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Sébastien FAUQUET, de Saint-Éman à la cathédrale d’Orléans

« Un français âgé de 38 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils noirs, visage rond, front élevé, yeux bruns, nez et bouche moyens, menton rond,... »

Le parcours de Sébastien Fauquet, au départ de Saint-Éman, fut loin d’être l’itinéraire d’un enfant gâté tant ce chemin se révèle être chaotique à la lecture de sa biographie partiellement reconstituée.

 

La découverte de quelques archives nous permet de retrouver la trace de Sébastien Fauquet, un Émanois méconnu. Les textes traitent de la musique et des musiciens d’Église dans le département du Loiret autour de 1790, et tout particulièrement au sein de la cathédrale Sainte-Croix à Orléans.

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En 1789, une gravure sur bois sort des presses du libraire et imagier Letourmy à Orléans. L’image résume les espoirs de la Révolution naissante. La gravure porte ce titre : « Bon, nous voilà d’accord ». Noblesse, Église, Tiers-Etat, chaque ordre est représenté par un instrument de musique spécifique qu’il s’agit de parvenir à faire jouer ensemble. L’Église y est figurée par le serpent, dans lequel souffle un clerc en soutane.

Jean-Aymar Piganiol de La Force (1669-1753) écrivait à propos de Sainte-Croix d’Orléans : « L’Église cathédrale est une des plus belles qu’il y ait dans le royaume ». Elle avait pourtant subi maintes vicissitudes, notamment durant les guerres de Religion, et était en permanence en travaux, ce qui permet à son propos la facétie suivante :  « une cathédrale gothique inaugurée au XIXe siècle !!! ».

 

Le corps de musique de la cathédrale Sainte-Croix en l’an 1790 comporte dix-sept hommes adultes soit, avec les huit enfants de chœur, un effectif global de vingt-cinq  personnes dont un dénommé Sébastien Fauquet originaire de Saint-Éman.

 

Les maîtres, les musiciens, et les voix de la cathédrale étaient rarement natifs d’Orléans. Certains étaient originaires de Reims, de Nevers, d’autres de Chambéry... Sébastien Fauquet avait trouvé en la personne de Jean-Baptiste Quesnel, voix de basse-taille, (basse à la voix plus souple et au timbre plus clair), un voisin de Chartres, ils étaient tous les deux du même diocèse.

 

Les archives nous livrent les effectifs musicaux de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans en l’année 1790

En détaillant ce registre, on apprend que Sébastien Fauquet, en cette année 1790, était âgé de 28 ans et qu’il officiait au sein de la maîtrise de la cathédrale Sainte-Croix depuis quatre ans déjà en qualité de chanteur basse-contre (Voix d’homme grave généralement volumineuse, ronde et cependant mordante, dixit J. Arger, Initiation à l’art du chant, 1924). Il était l’un des plus jeunes dans cette assemblée au sein du chœur.

 

En 1767, un avis rappelait un principe avant tout recrutement de musicien ou chanteur : « On ne reçoit point dans cette église les personnes mariées ». Force est de constater qu’en 1790, il n’est plus guère respecté que pour le maître de musique : la plupart des musiciens et chanteurs en poste sont mariés et pères de famille. Le chapitre était soucieux de favoriser l’implantation locale de ses musiciens et leur insertion dans la ville. Raison certainement pour laquelle les parents du jeune homme  Sébastien Fauquet quitteront, à leur tour, Saint-Éman pour se rapprocher de leur fils établi à Orléans avec des promesses de jolis gages qui feraient oublier l’indigence supportée au village natal.

 

A l’occasion d’un double recrutement en août 1767, une petite annonce publiée dans la presse ajoutait de l’attractivité aux postes proposés en précisant que « les Offices sont disposés de manière que les Musiciens peuvent donner en ville des leçons de Musique ». A partir de 1775, les almanachs publient les noms et adresses des maîtres d’agrément : on constate que chaque année les musiciens des églises forment le gros des listes, que ce soit « pour la musique vocale » ou « pour l’instrumentale » (clavecin, flûte, basson). Tout cela était de bon augure pour le jeune Fauquet qui avait quitté sa campagne percheronne.

Les dates marquantes de la biographie de Sébastien Fauquet :

  • 20 janvier 1762 : Archives diocèse de Chartres, paroisse de Saint-Éman.

 

Baptême de Sébastien, Joseph Fauquet à Saint-Éman le 20 janvier 1762. En feuilletant les registres on apprend qu’il est le fils de Joseph Fauquet et de Marie-Louise Gadeau, et qu’il a été baptisé en l’église de Saint-Éman par le curé Claude de Saint Aubin entouré du parrain Pierre David, et de la marraine Jeanne-Françoise Courtois. Sur l’acte de baptême, la marraine déclare ne pas savoir signer, ce qui n’a rien d’extraordinaire dans un village, en milieu rural, en ces temps où l’enseignement faisait défaut.

  • 14 septembre 1783 : Archives de Villars (Eure-et-Loir).

