée, âgée de huit ans. Louis Percheron travaille sur la ferme avec son père. Les voisins ont à nouveau changé. Habitent maintenant à côté de chez eux, Sylvain Terminet, qui est peintre et Marie Bihet de vingt ans sa cadette, de quoi alimenter certainement les commérages au lavoir... d’autant plus que les nouveaux voisins sont originaires des départements du Cher et de La Loire « Ils sont point d’chez’nous ceux-là, encor’ des accourus ! ».
Au cours de l’année 1926, à son vingtième anniversaire, Louis Percheron passe devant le Conseil de révision à Illiers comme tous les jeunes de la « classe 1926 ». Il est déclaré « bon pour le service » avec le numéro de recrutement 603.
Dans sa fiche militaire, il est précisé qu’il exerce la profession de cultivateur. A défaut de photographie, grâce aux renseignements de la rubrique « Signalement », on peut esquisser un portrait de Louis Percheron, il mesurait 1m70, cheveux : châtain foncé ; front : moyen ; visage : ovale ; yeux : gris bleu ; nez : ordinaire.
C’est le 10 mai 1928, qu’il effectue son service militaire dans l’Artillerie. Le 5 mai 1929, il est affecté au 71e régiment d’artillerie comme 2e canonnier. Il est renvoyé dans ses foyers le 7 octobre 1929 avec un certificat de bonne conduite.
Par le recensement de 1931, on apprend qu’à cette date son père, Ernest, Hippolyte, est décédé. Louis vit et travaille à la ferme des Roselles, avec sa jeune sœur et sa mère Louise, veuve. Celle-ci reste en nom, elle est déclarée en qualité de patronne sur l’exploitation agricole. A cette époque, il n’y a pas d’autres familles dans ce lieu-dit.
En 1932, Louis Percheron reçoit une notification de l’Armée l’informant qu’il est rattaché à la 1ère Réserve à partir du 15 octobre 1932 et qu’il pourra ultérieurement être convoqué pour faire des exercices militaires.


Une mention en marge de son état civil, nous apprend que Louis s’est marié à Illiers le 7 avril 1934 avec Solange, Marie-Joseph Jahier.
Lors des élections municipales de mai 1935, Louis Percheron fait son entrée dans le Conseil à l’âge de 28 ans. A l’issue de ces scrutins, Félicien Duchêne est élu maire, et Albert Courteil est proclamé adjoint. Louis Percheron est désigné délégué à la commission municipale scolaire aux côtés de René Courteil, et de Mary Duchêne. Il sera également nommé classificateur suppléant pour les contributions foncières en sa qualité de propriétaire exploitant aux Roselles. Louis Percheron semble bien impliqué dans les activités du conseil municipal, outre le fait d’être régulièrement désigné secrétaire de séance, il sera également élu, lors de la séance du 18 août 1935, délégué, avec René Courteil, au conseil de discipline des fonctionnaires communaux. Les registres des délibérations nous permettent de retrouver la trace de sa signature, une empreinte laissée à travers le temps…


En 1936, le recensement de la population confirme que les jeunes mariés Percheron vivent toujours aux Roselles avec leur bébé, la petite Raymonde, Louise, Marie, née l’année précédente. Le jeune couple partage aussi la maison avec Louise Percheron, veuve, âgée de 57 ans et Andrée, la sœur de Louis qui vient d’avoir ses 18 ans.
Louis Percheron est appelé à faire une période de manœuvres de 21 jours dans le 31e Régiment d’Artillerie, du 1er au 21 juin 1936.

