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Le château de Saint-Éman

« Le château neuf des Pâtis »

Château de Saint-Éman (CPA)
Communs du château de Saint-Éman (CPA)

En traversant le village de Saint-Éman en direction de la D. 941 vers La Loupe, nous passons devant le château de style « Second Empire », au lieu-dit « Les Pâtis (*) ». Une construction également appelée, dans certains actes, le « château neuf » pour le distinguer de l’ancien castel de bois qui avait été construit par la famille Du Mouchet, les seigneurs de Saint-Éman et de la Mouchetière. 

(*) NDLR : Fin XVIIe siècle, on trouvait l’orthographe « Les Patys ».

 

Les travaux ont été initiés par le comte Charles, Gustave de Goussencourt, en 1865 et achevés par son fils Edgar, Antoine en 1874… les délais de construction peuvent paraître longs… mais la guerre de 1870 contre la Prusse était passée par là !

 

La matrice des contributions directes de l’époque nous indique que les travaux du château ont été commencés en 1865, achevés en 1874. La propriété nouvellement bâtie devenait imposable à partir de l’année 1877 avec notamment le critère des « Portes et Fenêtres » et la taxation spécifique prévue pour les portes cochères.

Matrice des contributions directes (1)
Matrice des contributions directes (2)
Plan cadastral parcellaire de la commune de Saint-Éman

Comme l’atteste le cadastre napoléonien, la nouvelle demeure des châtelains de la famille de Goussencourt, a été construite sur la parcelle référencée n° 320 au lieu-dit Les Pâtis, vierge de toute construction, à côté de la ferme, qui se situe à 1 km de l’église. Elle n’a donc pas été érigée sur l’emplacement même de l’ancien château qui devait se situer vraisemblablement au niveau des communs actuels, comme l’atteste aussi le registre des recensements au début du XIXe siècle. 

Parcelle "les Pâtis" à Saint-Éman

De cette ancienne demeure seigneuriale, nous n’avons que peu de renseignements. Dans « Le temps retrouvé d’Illiers » de P.-L. Larcher, nous apprenons qu’il appartenait en 1818 à Louis, François, Alexandre de Malard. (*) Ce château fut ensuite la propriété de M. L’Homme-Dieu du Tranchant de Lignerolles, qui décédera en 1861. Il avait épousé Joséphine, Caroline du Mouchet de Saint-Éman, belle-sœur du comte de Malard, précédent propriétaire.

(*) NDLR : Qui tenait le château de son mariage avec Marie Madeleine Henriette Louise Du Mouchet à Dangeau le 6 ventôse an IX (25 février 1801).

 

A la fin du XIXe siècle, pour mieux appréhender la lignée des propriétaires du castel de la seigneurie de Saint-Éman, il convient de rappeler que la mère du comte Edgar de Goussencourt était née « De Malart » et que le domaine de Saint-Éman avait constitué la dot de son mariage.

Dans le petit bois qui fait face à l’emplacement de l’ancienne briqueterie, sur la route des Pâtis, on peut encore apercevoir le tracé de l’antique « Allée du château ». Au XIXe siècle, la large sente carrossée était encore empruntée par les calèches des nobles familles de Malart, et de Goussencourt, qui, de leur château avait un accès direct à l’église afin d’y suivre les offices. Le solide empierrement de l’époque a permis à ce chemin de rester visible en ce début du XXIe siècle et de ne pas être irrémédiablement envahi par les broussailles et baliveaux.

Sous l’Ancien Régime, la règle voulait que l’aîné des garçons hérite des biens, et des titres de ses parents. Ce principe de masculinité et de « droit d’aînesse », fut aboli par la loi des 15 et 28 mars 1790. A partir de ces nouveaux textes, l’héritage des biens fut partagé équitablement entre tous les enfants. Dans le passé, au fil des siècles, les domaines et châteaux, conservaient leur unité et homogénéité. Si la Révolution française offrait une équité en droits entre tous les descendants, la nouvelle législation allait conduire à une déliquescence des propriétés.

Tracé de l'allée du château

Le recensement de 1841, avant la construction du « château neuf », confirme que les familles de Malart, Du Mouchet et de Goussencourt, unies par les liens du mariage, cohabitaient et partageaient la même demeure seigneuriale. A l’époque, la ferme voisine était exploitée par Jacques Mée. Plus tard, en 1846, l’exploitation agricole fut cultivée par Louis, Pierre Gatineau.

