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Saint-Éman : Saint-André-des-Champs

De Marcel Proust au… général de Gaulle

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En sous-titre de ce chapitre il peut paraître surprenant de voir le nom de Marcel Proust associé à celui du général de Gaulle avec en fil conducteur l’évocation de notre petit village de Saint-Éman sous l’appellation proustienne de Saint-André-des-Champs

Après la lecture du 1er tome « Du côté de chez Swann », le promeneur qui conduit ses pas du côté de Guermantes en longeant la Vivonne jusqu’à sa source aura quelques difficultés à reconnaître  l’église de Saint-André-des-Champs si ce n’est sous l’apparence, plus proche de la réalité, d’une église massive, rustique et dorée comme une meule au milieu des champs.

 

En dehors de tout test ADN, nous pouvons affirmer que la paternité de la toponymie littéraire de notre village en celui de Saint-André-des-Champs revient à Marcel Proust et à lui seul à travers son œuvre À la recherche du temps perdu….

Des « statisticiens » en littérature précisent que Saint-André-des-Champs est évoqué dix-sept fois à travers les sept tomes de son roman, principalement dans le premier intitulé Du coté de chez Swann et dans l’aboutissement de son œuvre, Le Temps retrouvé.

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- Saint-André-des-Champs apparaît comme un village proche de Combray qui se trouve au milieu des blés avec son église monumentale, rustique et dorée comme une meule…

 

- « … Sur la droite, on apercevait par-delà les blés, les deux clochers ciselés et rustiques de Saint-André-des-Champs, eux-mêmes effilés, écailleux, imbriqués d’alvéoles, guillochés, jaunissants et grumeleux, comme deux épis ».

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Dans L’espace combraysien, Jean de Grandsaigne quant à lui précise : « De notre côté, notons que l’église de Saint-André-des-Champs incarnant le peuple français se trouve symboliquement, par-delà les blés, à l’extérieur de la ville de Combray.

 

Chez Proust, Saint-André-des-Champs ne désigne presque jamais toute l’église, mais surtout le porche : « Souvent aussi nous allions nous abriter, pêle-mêle avec les saints et les patriarches de pierre sous le porche de Saint-André-des-Champs ».

 

Aujourd’hui, il est vrai, Saint-Éman s’enorgueillit de posséder un joli porche appelé « caquetoire » qui a été inscrit le 27 janvier 1928 à l’inventaire des Monuments Historiques avec son poinçon à l’image d’un arbre ébranché et son entrait sculpté de symboles floraux et grappes de raisin avec, à ses extrémités, de menaçants rageurs.

Dans l’œuvre de Proust, l’église de Saint-André-des-Champs est la quintessence de plusieurs références architecturales : La Cathédrale de Chartres, l’église de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne, près de Provins), et le prieuré de Saint-Martin-des-Champs (Paris 3e) pour l’origine du nom. La description de ce prieuré, dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture de Viollet-le-Duc, éclaire pleinement les raisons de ce choix : le monument parisien est, pour l’architecture, l’exemple-type de l’évolution du Roman au Gothique ; prieuré des domestiques et des paysans, qui s’intègre naturellement à l’univers romanesque de Combray. Et comme le dit Jeanne Monier-Godard : « Chez Proust, il ne faut pas transposer un lieu à un autre, chercher à le décalquer tel quel, comme certains s’évertuent à le faire pour le pays de Combray, il ne faut pas être dans une relation binaire, «  Un pour Un », mais plutôt, pour parodier Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires, Tous pour Un ». La description de l’église de Saint-André-des-Champs en est un bel exemple.

Chez Proust, les sculptures du porche deviennent le symbole du peuple de France, qui se divise plus précisément en domestiques et paysans. Que cette église était française !

 

Ces sculptures et statues de Saint-André-des-Champs font écho à des traditions ininterrompues et toujours vivantes. Les paysans médiévaux, modèles des sculptures, survivent au XIXe siècle, à l’époque du célèbre narrateur. La mentalité du peuple français est présentée comme immuable. Le peuple de Combray se divise en deux groupes : le peuple respectueux envers les seigneurs, comme François et Théodore, et le peuple révolté, comme Morel et le jardinier de Combray. Alors que le premier courant dont Françoise est la représentante incarne le loyalisme quasi féodal, le second courant se caractérise par son hostilité à l’institution politique de l’époque. Le jardinier essaie de schématiser l’histoire en opposant l’État au Peuple. Cette dualité, selon lui, ne s’est pas dissoute, malgré la Révolution, les gouvernants, qu’ils soient monarchiques ou républicains, ne cessent de faire souffrir le peuple.

