Tuilerie et tuiliers à Saint-Éman
Avant la Révolution, l’artisanat dans le village de Saint-Éman se réduit à une seule tuilerie créée au début du XVIIIe siècle. Cette tuilerie est la seule activité trouvée dans les registres avant 1792. Elle était initialement située à proximité de l’actuel lavoir et de la source du Loir. L’emplacement des tuileries n’est pas choisi au hasard. Pour alimenter le four et l’atelier de façonnage, il est impératif d’avoir des champs à proximité d’où on peut extraire l’argile, une fontaine pour y puiser l’eau, des haies et bosquets pour y couper du bois. Le site du lavoir à Saint-Éman était donc tout indiqué.
C’est en 1878 que le Comte Edgard de Goussencourt entreprend, sur ses terres, la construction d’un fourneau à tuiles et d’une halle de tuilerie. Les travaux sont achevés en 1879. Un extrait du registre des Contributions Directes atteste de la construction de cette tuilerie avec un recouvrement de l’impôt acté en 1881. Les matrices cadastrales de cette année-là, le confirment également, folio n° 218 et n° 219, sous l’intitulé « halle à thuilles » et « fourneau ». Le Comte de Goussencourt se révèle être un entrepreneur insatiable manifestant un intérêt évident pour toutes les innovations de l’époque. En 1871, élu Maire, il va s’évertuer à construire le patrimoine du village tel qu’on le connaît aujourd’hui et qui trouve ses origines au début de la IIIe République. Il convient de rappeler que le Comte de Goussencourt construit le château en 1874, travaux envisagés par son père Gustave. Deux ans plus tard il commande le bélier hydraulique, une véritable nouveauté technologique dans la région. La construction de la tuilerie en 1879 offre les moyens de se procurer sur place tous les matériaux nécessaires à la construction de l’école et de la mairie en 1884 et de gérer ainsi en toute autarcie les travaux à venir. Le Comte de Goussencourt avait indéniablement l’âme d’un bâtisseur.
La tuilerie est à mi-chemin entre le bourg et le pâtis. On devine encore de nos jours sa présence sur la droite à l’amorce du virage au milieu d’un terrain envahi par les taillis et les ronces. Quelques ruches s’y dissimulent aujourd’hui entre les cardères sauvages. Les crépitements du four d’antan ont fait place au bourdonnement des abeilles.
Le terrain abandonné au milieu des vestiges de l’ancien four a servi de décharge municipale jusqu’à sa fermeture au début des années 1980. C’est à cette époque, par décision du 3 avril 1981, que la commune adhère au Syndicat de Collecte et de Traitement des Ordures Ménagères.
Pour les plus anciens et natifs du village, le nom de La Tuilerie est resté attaché à ce lieu. Une feuille cadastrale colorisée et archivée en mairie, nous permet de retrouver l’emplacement du fourneau et de la halle à tuiles.
Aujourd’hui, en revenant sur le site, au milieu des broussailles, l’archéologue en herbe peut découvrir sous un tapis de feuilles et de mousses, quelques briques anciennes qui affleurent le sol.
Autrefois, chaque commune possédait sa tuilerie-briqueterie. L’activité était saisonnière, et le tuilier devait bien souvent exercer un autre métier pour subvenir à ses besoins. Dans le Perche, les textes mentionnent d’ailleurs fréquemment le terme de laboureur-tuilier. Au cours de la période comprise entre 1860 et 1914, les 2/3 des tuileries-briqueteries ont disparu, à Saint-Éman comme partout ailleurs. A Illiers, jadis, les briqueteries étaient nombreuses. On en remarque encore les vestiges avenue Charles Brune et à la Maladrerie. Dans la Région, la seule briqueterie artisanale toujours en exercice se trouve à L’Hôme-Chamondot dans l’Orne, elle date de 1760 avec, aux fourneaux, Laurent Fontaine, représentant la quatrième génération d’une famille qui tient cette fabrique depuis 1890.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les tuiles étaient moulées à la main puis cuites au feu de bois. Suite à la cuisson, elles prenaient des teintes rouges ou brunes. Les briques quant à elles, dans notre région, sont diversement utilisées, en bordures de fenêtres ou de portes, en chaînage d’angle ou encore pour les corniches aux joints clairs faits de mortier à la chaux blanche ou légèrement teintée. On peut encore apercevoir quelques beaux spécimens dans notre habitat ancien.