 

En novembre 1870, alors que les travaux au château n’étaient pas encore achevés, l’artillerie prussienne bombardait Illiers et ses environs. Charles Gustave de Goussencourt, âgé de 67 ans, et ancien général de Brigade, commandeur de la Légion d’honneur, allait devoir faire contre mauvaise fortune bon cœur et accueillir en son foyer des officiers de l’armée prussienne. Ennemis que son fils Edgar, officier du 4e bataillon des mobiles de Nogent-le-Rotrou, était parti combattre.

 

Fin 2002, Marie-Antoine Monier dans un article évoquant le château de Saint-Éman, paru dans l’Écho Républicain déclarait : « J’ai toujours entendu dire que les Prussiens en avaient été les premiers occupants. Ils en avaient fait leur quartier général ».

 

Le 14 mars 1871, après le cantonnement du 4e hussards, dernier régiment prussien présent sur Saint-Éman, les travaux pourront reprendre. La paix revenue, Edgar de Goussencourt et sa famille se réapproprieront les lieux.

 

Après le décès de son épouse Angèle de Malard, le 17 août 1873, le Comte Charles Gustave de Goussencourt quitta Saint-Éman pour finir ses jours à Illiers et laissa le soin à son fils, « Edgar » Louis, Antoine de Goussencourt, de finaliser la construction du château qui, en sa qualité de nouveau maître d’ouvrage, réceptionnera définitivement les travaux en 1874.

 

Edgar de Goussencourt, en véritable bâtisseur (*), s’intéressera, entre autres, aux dernières inventions offrant un plus grand confort aux belles demeures aristocratiques. C’est ainsi que le « bélier hydraulique » fit son apparition à Saint-Éman le 8 mars 1876, tout droit sorti des ateliers « Bollée » du Mans. Ce nouveau procédé permettait d’alimenter une citerne située dans le grenier du château à partir d’une source. Avec l’eau de cette dernière pour seule énergie, située à 1km, cette pompe alimentait en eau courante tous les étages du château… Un luxe pour l’époque qui allait faire des émules !

 

(*) NDLR : On lui doit aussi à la fin du XIXe siècle, la construction de l’école-mairie, de la tuilerie-briqueterie, ...

hors-cadre

Le Comte Edgar de Goussencourt, maire du village jusqu’au 31 décembre 1911, décédera à Chartres le 4 mars 1920 à l’âge de 77 ans. A partir de cette date, petit à petit, le château allait durablement se vider de ses occupants, changeant fréquemment de propriétaires avec, pour certains des projets de réhabilitation qui n’aboutiront pas, faute de budget pour réparer les ravages du temps jusqu’à la verrière de la toiture… qui, au lieu de filtrer la lumière du jour laissera passer la pluie, au fil des années, inondant les planchers et fragilisant l’ouvrage.

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Carte postale témoignant de l'occupation allemande à Saint-Éman en 1940

À tel point que, lors de l’invasion allemande en juin 1940, les officiers de la Wehrmacht refuseront de loger dans le château comme en témoigne une descendante de la famille de Goussencourt dans une carte postale...

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Voyez notre beau domaine, il était joli mais il n’est plus ce qu’il a été car il est à moitié en ruines, les Allemands ne veulent pas l’habiter à cause de cela.

Au début du XXe siècle, le château de Saint-Éman fut également le théâtre de faits divers relatés dans la presse locale, notamment le Journal de Chartres.

Article du Journal de Chartres (octobre 1907)
Article du Journal de Chartres (juin 1914)

Peu de temps avant le décès du comte Edgar de Goussencourt, Madame Marie Nathalie d’Arnal de Serres, fit l’acquisition du château aux termes d’un acte reçu par Me Gaudier, (*) notaire, le 31 juillet 1919. Monsieur Raynaud Marie Emmanuel de Mace, Vicomte de Gastines, en avait été le dernier propriétaire. Il demeurait au château d’Ardenay (Sarthe) avec Madame Marie Jeanne Charlotte Suzanne Henriette Robert de Beauregard, son épouse.

(*)  NDLR : Me Louis Alphonse Fernand Gaudier était notaire à Illiers de 1904 à 1931.