 

Sébastien Fauquet, « journalier à Guignonville » (lieu-dit voisin de Saint-Éman), 22 ans environ, est engagé comme maître d’école et chantre de la paroisse de Villars, village beauceron situé à une trentaine de kilomètres à l’est de Saint-Éman, et au sud de Chartres. Le contrat stipule qu’il devra « assister et chanter les messes de fondations de cette paroisse, ainsi que toutes les autres grand’messes qu’il est d’usage de chanter dans cette paroisse ». Il « s’oblige d’instruire de ses écoliers pour répondre la messe, et, dans le cas où il n’en auroit pas d’en état, de la répondre lui-même ». Ces diverses préconisations montrent combien le chant d’église est primordial dans ce que l’on appellerait aujourd’hui son « profil de poste ». Toutefois, il est précisé qu’il n’aura pas à répondre à la messe pendant le temps de la moisson : Sébastien Fauquet poursuit donc bien son activité de journalier d’une manière saisonnière sur Saint-Éman.

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  • Vers 1785 : Archives du diocèse d’Orléans.

 

Sébastien Fauquet aurait exercé quelque temps à la collégiale Saint-Aignan située sur la rive droite de la Loire. Jusqu’à la Révolution française ce chapitre collégial entretenait en effet un chœur permanent d’une douzaine de chanteurs.

 

  • 10 juin 1786 :

 

Sébastien Fauquet, « âgé de 25 ans, natif de St-Amand, diocèse de Chartres » est reçu comme « musicien chantant la basse contre » à la cathédrale Sainte-Croix, aux gages de 14 livres par semaine (soit 728 livres par an), succédant vraisemblablement à Jean-François Souply, lui aussi basse contre, auquel le chapitre de Sainte-Croix délivre un certificat de vie et mœurs la semaine suivante. Le maître de musique de la cathédrale est alors Charles Hérissé. (source Wikipédia).

 

  • 4 avril 1787 :

 

Le chapitre de la cathédrale accepte d’avancer 72 livres à Fauquet musicien basse contre, qu’il remboursera par une retenue de quarante sols par semaine sur ses gages « jusqu’à fin de payement ».

 

  • 3 novembre 1787 :

 

Il est accordé à Sébastien Fauquet, un congé de trois jours « pour rétablir sa santé ».

 

  • 30 janvier 1788 :

 

Le chapitre de la cathédrale d’Orléans paie 110 livres « pour consultation » au sujet du « cuilibet » (part de rémunération complémentaire aux gages fixes) de Fauquet. Il s’agit certainement de la « consultation » d’un homme de loi. Pour l’époque, la somme payée est importante. De quel type de problème peut-il s’agir ? D’après ce que l’on apprend ensuite, on peut soupçonner un absentéisme important lié à son instabilité psychique qui mettait en cause son droit à ce « cuilibet », objet du litige.

  • 1790 :

 

Sébastien Fauquet chante toujours la basse contre à la cathédrale Sainte-Croix à Orléans, toujours sous la conduite de Charles Hérissé. Fauquet figure à ce titre dans divers documents et est reconnu comme tel par l’administration. Un émouvant petit mot écrit de la main de Fauquet nous explique quel était son statut en 1790 :

J’ai été Chantre Basse Contre dans l’église de Sainte Croix à la Cathédrale d’Orléans grande Ville, aux appointements de 800 livres payé en argent par chaque Année–la Somme de quatorze livres d’Argent par semaine payé touts les Samedys après la grande Messe du Choeur de la Cathédrale Chantée, par Monsieur le Receveur des Messieurs du Chapitre les channoines de la Cathédrale Dorléans-

Sébastien fauquet

Toutefois son assiduité était sans doute déjà en pointillés : le commissaire exécutif d’Orléans expliquera en 1798 que « Sébastien Fauquet était connu dans les deux chapitres de Ste Croix et de St Aimans (il faut lire paroisse pour St-Éman au lieu de chapitre) pour être sujet à des excès de folie, souvent dans la belle saison, il allait courir la campagne, et il revenoit à son poste lorsque son excès étoit passé ». C’est probablement ce qui explique qu’il ne figure pas parmi les signataires de la pétition collective des quinze autres musiciens de la cathédrale et de ceux de la collégiale Saint-Aignan en mai 1790. D’après ce témoignage, sa folie n’est donc pas liée à l’effondrement angoissant de sa situation professionnelle exposée à la vindicte populaire, les révolutionnaires visant aussi bien, et sans discernement, les servants de la messe que les musiciens d’église.

  • 10 novembre 1790 :

Sébastien Fauquet assiste à l’inhumation au cimetière St-Vincent de sa mère, Marie-Louise Gado, femme de Joseph Fauquet, décédée la veille sur la paroisse Notre-Dame-de-Recouvrance, à l’âge de 63 ans. Il signe « G. Sébastien fauquet » d’une petite écriture régulière, légèrement penchée vers la droite. L’autre témoin signataire est le sonneur de la paroisse, Étienne Faucheux.