L’église de Saint-Éman s’entrouvre comme un catalogue dans lequel se déclinent les briques ouvragées au fil de ces trois derniers siècles. Les teintes et les modèles échappent à la standardisation de l’industrie d’aujourd’hui. Quelques tomettes et pavés datant du XVIIIe siècle ont été retrouvés sous le maître autel. A certains endroits de l’édifice, les différences de formes et de teintes des briques font naître de jolies mosaïques. Au niveau de l’ancienne porte de la sacristie murée, le remplissage en briques offre un contraste saisissant avec la blancheur du tuffeau percheron.
L’activité tuilière au même titre que la production agricole est une affaire familiale. La transmission des savoir-faire se fait de père en fils, avec l’emploi parfois d’un frère ou d’un gendre. On le constate d’ailleurs à la tuilerie de Saint-Éman avec les familles TARDIVEAU, BOUTIER et ALLAIN.
La Révolution met un terme provisoire à l’activité artisanale dans le village de Saint-Éman qui a, avant tout, une vocation agricole.
C’est seulement vers 1809 que l’activité de la tuilerie reprend à Saint-Éman. Pour se resituer dans le temps, il faut se rappeler qu’à cette période, autour de nous, et loin de notre village, la France, sous Napoléon, était à nouveau en guerre contre l’Autriche. La grande histoire, et la petite se côtoient. L’activité villageoise restait sourde aux bruits des batailles et des canons.
Les tuiliers-briquetiers de Saint-Éman
sur les registres de recensement
Avant de partager les informations collectées dans les registres du recensement auprès des Archives départementales d’Eure-et-Loir, il convient d’évoquer une circulaire et un arrêté du préfet Ernest-Henri de Grouchy en date du 18 mai 1853 portant « Interdiction de couvrir les maisons en chaume ». Ces nouvelles dispositions allaient fortement influencer et redynamiser l’activité des tuiliers de la région et de Saint-Éman en particulier.
En ce milieu du XIXe siècle, les tuileries-briqueteries étaient de plus en plus nombreuses. Il n’est pas rare, en traversant les villages, de trouver des rues, des impasses baptisées « La Tuilerie », « La Briqueterie » ou même « La Briquerie »… mais beaucoup plus rare aujourd’hui de trouver des vestiges, cheminée, four, séchoir… de cette activité jadis florissante.
Cette circulaire avait fait grand bruit à l’époque dans les campagnes rendant encore un peu plus impopulaire le préfet de Grouchy et bousculant durablement l’économie locale et le travail des artisans : tuiliers, maçons, couvreurs…
Dans son courrier, le Préfet déplorait que l’arrêté de novembre 1843 soit resté inopérant. Malgré la diplomatie de bon aloi, on sent poindre dans le ton une certaine impatience et irritation du Préfet envers l’immobilisme des élus ruraux particulièrement visés. Il invite tous les maires, sous contrôle des commissaires de police, à faire appliquer, sans réserve, ces dispositions, pour en terminer avec le fléau des incendies de maisons anormalement élevés dans le département.
Le 18 mai 1853, le Préfet s’adresse en ces termes à l’ensemble des Sous-Préfets, Maires et Commissaires de police du département :
Messieurs,
La fréquence des incendies dans nos campagnes avait depuis longtemps frappé les esprits et fait souhaiter qu’il fût porté remède au mal en l’attaquant dans son principe.
Si l’on étudie la statistique de ces sinistres dans les départements habitués à construire les toitures en tuile ou en ardoise, et dans celui d’Eure-et-Loir, où règne la coutume de couvrir les bâtiments en chaume ou en roseaux, (N.D.L.R. : en « rouche » du côté de Dheury, et Donnemain-Saint-Mamès), on trouve qu’autour de nous les incendies sont plus nombreux, le chiffre des pertes plus élevé que partout ailleurs. Cette différence accuse hautement les dangers du mode de couverture en matières combustibles.