 

La transcription au bureau des Hypothèques de Chartres du 13 septembre 1919 mentionne que les propriétaires d’origine étaient, en indivis, M. et Mme de Gastines et M. et Mme de Goussencourt-Steine. (*)

(*)  NDLR : Erreur de retranscription de l’état-civil, il faut lire Sthème Marie Louise Esther née en 1863 à Metz qui fut la troisième épouse du Comte Edgar de Goussencourt, mariage célébré à Nancy le 3 mai 1893.

 

Dans le recensement de l’année 1921, il est indiqué que Marie Nathalie d’Arnal de Serres, veuve, habite le château en compagnie de son fils Paul Emmanuel né en 1888.

 

Par contrat de vente du 26 juin 1924, le château est cédé par Mme Veuve d’Arnal de Serres à M. Bertot.

 

En 1926, le château est vidé de ses occupants permanents. Mais la famille Bertot devait y venir en villégiature à en croire la présence sur place de Marat, Aurélien Dormant, conducteur d’auto et de son épouse Marie Louise, femme de chambre, qui déclarent tous deux, avoir pour employeur M. Bertot.

Les propriétaires semblent avoir définitivement déserté le château en 1931. En contrepartie du gardiennage des lieux, la famille de Georges Harranger, facteur auxiliaire, est logée sur place. En 1935, c’est la veuve d’André Choquet, née Louise Sergent, qui assure désormais la surveillance des bâtiments comme l’atteste un article paru dans la presse locale. ----------------------------------------------------->

Il faut attendre le recensement de 1936 pour constater que seule la ferme des Pâtis est occupée par la famille de Léon Loison, cultivateur. Le château, pour la première fois, est déclaré « Inhabité », avec la mention portée en marge du registre. 

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Après la guerre 1939-1945, le château est racheté par M. Henri Saus-Salas, né en 1920, où il réside avec son épouse Renée Rossigneux née en 1924. Il exerce la profession d’éleveur de « chevaux de sang » en exploitant les pâtures et occupant les écuries du domaine. Il a pour palefrenier, Jules Lambert qui habite sur place avec sa famille.

Extrait du recensement de Saint-Éman en 1946

Le 6 juillet 1956, M. Saus-Salas vend, à son tour, le château à M. Mme Jacques Maranjon. Il faudra attendre les élections municipales du 14 mars 1971 pour trouver dans nos registres l’implication de M. Maranjon dans les affaires communales. Il entre au conseil municipal au côté de Gérard Courteil, élu maire, et Henri Jude, adjoint.

 

Au début de l’année 1976, Jacques Maranjon avait pour projet de construire un lotissement (*) dans le parc de son château avec un accès direct sur la D. 941, route Illiers/La Loupe.  Lors de l’instruction de son dossier, il allait rencontrer quelques difficultés auprès des services de la Direction Départementale de l’Équipement à Chartres.

(*) NDLR : Jacques Maranjon était un précurseur, il avait anticipé l’attrait et l’engouement pour le tourisme rural et du « bon vivre » à la campagne. Trop tôt, certainement ! En 2015, par exemple, à Saint-Maur-sur-le-Loir, dans le parc du château de Mémillon, un édifice datant de Napoléon III comme celui de Saint-Éman, un promoteur immobilier proposait : « Votre résidence secondaire, les manoirs de Mémillon, à l’orée du Perche, dans une propriété boisée protégée de toute pollution ». On croirait, à s’y méprendre, une publicité pour le site de Saint-Éman !

 

Le conseil municipal de Saint-Éman encourageait et soutenait ce projet d’autant plus qu’il s’inscrivait dans les démarches menées par le maire, Gérard Courteil, pour augmenter la population locale (NDLR : 41 habitants en 1975) et éviter ainsi la nouvelle demande de fusion de communes formulée en 1972 par les services de l’État.

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Dans le compte-rendu de la séance du 3 avril 1976, on peut lire :

            « Le Conseil s’étonne qu’un refus ait été opposé au projet de lotissement établi par M. Maranjon. Le Conseil émet à ce sujet un avis très favorable à ce projet de lotissement. Demande à la Direction Dle de l’Équipement de bien vouloir reconsidérer la question – étant bien entendu que M. Maranjon s’engage à réaliser les viabilisations nécessaires. Considère en outre que l’éloignement du bourg, n’est pas un critère suffisant, d’autant plus que le lotissement envisagé, se trouve sur une route passagère, desservant directement Illiers.