Le cimetière St-Vincent a été totalement désaffecté en 1913. Il a fait ensuite l’objet de l’aménagement de l’actuel parc Louis-Pasteur, jardin public.

A la Révolution française, la paroisse Notre-Dame-de-Recouvrance où logeaient les parents de Sébastien Fauquet, fut supprimée et rattachée à Saint-Laurent. L’église doit sa survie d’abord aux mariniers de la Loire qui l’imposent comme chapelle de secours en 1791, et ensuite à sa position proche du port d’Orléans qui permet sa transformation dès 1793 en entrepôt à farine.

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  • Juin 1791 :

Sébastien Fauquet fait une demande de pension au Comité ecclésiastique. Il déclare recevoir chaque année 828 livres de revenus et bénéficier d’un contrat à vie. Le directoire du district d’Orléans propose une pension de 400 livres. Le directoire du département du Loiret lui accorde finalement 1 000 livres de gratification, avec un acompte de 200 livres.

 

  • 4 juillet au 15 octobre 1792 : Archives de Châteaudun.

Sébastien Fauquet séjourne à l’hôpital de la ville de Châteaudun, blessé de deux coups de feu, après avoir été capturé errant dans les bois revêtu d’un surplis (Habit de chœur de toile blanche fine). Suivant le rapport des gouvernantes de cet hospice : « Il avait l’esprit aliéné n’ayant aucune suite dans son raisonnement mais cet individu n’était point méchant ».

  • 29 janvier 1793 : Archives d’Orléans.

Sébastien Fauquet, musicien de la paroisse épiscopale, demeurant rue Tourneuse, section de l’université, a prêté serment « d’être fidèle à la nation, de maintenir la liberté et l’égalité, ou de mourir en les défendant ». Il reste en poste jusqu’à la fermeture des églises, lors de la suppression du culte, fin 1793, début 1794.

 

  • Vers 1796 :

Son père, Joseph Fauquet, veuf depuis six ans, qui habitait depuis plusieurs années à Orléans part résider à Brou en Eure-et-Loir, à 17 km de Saint-Éman, sa région natale.

 

  • Fin 1795, début 1798 :

Sébastien Fauquet quitte Orléans et entame un périple durant lequel il est régulièrement arrêté faute de passeport. On le retrouve ainsi dans la Nièvre ou encore en Charente. Lors d’un interrogatoire en l’an VI (1797-1798), il prétend que son père est marchand voiturier alors que le commissaire d’Orléans qui a été contacté, insiste sur le fait que son père est « un pauvre journalier ». Son père, trop pauvre, se garde bien de le réclamer, « craignant que son fils ne tomba à sa charge ». La démence de Sébastien Fauquet est régulièrement signalée mais sa « folie » n’est pas récente, elle était déjà mentionnée à travers des écrits datant de 1787.

  • 29 juin 1798 : Archives de Spire sous-préfecture du département du Mont-Tonnerre.

On retrouve la trace de Sébastien Fauquet à Spire dans le département du Mont-Tonnerre qui fut de 1797 à 1814, avec Mayence pour chef-lieu, un département français aujourd’hui dans l’actuelle Allemagne, en Bavière. Il est bon de rappeler que les villes de Spire et de Chartres sont jumelées depuis le 25 mai 1959, curieux hasard !

Sébastien Fauquet est arrêté à Spire, sans passeport, soupçonné d’émigration et d’espionnage. Le procès verbal décrit « un français âgé de 38 ans, taille de 5 pieds 2 pouces (1m57), cheveux et sourcils noirs, visage rond, front élevé, yeux bruns, nez et bouche moyens, menton rond, ... il s’est trouvé que le dit individu est sans passeport ».  Sébastien Fauquet prétend être parti d’Orléans six mois plus tôt, ou un an selon les interrogatoires, à la recherche de travail, être passé par les Pays-Bas, la Hollande, l’Allemagne « dont il ne se ressouvient du nom d’aucune ville » pour y vendre mouchoirs et tabatières.

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Il déclare vouloir rentrer à Orléans reprendre ses anciennes fonctions de maître d’école, ou bien, à d’autres moments, il dit être dans « l’intention d’aller reprendre les fonctions de chantre à Orléans ». Interrogé, le commissaire de police générale d’Eure-et-Loir soupçonne d’abord un dangereux individu. Mais vu la démence certifiée par tous les autres témoins, la municipalité de Spire le renvoie à Mayence, la préfecture, puis en septembre il est transféré de la prison vers l’hospice St Roch.

  • Novembre 1799 : Archives de Mayence.

Sébastien Fauquet ne pouvant être jugé pour émigration ou espionnage est renvoyé sous escorte dans son département de naissance, à Chartres, où sa trace se perd…

 

Aujourd’hui, en se promenant en direction des bois de Saint-Éman, du côté du lieu-dit : Les Fauquetteries, le patronyme de ce Sébastien, né en ce village, résonne à nouveau au plus profond de notre mémoire.

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