Amener insensiblement les populations à l’usage des toitures en tuile ou en ardoise est le seul moyen d’arrêter ce fléau qui prend, dans la Beauce surtout, des proportions si effrayantes et qui trop souvent réduit en cendres des villages entiers.
Au mois de novembre 1843, un de mes prédécesseurs (N.D.L.R. : Adrien-Sébastien Bourgeois de Jessaint) avait pris un arrêté dans ce but. Mais, comme toutes les mesures qui froissent l’intérêt privé, il souleva d’abord de vives réclamations. L’administration s’en préoccupa peut-être plus qu’il n’eût convenu. Elle atténua ou suspendit les dispositions prohibitives qu’elle avait ordonnées, et en 1849 l’arrêté lui-même fut rapporté.
MM. les Maires furent chargés d’y suppléer par les mesures locales que commanderaient les circonstances ; mais trop peu d’entre eux répondirent à cet appel et le fléau continua de sévir. De 1848 à 1852 plus de 300 incendies ravagèrent le département, éclatant surtout dans les localités qui comptaient le plus de couvertures en chaume ou en roseaux.
Aussi les hommes les plus éclairés et les principaux fonctionnaires ne tardèrent-ils pas à manifester leur regret de la décision intervenue en 1849. Le Conseil général, s’associant à ces sentiments, témoigna dans chacune de ses sessions le désir de voir l’administration combler la lacune qui en avait été la suite. M. le Ministre de l’intérieur lui-même (N.D.L.R. : Duc de Morny, demi-frère de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III), frappé des désastres que nous eûmes à déplorer en 1851 (*), recommanda de chercher les moyens qui pourraient les rendre plus rares.
(*) (N.D.L.R. : Il s’agit du gros incendie du Coudray survenu le samedi 21 juin 1851 avec 45 maisons, des chaumières principalement, détruites ainsi que la chapelle et le presbytère. Cet incendie fit onze blessés dirigés sur l’hospice de Chartres. On a entendu le tocsin sonner à la cathédrale. Dix-neuf pompes se sont rendues sur place venant de toute la région : Thivars, Magny, St Luperce,… les semaines suivantes des souscriptions au bénéfice des sinistrés ont été lancées dans tout le département. Cet incendie a été relaté dans le Journal de Chartres, éditions des 22, 26, 29 juin 1851).
Pour répondre à ce vœu, expression d’un besoin réel, j’ai repris l’œuvre de mon prédécesseur, en en atténuant les prohibitions dans une juste mesure, afin de concilier autant que possible le soin de l’intérêt public avec les droits de propriété.
Vous trouverez mon arrêté après la présente circulaire.
Pour en faciliter l’application, je crois devoir entrer dans quelques détails sur les principaux articles.
L’art.1 prohibe d’une manière absolue l’emploi des matériaux combustibles dans les constructions neuves ou reconstruites à neuf. Il n’est pas admis d’exception pour les bâtiments isolés.
Les repiquages et les travaux d’entretien courant des toitures en paille et roseaux pourront être faits sans autorisation, à moins qu’il n’en ait été disposé autrement dans l’intérêt de la sûreté publique par vous ou par moi.
Mais les propriétaires ne devaient pas trouver dans cette tolérance le moyen d’éluder la défense de reconstruire les toitures en matières combustibles. C’est pourquoi l’art. 2 interdit également, les réparations qui tendraient à en renouveler la surface entière dans une période plus ou moins longue. Ainsi, couvrir aujourd’hui la moitié d’un côté de la toiture en chaume, et l’année suivante l’autre moitié, serait contrevenir à l’arrêté, puisque ce travail ne constituerait pas une réparation d’entretien, mais bien une reconstruction complète.