Le Conseil conteste en outre la désignation de bois donnée à la parcelle faisant partie du projet, puisque moins de la moitié de cette parcelle est actuellement boisée ».

 

Le 17 octobre 1976, suite au décès de M. Jude, il est procédé à l’élection d’un nouvel adjoint. M. Maranjon sera élu à la majorité des suffrages. Il sera reconduit en qualité de 1er adjoint lors des élections municipales du 19 mars 1977, au côté d’Henri Choquet, 2ème adjoint.

 

M. Jacques Maranjon ne pourra pas réaliser son projet de lotissement dans le parc du château, le permis de construire lui sera refusé. Certainement dépité, privé de toute rentrée d’argent providentielle, il vendra son château. Le domaine fut vendu courant 1978 à Patrick Mournaud, agissant pour le compte de la Société ACRET sise à Levasville, Châteauneuf-en-Thymerais, exerçant une activité de bureau d’études techniques pour le Bâtiment.

 

À peine installé au Château, le 15 juillet 1978, M. Mournaud demande à la commune de lui céder le chemin rural longeant sa propriété des Pâtis, et desservant le lieu-dit du « Petit-Bois-Barreau » : « Le Conseil refuse cette demande car elle va à l’encontre de l’intérêt des personnes utilisant ce chemin ».

Dont acte !

 

Le 28 septembre 1978, M. Maranjon quittant le village de Saint-Éman est démissionnaire de son mandat d’adjoint au maire. Il sera remplacé par M. Jean-Claude Foussard.

 

Une nouvelle page se tourne. Le château voit passer ses occupants se succédant avec des projets prometteurs qui, malheureusement, ne voient pas le jour… La famille de Goussencourt et ses descendants se font oublier au fil des décennies. Le château, témoin de cette période entre le crépuscule du Second Empire et l’aurore de la IIIe République, continue à se dégrader au grand désespoir des promeneurs qui passent devant l’édifice au cours de leur balade : « C’est malheureux de voir ce joli petit château avec ses deux belles tourelles laissé à l’abandon comme ça ! Il n’y a donc rien à faire. La commune ne peut pas le racheter ? »

 

Combien de fois, nous, les « gens » du village, avons-nous entendu cette phrase ? Nous, qui savions que notre commune d’une centaine d’habitants avait déjà bien du mal à financer le remplacement de quelques tuiles sur la toiture de l’église ! Alors vous pensez bien, … un château !

Le 8 juillet 1982, M. Patrick Mournaud adressait à la mairie de Saint-Éman, une demande de construction de maisons de villégiature à ossature bois dans le parc du château à proximité du lieu-dit « Les Hautes Bourgetteries », au nord-ouest du parc actuel.

 

Le projet portait sur la création de 34 parcelles disposées autour d’une réserve d’eau de 200 m³, d’une aire de jeux d’enfants, à proximité d’une carrière et manège pour chevaux.

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Une publicité vantait le nouveau concept proposé : « Nouveau. Fruit de la recherche ossature bois avec des matériaux traditionnels sélectionnés, et un incroyable rapport qualité prix » avec une invitation à visiter la maison témoin (*) au château de Saint-Éman. Plusieurs modèles étaient proposés, du chalet de week-end de 36 m² livré en kit ou clé en main, jusqu’à la maison de 97 m² avec les options terrasse et garage accolé.

(*) NDLR : Cette construction ossature bois est encore visible en empruntant le chemin rural « Petit-Bois-Barreau/Saint-Éman ».

 

Mais l’affaire devait paraître trop belle car ce projet fut sans lendemain ! Une nouvelle initiative déçue et vouée à l’échec… à croire que le château de Saint-Éman voulait garder toute son intimité, préserver son cadre bucolique boisé et garder loin de ses murs tout projet mercantile.