À la fin de l’année, le 26 novembre 1936 plus précisément, Louis Percheron et sa petite famille partent habiter au Cormier sur la commune de Nonvilliers-Grand-Houx, il y est déclaré cultivateur.
Le 3 septembre 1939, à 17 h, peu avant l’angélus du soir, la France entre dans la Seconde Guerre mondiale… le destin de Louis Percheron se dessinait à l’approche de ces heures sombres.
Par décret de Mobilisation générale, Louis Percheron est rappelé le 8 septembre 1939, affecté à la 4ème batterie du 44e Régiment d’Artillerie (44e R.A.). Il sera fait prisonnier en juin 1940 en Alsace. Le 19 juin, le drapeau à croix gammée flottait sur la cathédrale de Strasbourg.
Dans le compte-rendu du conseil municipal en date du 20 septembre 1939, nous apprenons que Louis Percheron, Léon Ratier, Mary Duchêne, et René Crépeau sont mobilisés. A la session du 2 décembre 1939, on lit dans le registre que : « le conseil décide de n’exécuter pendant la période des hostilités aucun travail important ».
Fin juin 1940, Louis Percheron est en captivité au stalag AK DO 988 avec le numéro de matricule 60153.
En mai 1941, dans la liste de présence des conseillers, nous lisons que Mary Duchêne, Louis Percheron et René Crépeau sont prisonniers de guerre.
Au début de l’année 1943, nous retrouvons Mary Duchêne siégeant à nouveau au sein du conseil municipal. Il a été libéré. Au fil des séances, dans le registre des réunions du conseil, le nom de Louis Percheron s’efface petit à petit… jusqu’à disparaître sans aucune mention dans le texte, ni information particulière sur son destin. Des pages se tournent, de nouvelles s’écrivent, des visages s’effacent, d’autres naissent… et plus de cinquante ans après, au milieu de dossiers oubliés, dans une liasse de papiers jaunis, se glisse un document officiel écorné, paré de ses tampons, avec, tracé à l’encre noire la mention manuscrite : « Louis Percheron, mort pour la France ».


Dans la fiche militaire consultée aux archives départementales, on peut également lire que Louis Percheron est décédé le 27 juillet 1944 à l’hôpital de la Marine de la ville de Marne province d’Holstein en Allemagne. Il a été inhumé au cimetière du hameau de Brunsbüttel Koog. Son corps, sera par la suite, rapatrié dans le caveau familial au cœur du petit cimetière de Saint-Éman.
Dans le recensement de l’après-guerre, en 1946, on apprend que la veuve de Louis Percheron avait définitivement quitté la ferme des Roselles à Saint-Éman ainsi que sa dernière adresse connue au Cormier. Elle vivait désormais, avec sa fille Raymonde (*) âgée de 11 ans, au lieu-dit : « Les Ormeaux » à Nonvilliers-Grand-Houx, chez Eugène Seigneuret, agriculteur, avec qui elle s’est remariée.
Il est justice de constater qu’aujourd’hui, au monument aux morts de Nonvilliers-Grand-Houx, Louis Percheron, aux côtés de ses frères d’armes, est honoré aux cérémonies du Souvenir par une minute de silence… pour l’éternité.
(*) Raymonde Percheron est décédée récemment à Marboué (Eure-et-Loir) à l'âge de 86 ans



Additif janvier 2024
La réinhumation de Louis Percheron à Saint-Éman
Lundi 28 novembre 1949
C’est par un faire-part récemment « exhumé » des archives de la famille Baron-Sotteau courant décembre 2023 que nous en apprenons un peu plus sur la réinhumation de Louis Percheron le lundi 28 novembre 1949 dans le petit cimetière de Saint-Éman.
L’association Histoire et Patrimoine de Saint-Éman avait consacré et publié l'article ci-dessus à la mémoire de Louis Percheron le 19 décembre 2021. Outre le fait de mettre en lumière un être disparu et quelque peu oublié au fil du temps, notre mise en ligne a eu le mérite de susciter de l’intérêt parmi nos lecteurs et dans notre entourage. Et quelle plus belle récompense pour les passeurs de mémoire que nous sommes d’être aujourd’hui destinataires d’archives personnelles venant éclairer un destin révélé ou « réveillé » par nos écrits dans une volonté de transmission intergénérationnelle, une des missions de l’association...