Les prescriptions de l’autorité doivent être respectées de tous. Dès lors, les ouvriers qui s’emploieraient à la construction ou à la réparation de couvertures faites contrairement à mon arrêté, manqueraient à ce devoir, et des poursuites judiciaires seraient dirigées contre eux comme contre les propriétaires. Cette disposition qui fait l’objet de l’art. 6 est conforme à la loi et à la jurisprudence de la Cour de Cassation. Veuillez la faire connaître aux couvreurs, maçons et autres ouvriers qu’elle concerne spécialement.
Les articles 3 et 5 ne présenteront aucune difficulté d’interprétation.
Je vous recommande, Messieurs, de veiller à l’exécution de mon arrêté. Elle sera facile, si vous faites comprendre à vos administrés qu’il est dans l’intérêt de substituer la tuile ou l’ardoise au chaume et aux roseaux. Cette substitution rendra les incendies moins fréquents et diminuera les chances de ruine qui en sont la conséquence. La faculté de pourvoir à l’entretien des toitures existant actuellement est une concession suffisante aux droits de la propriété. Vos concitoyens sauront l’apprécier. Mais aussi vous ne laisserez pas ignorer que l’administration tiendra fermement la main à l’exécution des prohibitions qu’elle a posées, sans avoir égard aux résistances inspirées par l’esprit de routine ou d’opposition systématique.
Elle saura, d’ailleurs, alléger pour le pauvre les effets de cette fermeté que commande l’intérêt public. Elle viendra à son aide quand les frais résultant du mode de couvertures en matières incombustibles lui imposeraient des charges au-dessus de ses ressources. Dans ce but, elle a demandé au Conseil général d’inscrire un crédit spécial au budget du département. Je délivrerai ces secours après l’achèvement des travaux, parce qu’alors seulement il est possible d’apprécier avec exactitude le montant de la dépense.
MM. les Maires recevront avec cette circulaire mon arrêté imprimé en placard. Je les invite à le faire afficher et publier dans la forme ordinaire, et aussi à en faire donner lecture deux dimanches de suite à l’issue de la messe paroissiale.
Agréez, Messieurs, l’assurance de ma considération très distinguée.
Le Préfet d’Eure-et-Loir,
Er. de GROUCHY.
Certains artisans n’avaient pas attendu ce dernier décret pour se lancer dans la profession de tuilier à Saint-Éman.
Nous trouvons la trace la plus ancienne de cette activité, et en ce lieu, en 1710 avec Toussaint Boisseau déclaré en qualité de tuilier à Saint-Éman. Il devait s’agir d’une modeste installation avec une production certainement très limitée.
La consultation des diverses archives nous a permis de reconstituer la liste des tuiliers de Saint-Éman au XVIIIe siècle et au tout début du XIXe : de Toussaint Boisseau, cité ci-dessus, puis Jean Noble, la famille Tardiveau... jusqu'à Louis Jolly.
Puis à travers les registres de recensement sur la période de 1836-1946, nous trouvons à partir de l’année 1841, dans le bourg du village de Saint-Éman, la famille Beaudoux avec une profession déclarée de tuilier. François Beaudoux, marié à Madeleine Pousset, en est le chef de famille, et les différents membres et domestique sont mentionnés comme participant aux travaux de la tuilerie.
(*) N.D.L.R. : Marin Beaudoux s’était marié avec Marie-Anne Ménager.
À la Taillanderie, habitaient François Beaudoux fils (*), âgé de 26 ans également tuilier et sa femme Louise Laille. Le village de Saint-Éman comptait six tuiliers-briquetiers.
(*) N.D.L.R. : Outre leur fille Alexandrine, âgée de 2 ans, le couple avait deux enfants en nourrice, Émile Caillaux âgé de 16 mois, et Louis Bouilly, 6 mois.
En 1846, François Beaudoux avait embauché des compagnons tuiliers, Louis Renoncet âgé de 23 ans, Charles Riguet, âgé de 18 ans et le jeune Louis, Casimir Renoncet, âgé de 14 ans. Un fils de François Beaudoux prénommé Marin (*), âgé de 29 ans, également tuilier était domicilié dans le bourg de Saint-Éman.