Projet de création de 34 parcelles dans le parc du château (1982)
Publicité nouveau concept, fruit de la recherche ossature bois
Plusieurs plans des chalets de "week-end"

Le 23 novembre 1993, lors d’une réunion à Sancheville, étaient évoquées les différentes opérations susceptibles de bénéficier d’un financement du C.R.I.L. (Contrat Régional d’Initiative Locale) dont celui de M. Boone (*), qui envisageait d’acquérir le château de Saint-Éman. Il sollicitait des subventions afin de pouvoir réaliser son projet de réhabilitation du domaine, à savoir 6 chambres d’hôtes de haut standing, labellisées 4 épis, et une table d’hôtes. Au rez-de-chaussée, dans les grandes pièces, étaient prévues des salles de conférences et d’expositions temporaires. Aux organisateurs et autocaristes de la région étaient proposés des après-midis récréatifs, de type thé dansant. Des activités équestres avec un manège couvert et un club-house/restaurant étaient également envisagées. Pour les adeptes de tourisme vert, outre les balades équestres en forêt, étaient offertes des locations de vélos. Ce projet particulièrement intéressant pour l’animation du village et son développement s’est révélé trop ambitieux, et surtout trop onéreux, l’argent étant toujours le nerf de la guerre ! M. Boone abandonna son projet, et quitta le château qui retombait dans l’oubli… et la déshérence.

(*) NDLR : Cette personne surfait sur un concept qui faisait le succès, entre autres, de la ferme fortifiée de Meaucé. Un lieu qui proposait, dès 1988, une auberge, et des chambres d’hôtes sous le nom de « Grand’Maison, Au Cochon grillé » qui allait drainer les autocaristes et les voyagistes de toute la région pour satisfaire les demandes toujours plus nombreuses des clubs de l’amitié, du 3ème âge,… et de toute association recherchant un lieu insolite offrant une belle table. Ce succès aurait pu être aussi celui de Saint-Éman ... et pourquoi pas : « Au Château : Le mouton grillé à la Percheronne » !

 

Au cours des années qui allaient suivre, le château sera squatté, vandalisé, pillé. Des éléments de cheminée, d’escalier, de décoration furent volés. La demeure était ouverte aux quatre vents, vitres cassées, portes défoncées, volets de guingois... Les moutons broutant dans les prairies avoisinantes feront aussi partie des visiteurs indésirables en souillant les jolis parquets d’antan.

 

Marie-Antoine Monier s’en désolait tout particulièrement :

            « Enfant, j’ai connu le château du temps de sa splendeur. Mais, avant la guerre de 1939, il était déjà à moitié délabré. Un éleveur de chevaux s’est installé, puis un autre propriétaire a fait construire un étang. Une vraie catastrophe : le parc a été surélevé et depuis, on ne voit plus le château de la route. Je me souviens aussi des belles cheminées en marbre, des pendules… Tout a été démantelé. »

Malgré ce sentiment de désolation, une chose réjouissait encore notre regard. C’était le joli portail de l’enceinte des communs du château. Une grande porte massive en bois plein cintre sertie dans son écrin fait d’un haut mur en moellons avec un habillage de briques et de pierres blanches pour les piliers. Le portail était orné de gros clous forgés, avec en guise de poignée des figures de « bestes féroces » entre loup et sanglier.

Il s’agit en fait de sanglier, sa présence s’explique par les emblèmes du blason de la famille Du Mouchet : un écu d’argent aux trois hures de sanglier, vues de profil. La présence de hure, la tête du sanglier, est assez rare en figures héraldiques. Elle symboliserait un guerrier intrépide et invulnérable.

 

Malheureusement, aujourd’hui tout a disparu !

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Depuis le projet avorté de M. Mournaud, il y a deux décennies, le château continuait de se délabrer et les promeneurs de se lamenter… Les années passaient et rien ne laissait espérer, pour cet ouvrage témoin de la guerre de 1870, et de la lignée des châtelains d’antan, une nouvelle vie à l’approche du XXIe siècle. 

2002-2003 : la vente du château de Saint-Éman, à la bougie,

un véritable roman feuilleton de cape et d’épée,

Ses rebondissements, son dénouement.

En novembre 2002, dans les annonces légales publiées dans le journal l’Écho Républicain, on apprend la mise aux enchères publiques de l’immeuble suivant :

 

UN CHÂTEAU DÉLABRÉ AVEC UN CHALET INHABITABLE EN BOIS, UN BUNGALOW, UNE GRANGE ÉCURIE, UN CHENIL, UN VASTE ET UN PETIT BÂTIMENTS ET UNE MAISON DE GARDIEN, LE TOUT EN MAUVAIS ÉTAT

 

sis lieu-dit « Le Pâtis »,

Commune de SAINT-EMAN

 

d’une contenance totale de : 22 ha 79 a 70 ca

Au tribunal de Grande Instance de Chartres, le :

12 décembre 2002, à 14 heures

Mise à prix : 76 225 €

Mise aux enchères publiques du château, dans les annonces légales de l'Écho Républicain en novembre 2002

Le jeudi 12 décembre, le journal local consacrait un article entier à la vente aux enchères du château de Saint-Éman sous le titre suivant :

 

Le château de Saint-Éman cherche un nouveau propriétaire.