La famille, les amis, les voisins étaient invités à assister le lundi 28 novembre 1949, à 15h, en l’église de St-Éman, aux convoi, service et réinhumation de Monsieur Louis Percheron, prisonnier de Guerre, décédé le 27 juillet 1944, muni des sacrements de l’Église.
De la part de :
Mademoiselle Raymonde Percheron, sa fille et de sa mère Madame Vve Percheron ;
Monsieur et Madame Jahier, ses beaux-parents ;
Monsieur et Madame Hateau-Percheron, leurs enfants et petits-enfants, Monsieur et Madame Noury-Percheron et leur fils, Monsieur et Madame Lucereau-Jahier et leurs filles.
De ses sœurs, beaux-frères, belle-sœur, neveux, nièces, oncles, tantes, cousins, cousines et de toute la famille.
Réunion à l’église
Additif décembre 2024
Témoignage d’Hélène Renault-Pothier (*), petite-fille de Louis Percheron
(*) Hélène est la fille de Raymonde Percheron née le 20 mars 1935 aux Roselles, commune de Saint-Éman, l’unique enfant de Louis Percheron. Raymonde s’est mariée avec Gilbert Renault en décembre 1955. De cette union sont nés Philippe et Hélène.
À la lecture de l’article intitulé « Louis Percheron, l’oublié » consacré par notre site à son grand-père maternel, Hélène Renault-Pothier, domiciliée à Péronville, a levé un pan du voile dissimulant ses racines au milieu des terres de ses ancêtres entre Saint-Éman et Nonvilliers-Grand-Houx, en limite du Perche.
Lors d’un entretien, le lundi 10 décembre 2024, en compagnie de son mari, Sylvain Pothier, elle s’est replongée dans son passé, dans sa petite enfance. En ces instants, nous avons conjugué le passé avec le présent. Hélène s’est remémorée des repas de famille, des discussions et des interrogations restées sans réponses ou parfois évasives sur ce grand-père, Louis Percheron, décédé pendant la seconde guerre mondiale… Il ne fallait pas réveiller les douleurs enfouies, « il y avait comme une gêne à parler des morts, des yeux qui se baissaient, des regards fuyants », des souvenirs que l’on ne voulait pas ressusciter, le silence s’imposait.
Il y a quelques années, Hélène Renault-Pothier avait entrepris quelques recherches généalogiques sur sa propre famille. Elle attendait des éclairages de Raymonde, sa maman, et de Solange, sa grand-mère qui avait épousé Louis Percheron le 7 avril 1934 à Illiers. Cette grand-mère avec ses racines bretonnes, du Morbihan, se trouvait déracinée, esseulée dans cette région du Perche, livrée à elle-même pendant toute l’occupation allemande avec une petite fille à charge et un mari absent, prisonnier de guerre dans un stalag… tout là-bas en Allemagne.
À ses questions légitimes, Hélène s’entendait dire : « Je n’ai pas vécu que de belles choses ! » ou encore « En ces temps-là, c’était bien de la misère ! Il vaut mieux ne pas en reparler ».
Elle a bien obtenu quelques réponses mais les recherches effectuées dans les archives viennent contredire certains propos familiaux. C’est le cas en particulier de la détention de Louis Percheron en Allemagne. Contrairement à ce qui avait été dit à Hélène, Louis Percheron n’était pas dans le stalag AK DO988 dans la province d’Holstein, à la frontière danoise, au titre du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) instauré seulement le 16 février 1943. Louis Percheron, soldat au 44e Régiment d’Artillerie, avait été fait prisonnier en juin 1940 en Alsace. Comme des milliers de soldats français, Louis Percheron fut ensuite conduit dans un stalag en Allemagne.
Le rapatriement du corps de Louis Percheron du cimetière allemand de Brunsbüttel Koog à celui de Saint-Éman a également été empreint de non-dit, d’embarras, de confusion entre famille et belle-famille.
Hélène, sa petite-fille, s’est donc heurtée à quelques difficultés pour éclairer ces zones d’ombre sur des périodes sombres révolues. Par égard, par décence, elle a respecté au fil du temps le silence et la discrétion de ses ancêtres.
Après le décès de Raymonde Percheron-Renault, sa maman, le 22 mai 2021, quelques rares photos et documents lui ont permis de reprendre un travail mémoriel sur ce grand-père « oublié », qui se présente à nous, aujourd’hui, exhumé de l’album familial, comme un charmant et élégant jeune homme sur une photographie couleur sépia.
Quelques fenêtres s’ouvrent et viennent aérer la mémoire sur le vécu de Louis Percheron pendant la période tragique de 1939-1944, entre sa mobilisation, sa captivité, et l’ultime hommage qui lui sera rendu à son décès par le Ministère de la Guerre en le déclarant « Mort pour la France ».
Certaines photos demeurent sans légende, instants que l’on ne peut figer avec précision mais qui témoignent sur ce cliché en particulier d’une certaine sérénité retrouvée, assis sur un transat à feuilleter un journal, un chien fidèle couché à ses pieds, un jour peut-être de permission entre septembre 1939, mois de sa mobilisation et juin 1940, mois de sa captivité !