En 1851, François Beaudoux employait toujours deux membres de la famille Renoncet, et Louis Meunier avait remplacé Charles Riguet. Louis Garnier était charretier pour les différentes livraisons et le charroi d’argile extraite des terres voisines. François Beaudoux fils était toujours domicilié à la Taillanderie, et mentionné en qualité de compagnon tuilier.
En 1856, la famille Beaudoux était toujours domiciliée dans une des quelques rares maisons situées face à l’église, seulement trois foyers constituant un bien modeste bourg ! C’était en réalité à « La Taillanderie », le hameau tout proche, que se trouvait être le véritable centre de vie du village.
Lors de ce recensement, François, Louis Beaudoux était âgé de 70 ans. Son fils François, quant à lui, était âgé de 36 ans. Cinq compagnons tuiliers vivaient également sur place. Localement la tuilerie procurait du travail à sept personnes, cela témoignait de la forte activité liée à la fin des toitures en chaume, roseaux et bruyères qui faisaient mauvais ménage avec la multiplication des lampes à pétrole au milieu du XIXe siècle.
Dans le recensement de 1861, nous apprenons que malgré ses 75 ans, François, Louis Beaudoux continuait à exploiter sa tuilerie-briqueterie avec quatre compagnons tuiliers.
A la lecture du registre de 1866, nous apprenons que la famille Blin avait remplacé la famille Beaudoux à l’exploitation de la tuilerie. Ces nouveaux venus étaient précédemment tuiliers à Vérigny.
François, Isidore Blin, veuf, âgé de 35 ans, natif de Mesnil-Thomas, habitait dans le bourg, face à l’église, avec ses deux jeunes fils. Il avait quatre ouvriers tuiliers logés sur place : Adolphe Massot, 19 ans ; Désiré Massot, 16 ans ; Charles Alain, 25 ans ; et son frère Blin Édouard, 24 ans, habitant avec sa femme Clémentine Laillier.
François Beaudoux fils, habitant à la Taillanderie, âgé de 46 ans, travaillait lui aussi à la tuilerie.
Un triste drame...
Les tuiliers-briquetiers pour leur fabrication, avaient besoin d’extraire de l’argile en quantité dans les champs voisins de l’atelier, notamment entre le hameau de « La Taillanderie » et celui de « Guignonville », limitrophe, sur la commune d’Illiers. Un de ses trous fut à l’origine d’un triste drame. Dans le Journal de Chartres du dimanche 9 septembre 1866, nous pouvions lire : « Le jeune Julien Fauquet, âgé de 10 ans, appartenant à d’honnêtes journaliers du hameau de Guignonville, s’est noyé le 1er septembre, en tombant dans un trou rempli d’eau, d’où l’on avait tiré de la terre pour faire
de la tuile, dans un champ situé entre le chemin vicinal de Guignonville aux Châtelliers-Notre-Dame. Sa mère, qui cueillait de l’herbe dans une pièce de terre voisine, ne s’est malheureusement aperçu de ce déplorable accident que lorsqu’il était déjà trop tard pour rappeler son pauvre enfant à la vie ».
Le cadastre indique en ces lieux une pièce funestement appelée « La fille enterrée », une toponymie faisant référence certainement à un autre triste fait divers !
Famille Silly, une lignée de tuiliers
De Beaumont-les-Autels à Bailleau-le-Pin en passant par Saint-Éman...
À la fin de la guerre de 1870, le comte Edgar de Goussencourt reprenait les travaux de construction du château « Le château neuf des Pâtis » à Saint-Éman avec ses communs et nombreuses dépendances. Quelques années plus tard, à partir de 1882, l’école et la mairie allaient être construites. Les besoins en matériaux de construction étaient tels que la production locale artisanale n’y suffisait pas. Avant de concrétiser le projet de construction d’une nouvelle briqueterie, le comte de Goussencourt fit appel à Auguste Silly, tuilier installé à Bailleau-le-Pin.
Auguste Silly était né le 18 avril 1830 à Beaumont-les-Autels, fils de Louis Silly, originaire de Miermaigne, descendant d’une lignée de tuiliers bien connus dans le Perche (*). Auguste Silly s’était marié avec Julie Butard, native d’Illiers. Il décédera le 9 juin 1896 à Bailleau-le-Pin à l’âge de 66 ans.