 

Le château de Saint-Éman sera mis aux enchères aujourd’hui. Il y avait foule, vendredi dernier, pour la visite publique de cet édifice laissé à l’état d’abandon depuis plus de vingt ans.

     Curieux et acquéreurs potentiels se sont massés vendredi après-midi aux grilles du château de Saint-Éman le temps de la visite de cet édifice IIIe République (*) qui sera mis aux enchères aujourd’hui, lors de l’audience des saisies immobilières du tribunal de grande instance de Chartres.

(*) NDLR : la construction a débuté en 1865 soit à la fin du Second Empire.

 

     On retrouve parmi les deux cents visiteurs beaucoup d’anciens d’Illiers-Combray ou de Saint-Éman venus voir le château qui les a fait rêver pendant leur enfance, mais aussi une poignée de promoteurs immobiliers, d’entrepreneurs ou de particuliers très accrochés. En attestent les luxueuses berlines immatriculées 75 ou 77 parquées devant l’entrée de ce château inhabité depuis vingt années.

           

     L’état d’abandon du site justifie un prix de mise en vente modeste : 76 224 € pour un lot outre ce château de vingt-cinq pièces, sept bâtiments communs, des écuries, un chenil, et un parc de vingt-deux hectares avec deux mares et un étang. « Avant que les trois bougies s’éteignent aujourd’hui, le prix aura monté à deux, trois millions de francs ! » pronostique un riverain qui ne veut pas croire que l’ensemble, malgré un mauvais état général, parte pour une bouchée de pain.

 

                « Ça fait mal au cœur »

     Il est vrai que si depuis la route le château a presque fière allure malgré quelques volets claquant au vent, son intérieur est pour le moins délabré. Le somptueux escalier d’honneur a été pillé, les fuites de couverture ont éventré par endroit le plancher. Les gravats s’amoncellent. Au dernier étage, un pan de mur entier laisse apparaître les nuages… « Ça fait mal au cœur de voir ça ! Tout est écroulé », s’exclame un retraité. « Il y a soixante-dix ans, je venais jouer ici. Ça a bien changé ! ».

 

     Un habitant de Châteaudun voit ses ardeurs refroidies. « J’avais proposé il y a quelques années un bon prix au propriétaire qui avait refusé mon offre. Mais, en voyant aujourd’hui dans quel état est tombé ce château magnifique, je ne suis plus très intéressé ! »

 

     L’importance des travaux nécessaires pour remettre en état l’ensemble devrait, de toute façon, décourager plus d’un enchérisseur. Ils seraient estimés à plusieurs millions de francs !

Ouverture du château au public pour la vente aux enchères de 2002
L'état de délabrement du château lors de sa vente aux enchères publiques

L’article de Patricia Piquet était complété par cet encart : 

 

Flanqué de deux tourelles, cet édifice de brique rouge, construit sur les ordres du comte de Goussencourt, a été édifié à l’emplacement du castel des seigneurs de Malard (NDLR : il convient plutôt de lire : à proximité de l’ancien castel des seigneurs Du Mouchet et de Malard). Après le départ du dernier châtelain en 1920, plusieurs propriétaires privés se sont succédé. 

 

Dans l’article, Marie-Antoine Monier se remémorait le château au temps de sa splendeur. De ce témoignage, la journaliste relate aussi le « bélier hydraulique » :

 

Preuve de ce lustre d’antan, l’ingénieuse machine, le bélier hydraulique de Bollée, mis en service en 1876, qui permettait d’alimenter en eau de source le château. A raison d’un débit de huit litres par minute, le bélier propulsait l’eau sur plus d’un kilomètre de distance et une dénivellation de 21 m jusqu’au réservoir situé dans le grenier du château. Après soixante-dix ans d’abandon, le mécanisme a été restauré en 1988 et approvisionne désormais la fontaine de la mairie.