Mais les Français des deux courants, bref, le peuple français, s’avèrent être, avant tout, des patriotes. Une phrase d’un texte évoquant la Grande Guerre illustre ces propos :

 

            «  Tous ceux qui ne sont pas au front, c’est qu’ils ont peur », Saint-Loup avait dit cela […] pour faire de l’originalité psychologique, tant qu’il n’était pas sûr que son engagement serait accepté. Mais il faisait pendant ce temps-là des pieds et des mains pour qu’il le fût, étant en cela moins original, […] mais plus profondément français de Saint-André-des-Champs, plus en conformité avec tout ce qu’il y avait à ce moment-là de meilleur chez les Français de Saint-André-des-Champs, seigneurs, bourgeois et serfs respectueux des seigneurs ou révoltés contre les seigneurs, deux divisions également françaises de la même famille, … , d’où deux flèches se dirigeaient, pour se réunir à nouveau, dans une même direction, qui était la frontière. »

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En poussant l’analyse sous l’aspect sociologique de la symbolique de Saint-André-des-Champs, nous pouvons lire, notamment chez Jacques Dubois, et Hervé Drouet, que le « côté de Combray » représente la France provinciale et rurale, symbolisée par ses églises (Saint-Hilaire, Saint-André-des-Champs), « lieux de mémoire avant d’être des lieux de culte » et qui a pour symétrie inversée, le « côté de Guermantes », celui, urbain et parisien, des hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain, alors que Combray se scinde lui-même en deux pôles, le « côté de Méséglise » d’une part, et, d’autre part, un autre « côté de Guermantes », celui du château de la duchesse de Guermantes - « région fluviatile », le long de la Vivonne, univers aquatique de truites, de nymphéas et de boutons d’or.

L’inspiration proustienne semble même toucher, en ces années d’après-guerre 1939-1945, un autre héros du combat national, et grand homme politique « Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. » Cette troisième phrase des Mémoires de guerre de Charles de Gaulle, publiées en 1954, semble tellement inspirée des premières pages de La Recherche que l’on se croirait dans la petite église médiévale Saint-Hilaire de Combray ou, du côté de l’église de Saint-André-des-Champs « construite au milieu des blés – la terre nourricière ».

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Après avoir, dans Le Côté de Guermantes, mentionné « la gloire immortelle de la France », Proust, dans Le Temps retrouvé, pendant la Grande Guerre, « identifie la grandeur de la France à celle de l’église de Saint-André-des-Champs au point de fixer l’expression "les Français de Saint-André-des-Champs" pour désigner la France combattante ». C’est précisément sous cette appellation de « France combattante » que le général de Gaulle transformera, le 14 juillet 1942, la France Libre pour signifier son rapprochement avec la résistance intérieure, en créant en mai 1943 le Conseil National de la Résistance sous l’impulsion de Jean Moulin et placé sous l’autorité politique de Charles de Gaulle.

Sur la question de l’appartenance à « la France de Saint-André-des-Champs » Annick Cochet, dans une revue d’histoire, nous livre ses propres commentaires :

            « Dans son œuvre, Proust parle du sentiment d’appartenance à « la France de Saint-André-des-Champs », village fictif qui est d’abord le lieu de l’enfance du héros. Il représente aussi « le temps immémorial » des traditions, des mœurs et des manières de vivre d’un pays inconsciemment reçues durant l’enfance. La France de Saint-André-des-Champs, pour Proust, c’est une mémoire collective, faite de légendes qui se transmettent depuis très longtemps : l’enfance de la nation perpétuée et dont l’enfant s’imprègne à travers des gestes, des coutumes ou les sculptures d’une église...

            Mais Le temps retrouvé montre aussi que cette passion-là fut le fondement de la cohésion de toutes les « cellules » du « corps France », l'essentiel facteur d'unité de « la foule innombrable de tous les Français de Saint- André-des-Champs », de « tous les soldats sublimes ». La mise en parallèle de l'affaire Dreyfus et de la Grande Guerre révèle ainsi deux moments totalement opposés de l'histoire passionnelle française : la division et la haine en 1898, la cohésion et l'attachement patriotique de 1914. Il s'agit bien pour Proust d'une « sublimation » de l'instinct de conservation nécessaire au salut d'une nation, d'une foi qui conduisit les « croisés » au sacrifice. Le narrateur, qui suivait le déroulement des opérations militaires, se rend compte ensuite que la guerre ne fut pas seulement stratégique mais surtout « mentale » : parce qu'elle « se vit comme un amour ou comme une haine, (elle) pourrait être racontée comme un roman ».