Dans le registre du recensement de Bailleau-le-Pin, en 1891, nous apprenions que son fils Léon, Abel, né le 30 septembre 1861, avait repris la tuilerie. Cette dernière était située « rue principale », où se trouvaient l’église et la mairie. Ces bâtiments devinrent par la suite ceux d’une exploitation agricole. En 1945, Henri Choquet exploitera la tuilerie à la sortie du village, en direction de Chartres, emplacement qui était reconnaissable pour les contemporains que nous sommes par les vestiges de la cheminée du four aujourd’hui disparue.
(*) La famille Silly, de génération en génération, était présente dans les tuileries de la région. Les noms de différents membres de la famille, exerçant le même métier, de père en fils, se retrouvent dans les registres de recensement des communes de Bailleau-le-Pin, Frazé, Beaumont-les-Autels, Dampierre-sous-Brou… Saint-Éman. Avant la Première Guerre mondiale, on trouve Léon Silly, né en 1879 et Julien Silly, né en 1857, ouvriers tuiliers chez Eugène Guérin, patron de l’importante tuilerie de Frazé dont les séchoirs sont encore visibles et constituent les derniers vestiges de cette activité dans la région.
À Saint-Éman, en 1872, le tuilier François, Isidore Blin, veuf, s’était remarié avec Lubine, Alexandrine Cuillardier, native d’Illiers, âgée de 40 ans. Il n’y avait plus d’ouvriers tuiliers habitant sur place, seuls les membres de la famille Blin participaient aux travaux.
En 1876, la famille Blin était remplacée par celle de Jean, Alcide Blaireau, âgé de 35 ans, marié à Eugénie Laigneau, native de Cernay. Le couple avait trois jeunes enfants. La famille Védie, avec le père Jean, et le fils Alcide, habitant sur place, étaient déclarés ouvriers tuiliers.
Au recensement de 1881, la nouvelle tuilerie-briqueterie du comte Edgar de Goussencourt était construite. Louis Harranger, âgé de 54 ans, marié à Caroline Audebourgt, devenait le nouveau tuilier du village.
Pour la construction de l’école-mairie, dans le Cahier des charges d’attribution des marchés daté du 14 décembre 1882, il était convenu que les briques et tuiles devaient provenir des fours de Saint-Éman.
Cinq ans plus tard, en 1886, Louis Harranger était toujours mentionné comme tuilier, aidé par femme, son fils Joseph âgé de 16 ans, et de son beau-père travaillant encore à l’âge de 82 ans.
En 1891, Louis Harranger était âgé de 62 ans. Pour les travaux de la tuilerie, il se faisait désormais aidé par la famille Allain : Charles Allain, âgé de 50 ans, marié à Louise Bouchereau exerçant le métier de couturière. Les deux jeunes enfants Victor, et Alfred, seulement âgés de 13 et 12 ans participaient également aux travaux de la tuilerie.
Joseph Harranger, en 1896, avait repris la tuilerie à la suite de son père. Il était âgé de 26 ans et était marié à Juliette Beaudoux, âgée de 18 ans. Le couple avait un bébé de 7 mois. Deux ouvriers étaient logés chez eux, Pierre Cailleaux, 46 ans, et le jeune Louis Lerault, 12 ans. Justin Lérault et sa femme Alphonsine Bouhours habitant dans le bourg, travaillaient également à la tuilerie.
Le 29 octobre 1899, Joseph Harranger se voyait commander par le maire du village, le comte Edgar de Goussencourt, 1600 briques pour la construction du nouveau puits communal situé aux Fauquetteries.
Cinq ans plus tard, en 1901, le registre confirmait que Jules Géré, Pierre Caillaux et Julien Marchand, tuiliers, demeurant à Saint-Éman avaient pour employeur Joseph Harranger.
Simon Allain devenait en 1906 le nouveau tuilier-briquetier du village. Il était né en 1879 à Brou et avait épousé Anaïse Flaché native de Saint-Éman. Il était aidé par Charles Allain, son père.