Dans son édition du 13 décembre 2002, l’Écho Républicain, revenait sur la vente aux enchères du château de Saint-Éman :

 

Hier lors d’une vente à la bougie,

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le Château de Saint-Éman adjugé 217 000 €

 

            Mis à prix hier à 14 heures, pour la somme de 76 224 €, le château de Saint-Éman – 25 pièces, un parc de 22 hectares, et sept bâtiments communs – a trouvé, au terme de 35 minutes d’enchères, un nouvel acquéreur pour 217 000 €.                   

Qu'est-ce qu'une vente à la bougie ?

C’est dans une salle d’audience des saisies immobilières du tribunal bondée que l’huissier procède au premier feu. La mèche sitôt allumée, les voix fusent. Selon un déroulement très codifié remontant au XVe siècle, les acheteurs potentiels, représentés par leurs avocats, portent leurs enchères, pendant que les deux premières bougies flambent. Deux acheteurs se déclarent d’emblée. 

En une minute, par palier de mille euros, la somme de 90 000 € est vite atteinte. Brève pause lors du second feu à 121 000 €. Chassé-croisé des regards dans la salle d’audience. Me Charles Nouvellon se tourne vers un membre de l’assistance qui lui fait un discret signe de tête avant de lancer un nouveau prix : « 122 000 € ! »

            Dans l’assistance, on sort ses calculettes pour faire la conversion euro/franc. A 180 000 €, alors que les propositions s’enchaînent à un rythme moins soutenu, un troisième acheteur sort du bois et profite de l’effet de surprise. Un des premiers enchérisseurs abandonne et la confrontation revire au duo.

            « Ils font durer le plaisir ! », s’exclame quelqu’un dans l’assistance. Mais, dix minutes après que l’on a allumé le troisième et dernier feu, l’adjudication est prononcée en faveur de l’acheteur stratège.

            Les heureux propriétaires se lèvent. Ce sont des particuliers, un couple de Champhol, qui remporte la vente face à deux agents immobiliers. Le couple reçoit plusieurs félicitations mais aussi un « Bon courage ! » d’un spectateur, faisant référence à l’état de délabrement avancé du château de Saint-Éman. « Nous ferons les travaux petit à petit » explique sereine la nouvelle propriétaire, qui déclare s’être décidée avec son époux au dernier moment.

            Expulsion.

            La vente ne fait pas que des heureux. Suite à l’ordonnance de référé du 6 décembre dernier, le tribunal a également prononcé hier l’expulsion dans un délai de quatre mois des deux personnes occupant sans droit, ni titre la maison du gardien du château.

Le 6 mars 2003, le journal local rappelait qu’à l’issue des enchères du jeudi 12 décembre 2002 :

 

             M. et Mme Abreu, un couple de Champhol remportait la vente du château adjugé à 217 000 €.

           

            Mais ce qui ne se produit que très rarement est arrivé : comme le permet la procédure très codifiée du XVe siècle qui régit ce type de transaction, des particuliers ont déposé une surenchère auprès du greffe du tribunal quelques jours après la première vente.

 

            Conséquence : l’édifice sera remis aux enchères cet après-midi, jeudi 6 mars 2003. Mise à prix : 218 000 €. Une coquette somme de départ comparé à l’état du château, plutôt vétuste.

Le mois précédent, le 1er février, en effet, le cahier des annonces légales paru dans l’Écho Républicain, indiquait les requêtes, poursuites et diligences de :

 

M. Xavier Guérin, et de son épouse, née Sigolène Palluat de Besset, demeurant ensemble à Plaisance, 28120 Illiers-Combray.

 

Avec la publication d’une nouvelle adjudication « sur surenchère aux enchères publiques » :

 

Un château délabré avec un chalet inhabitable en bois,

 un bungalow, une grande écurie, un chenil,

un vaste et un petit bâtiments et une maison de gardien.

 

Le tout en mauvais état.

 

Situés : Lieu-dit « Les Pâtis » Commune de Saint-Éman.

En un seul lotissement

 

Jeudi 6 mars 2003, à 14 heures.

 

Mise à prix : 238.700 €

 

            L’annonce précise que le château en mauvais état extérieur et dont l’intérieur a été totalement pillé est composé :

- au rez-de-chaussée : cinq pièces,

- au premier étage : cinq pièces,

- au deuxième étage : six pièces avec salle de bains,

- au troisième étage : huit pièces.