Une autre photo le montre en militaire (de bas en haut, le 3éme à gauche, voir flèche) avec un groupe de compagnons d’armes, le cliché est antérieur à juin 1940. Ils portent tous l’uniforme de leur régiment d’artillerie et sont coiffés d’un béret ou d’un calot comme Louis Percheron.

Sur une feuille, Raymonde Percheron-Renault a écrit de sa main une légende sur deux petites photos collées sur une feuille, montrant son papa, Louis, en soldat au moment de son service militaire (10/05/1928 au 7/10/1929) puis prisonnier pendant la guerre, dans le stalag, visage fermé, regard fixe, sourcils froncés, traduisant les émotions de sa détention qu’il jugeait toutefois supportable dans les courriers adressés à son épouse Solange, certainement pour ne pas la tourmenter.

Louis Percheron, prisonnier au Stalag XA de SCHLESWIG-HOLSTEIN
Une nouvelle page de sa vie ressuscitée grâce aux photos et documents personnels de sa petite-fille Hélène et à certaines archives du Ministère de la Guerre « secret-défense » déclassées en 1995.


Sources : stalag XA https://www.bibliotheca-andana.be/?page_id=255168
Louis Percheron, prisonnier de guerre, était affecté en Allemagne au Stalag XA de SCHLESWIG-HOLSTEIN situé à une centaine de kilomètres au nord de Hambourg et au sud de la frontière avec le Danemark. Le camp était aménagé dans la périphérie nord de la ville de Schleswig. Des bâtiments en briques et cinq grandes baraques en bois aux dortoirs comprenant 24 couchettes constituaient le cantonnement des prisonniers. Dans chaque unité, et parmi les prisonniers, était désigné un « homme de confiance » qui faisait l’intermédiaire auprès des soldats allemands tout en étant garant du respect des consignes à l’intérieur du cantonnement. Le Stalag XA comptait de nombreux « Kommandos » appelés à travailler dans les fermes, dans des usines d’aviation dont celle de Lübeck pour le constructeur Dornier, dans des ateliers de moteurs électriques, également dans une fabrique de choucroute. Ils pouvaient aussi être employés pour décharger du charbon, creuser des fossés anti-char,…
En juillet 1944, au moment du décès de Louis Percheron, le Stalag XA comptait 21.313 prisonniers de plusieurs nationalités : Français, Polonais, Serbes, Russes,… contraints de travailler 60 heures par semaine, la cadence passera à 72 heures à partir du 25 août 1944 pour soutenir l’effort de contre-offensive allemande suite au débarquement des Alliés en Normandie. À cette période-là, à partir de 21 heures, pour éviter d’éventuelles évasions avec les bribes d’espoir retrouvées, les gardes mettaient les chaussures et les pantalons des prisonniers sous clefs. Les conditions d’emprisonnement dans le camp se durcissaient, des barreaux étaient mis aux fenêtres des baraquements et les papiers civils et militaires des prisonniers de guerre étaient tous confisqués par les Allemands, les captifs perdaient ainsi tout justificatif de leur identité qui se réduisait à un simple matricule.
Hélène nous présente également un modèle de l’enveloppe de la Kriegsgefangenenpost que sa grand-mère Solange devait utiliser pour écrire à son mari détenu en Allemagne. Elle utilisait cette enveloppe en franchise postale, à raison d’un courrier par mois, pas plus, sachant que le contenu pouvait être soumis à la censure de l’armée allemande.