En 1911, Simon Allain n’était plus patron tuilier, il devenait salarié du comte de Goussencourt, propriétaire de la tuilerie-Briqueterie.
Dix ans plus tard, en 1921, après la Première Guerre mondiale, il y avait eu bien des changements à Saint-Éman. Le comte Edgar de Goussencourt était décédé le 4 mars 1920 à Chartres. Le nouveau tuilier s’appelait Louis, Eugène Silly né le 9 septembre 1883 à Bailleau-le-Pin. Il était en famille avec Auguste Silly, le tuilier de Bailleau-le-Pin, famille installée depuis le siècle dernier, dont on trouve la trace à Saint-Éman en 1870 pour les travaux du château. La boucle « Silly » se bouclait un demi-siècle plus tard.
(N.D.L.R. : Voir ci-dessus l’article « Famille Silly, une lignée de tuiliers »).
Louis Silly avait épousé le 15 novembre 1909 Louise, Victorine née François en 1886 à Bailleau-le-Pin. Le couple avait deux filles, Andrée et Yvonne nées à Saint-Éman en 1915 et 1921. Louis Silly avait deux ouvriers tuiliers, les jeunes frères Boivin, Maurice et Lucien, natifs d’Illiers.
Louis Silly fut également et brièvement maire du village entre 1925 et 1926. Louis Silly décédera le 25 mars 1957 à Bailleau-le-Pin.
D’après un témoignage de la famille Choquet, nous savons que le jeune Henri Choquet, curieux et intéressé, âgé de 13 ans à l’époque, venait déjà « traîner ses guêtres et mettre la main à la pâte » à la tuilerie Silly.
En 1926, nous retrouvons Henri Choquet, alors âgé de 18 ans, en qualité d’ouvrier tuilier logé au domicile de son patron Louis Silly. Il apprenait ainsi les rudiments du métier. En 1915, sur l’acte de naissance d’Andrée, la première fille de Louis Silly, André Choquet, le père d’Henri, était mentionné comme témoin, gage d’une bonne entente entre les deux familles.
Nos insatiables recherches ont permis de trouver des vestiges de la production locale datant d’un siècle, notamment un amas de briques à la ferme du Petit Bois Barreau. Et aujourd’hui, avec la complicité de Valentin Baron, descendant de la famille Sotteau, nous retrouvons une nouvelle trace de cette activité disparue. Il s’agit d’un modèle de tomette de terre cuite estampillée « L. Silly Tuilerie de St Éman » dans le carrelage qui a été posé il y a un siècle dans une maison située « Les Fausserons » (*) aux Corvées-les-Yys. Cela prouve que les briques et les tuiles du village de Saint-Éman « s’exportaient » bien !
(*) N.D.L.R. : A l’époque, la ferme était exploitée par Théophile Barbier avec son fils Adrien. En ce lieu-dit vivaient également deux autres familles, celles de Désiré Bouillie et de Georges Bazin, ce dernier était originaire de Meslay-le-Grenet.
L’année 1931 voyait l’extinction de l’activité de tuilier-briquetier à Saint-Éman après plus de deux siècles d’existence avérée par les archives. Le foyer du four allait se refroidir pour toujours et toute trace de ruines s’est même effacée aujourd’hui à nos yeux.
Ainsi dans le village, après le travail de l’osier, les ouvrages du tisserand à la Taillanderie, disparaissait maintenant celui du tuilier… seul le bar-tabac résistait. Il était tenu par Prisca Gouabault, la fille de l’ancien instituteur et maire de la commune.
Des métiers d’autrefois et des savoir-faire que l’on allait perdre pour toujours ! La tuilerie de Saint-Éman fermée, abandonnée, Henri Choquet, privé de travail, se « faisait cantonnier », mais il n’avait pas dit son dernier mot… un jour, devenu patron, l’enfant de Saint-Éman, marquera de son nom des briques sorties du four de la dernière tuilerie-briqueterie du canton... à Bailleau-le-Pin.