            Dans le parc, existence de deux mares et d’un étang sans eau, bassin autrefois alimenté par un bélier hydraulique.

Adjudication « sur surenchère aux enchères publiques » du 1er février 2003

Au « jour J », le 6 mars 2003, le journal l’Écho Républicain, informait ses lecteurs de la nouvelle vente aux enchères prévue le jour même :

 

Le château de Saint-Éman remis aux enchères

 

            Le château de Saint-Éman devrait retrouver un nouveau propriétaire aujourd’hui…. À partir de 14 heures dans une salle d’audience des saisies immobilières du tribunal de Grande Instance de Chartres – Séance publique -

 

… rappelant aussi les péripéties qui ont fait suite à la précédente vente à la bougie du 12 décembre 2002.

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Le lendemain, le 7 mars 2003, le journal titrait sous la signature d’Hélène Bricard :

 

Hier lors d’une nouvelle vente à la bougie

 

Un couple de Champhol rachète le château de Saint-Éman

 

            Mis en vente sur surenchère hier après-midi au tribunal de Chartres, le château de Saint-Éman, en très mauvais état, a été adjugé 241 000 €. Ambiance et rencontre avec les heureux propriétaires, José et Jocelyne Abreu, de Champhol.

 

            « Cette fois, le château est à nous ! Je n’arrive pas encore à y croire. » Une nouvelle vie commence pour José Abreu et sa femme Jocelyne. Hier, au terme de quelques minutes d’enchères, ces habitants de Champhol sont devenus les heureux propriétaires du château de Saint-Éman situé à quelques kilomètres d’Illiers-Combray.

 

            En début d’après-midi, le manoir délabré du XVIIIe siècle (NDLR : erreur, il s’agit de la fin XIXe) a été adjugé 241 000 €, dans la salle des saisies immobilières du tribunal de grande instance de Chartres. L’édifice était mis en vente sur surenchère.

 

            Lors d’une précédente audience qui s’est tenue le 12 décembre dernier, José et Jocelyne Abreu avaient déjà remporté la vente et le château avait été adjugé 217 000 €.

 

            Mais des particuliers du secteur d’Illiers-Combray, déçus, avaient décidé de déposer une surenchère auprès du greffe du tribunal. Nouvelle mise à prix : 238 700 €.

 

            « J’étais à l’étranger quand j’ai appris la mauvaise nouvelle. Je suis rentré tout de suite car je voulais à tout prix ce château », a raconté, hier, José Abreu.

Hier vers 14 h 30. Devant une salle bondée, l’huissière procède au premier feu. La mèche sitôt allumée, maître Mery annonce : « 239 000 € ! ». Quelques secondes s’écoulent, et puis l’huissier lance le deuxième feu. La somme de 240 000 € est péniblement atteinte.

 

            Nouvelle enchère de mille euros. Le troisième feu est allumé et personne ne bouge dans la salle. Le visage de José Abreu s’illumine. Encore quelques minutes d’attente et puis la présidente prend la parole : le château de Saint-Éman est adjugé 241 000 €. « S’il avait fallu, je serai allé plus haut. C’est super », commente José Abreu, le regard pétillant de bonheur. Les couvreurs sont déjà prêts à commencer les travaux de réfection des bâtiments…

 

            Les nouveaux acquéreurs devront attendre plusieurs mois avant de pouvoir l’habiter.  « Je vais y passer beaucoup de temps… Mais dans deux ans, je serai à la retraite. Je pourrai en profiter avec toute la famille », conclut José Abreu… « Je suis parti de rien ». Il y a 15 ans, il a quitté son Portugal natal pour rejoindre son oncle à Champhol. A l’époque, José Abreu dormait dans une cabane. Bientôt, il fera de beaux rêves dans son château rénové.

José et Jocelyne Abreu, propriétaires du château de Saint-Éman
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La famille Abreu ayant fait l’acquisition du château de Saint-Éman situé « du côté de Guermantes », prouve ainsi qu’il convient de toujours croire en ses rêves.

 

En guise d’épilogue, nous nous devons de citer Marcel Proust pour illustrer cet épisode heureux dans l’histoire de notre patrimoine local, entre « Saint-André-des-Champs » et « la Vivonne ».

 

« Il faut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre, ce soit encore la rêver »

 

Marcel Proust

Les plaisirs et les jours

1896

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