Un cliché représente Louis Percheron, (En haut, 2ème à gauche) prisonnier, matricule n° 60 153, dans le dortoir du stalag XA 58 avec lits gigognes en compagnie de ses compagnons de chambrée. Dans la famille de Louis Percheron on disait qu’il travaillait de jour dans une ferme de la province d’Holstein dont l’exploitant avait été enrôlé dans l’armée allemande. Mais pendant les quatre années de captivité de Louis Percheron, celui-ci avait changé plusieurs fois de camp comme l’attestent les différents tampons sur ses documents personnels (Verso de la photo des prisonniers au Stalag et dictionnaire franco-allemand). Nous savons ainsi qu’il a été rattaché aux « Kommandos » XA 29 et XA 58. Malgré la robuste constitution de Louis Percheron, les hivers devaient être particulièrement rudes à cette latitude nord, à proximité de la frontière avec le Danemark.
Les conditions de détention, entre froid, promiscuité notamment, sont certainement à l’origine de la maladie contractée par Louis Percheron, à l’issue fatale, le 27 juillet 1944, malgré les soins qui lui ont été prodigués à l’hôpital de la ville de Marnerdeich-Holstein. Louis Percheron était seulement âgé de 36 ans.
Nous ne connaissons pas les causes exactes du décès de Louis Percherons, mais nous pouvons lire dans les archives du Stalag XA que des cas de méningite mortelle avaient été signalés au sein des baraquements à partir du mois d’octobre 1943. Une campagne de vaccination avait été lancée dans le camp par le service médical du Stalag témoignant de l’importance de l’épidémie.
C’est avec émotion que nous feuilletons le dictionnaire franco-allemand que Louis Percheron a eu entre les mains pendant sa détention. Le dictionnaire porte le tampon du stalag et a été remis personnellement au prisonnier. Louis avait écrit son nom sur la page de garde. Ce dictionnaire devait lui permettre de franchir la frontière de la langue et peut-être aussi de s’évader en relisant des mots français familiers lui rappelant son pays natal tout en éprouvant, à n’en pas douter, de la nostalgie pour des moissons, des labours à la ferme du Cormier qu’il ne ferait pas…




La vie continue…
Par les recherches de passeur de mémoires, Louis Percheron, « L’oublié », fait reparler de lui 80 ans plus tard… et reprend corps pour ses descendants, un destin illustré par quelques pages de vie à l’issue tragique bien loin de sa famille, bien loin des terres qui l’ont vu naître, entraîné par les affres de la guerre. Par le souvenir de sa personne, et par l’aide précieuse de Jean-Michel Thuriault, notre généalogiste, nous éclairons la lignée de ses aïeux jusqu'au coeur du XVIIe siècle, avec Michel Percheron, vigneron à Vendôme, sur les bords du Loir… Louis Percheron étant né à Saint-Éman, pays de la Source du Loir… cette rivière est décidément le fil conducteur d’une saga familiale. Sans rien élaguer, l’examen de l’arbre généalogique de Louis Percheron nous apprend, en remontant jusqu’à son grand-père François, Gervais Percheron, que la famille était établie dans le Perche à Frazé puis à Yèvres. C’est au tout début du XVIIe siècle, et pendant 200 ans, que l’on trouve ses aïeux bien ancrés à Vendôme. Si le plus ancien Percheron connu (*), Michel, était vigneron, ses descendants étaient plutôt jardiniers de père en fils, ne basculant dans l’agriculture en qualité de journalier, charretier et cultivateur, qu’une fois arrivés en Eure-et-Loir à partir de 1836 au lieu-dit « Le Boullay Grimault » à Frazé.
(*) NDLR : on a pu identifier Jean Percheron et Jeanne Sautelle comme parents de ce Michel Percheron, mais aucune date ni lieu n'ont été encore trouvés.
Après la seconde guerre mondiale, la paix retrouvée allait faire refleurir des jours heureux. La période sombre de l’occupation allemande qui avait obscurci la vie des familles par ses morts, ses privations allait s’éclaircir en faisant oublier quelques rancœurs entretenues dans l’intimité des foyers.
Hélène, la petite fille de Louis Percheron, a entre les mains deux photographies prises au tout début des années 1950 qui témoignent de ces moments partagés en famille à travers trois générations, une d’elles aux couleurs d’un corso fleuri à Nonvilliers-Grand-Houx à l’occasion des fêtes du 14 juillet 1955 avec, au loin, la voiture emblématique de cette époque, la Citroën traction avant, de couleur noire, et son imposante calandre.
Photo de gauche : de gauche à droite, de haut en bas ; Louise Esnault, mère de LOUIS ; Andrée, sœur de LOUIS ; le mari d’Andrée ; Solange, Vve de LOUIS ; Eugène Seigneuret, 2nd mari de Solange ; Raymonde, la fille unique de LOUIS ; Monique Seigneuret-Jeusse, née le 28.11.1946, demi-sœur de Raymonde.
Photo de droite : Raymonde avec sa fille Monique au corso fleuri de Nonvilliers-Gd-Houx le 17/07/1955.


En cette journée froide de décembre 2024, dans la salle de réunion de la mairie de Saint-Éman, se referme l’album photo sur la vie de Louis Percheron illustrant une période désormais lointaine où, sur les clichés, le noir et blanc l’emportaient avant que la vie reprenne quelques couleurs…