Dans l’ouvrage de Jacques Darriault « Proust, la relativité des espaces et des temps » on peut y lire,  dans un tout autre registre, l’extrait suivant :

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            … en cette église de Saint-André-des-Champs, ce n’est pas la Vierge que vient prier le narrateur, mais plutôt le Sort pour qu’il mette sur son chemin une fille facile, et qui ne vient jamais : « Parfois à l’exaltation que me donnait la solitude, s’en ajoutait une autre que je ne savais pas en départager nettement, causée par le désir de voir surgir devant moi une paysanne que je pourrais serrer dans mes bras (…). Je pouvais aller jusqu’au porche de Saint-André-des-Champs ; jamais je n’y trouvais la paysanne (…). Je fixais indéfiniment le tronc d’un arbre lointain, de derrière lequel elle allait surgir et venir à moi ; l’horizon scruté restait désert, la nuit tombait, c’était sans espoir que mon attention s’attachait, comme pour aspirer les créatures qu’il pouvait receler, à ce sol stérile, à cette terre épuisée ».

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Cette image du jeune homme dépité tout à sa désillusion amoureuse, mais un brin primesautier, n’est pas sans rappeler les inscriptions du siècle dernier tracées dans le calcaire tendre que l’on peut voir aujourd’hui sous le porche de l’église de Saint-Éman le long des pilastres du portail gothique. Ces graffitis anciens, messages gravés à la pointe d’un couteau de poche, sont porteurs d’idylles éphémères ou pas..., bercés d’espoirs. Avec la petite inscription « Chérie à dimanche » tracée dans le tendre tuffeau, on repense tout naturellement aux quelques lignes de Proust évoquant la fébrilité de l’amoureux « Je fixais indéfiniment le tronc d’un arbre lointain, de derrière lequel elle allait surgir et venir à moi... ».

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Le porche de l’église de Saint-Éman devient ainsi le théâtre de rencontres libertines quand Proust en fait avant tout l’imagerie d’un dictionnaire de l’art religieux sous les traits picturaux de Saint-André-des-Champs.

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Les graffitis encore visibles permettent de découvrir un dessin finement gravé certainement par un visiteur proustien inspiré par la description des deux clochers de Saint-André-des-Champs à l’image de la cathédrale de Chartres, avec son clocher roman et sa flèche gothique, un joli clin d’œil : « … Sur la droite, on apercevait par-delà les blés, les deux clochers ciselés et rustiques de Saint-André-des-Champs, eux-mêmes effilés, écailleux, imbriqués d’alvéoles, guillochés, jaunissants et grumeleux, comme deux épis ».

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Aujourd’hui, ce sont avec des petits riens, une lumière, une fragrance, en dehors du temps, qu’il soit perdu ou retrouvé, mais toujours du côté de Guermantes, à l’ombre de notre petite église, que l’on redécouvre avec une sensibilité toute particulière et personnelle l’alchimie entre Saint-Éman et Saint-André-des-Champs

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Pour conclure, nous rappelons que cet article évoquant le Saint-André-des-Champs de Proust se focalise principalement sur la symbolique et l’image du porche, avec ses références à l’art religieux inspirées par les ouvrages d’Émile Mâle et de Viollet-le-Duc. Et d’un autre côté, comme il est de coutume chez Proust, la fracture des classes sociales, le code des castes privilégiées, le dénuement et la rancœur des défavorisés, mais une dualité qui devient unité à l’heure d’une terrible menace à nos frontières… des valeurs exaltées par Michelet et le général de Gaulle entre politique et sociologie contemporaine.

 

Notre village de Saint-Éman, du côté de Guermantes, transparaît aussi et d’une manière plus répandue, à travers la source de la Vivonne, sujet que nous avons évoqué dans l’onglet « Le Loir littéraire : regards proustiens et littéraires ».

 

Il ne faut pas oublier d’évoquer le château des Pâtis, demeure de la comtesse de Goussencourt qui aurait prêté ses traits à la célébrissime Oriane, duchesse de Guermantes. Nous abordons également cette question sous les titres « Le château de Saint-Éman » et le hors-cadre « La châtelaine de Goussencourt »

 

Ce dernier point fait toujours débat et suscite maintes interprétations dans les cercles littéraires avec le côté de Villebon, sujet qui continuera à alimenter les conversations entre érudits qui parfois échappent aux Émanois que nous sommes sans toutefois nous empêcher de nous immerger, en toute simplicité et avec beaucoup d’humilité, sur les lieux de mémoire voulus par Proust.

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