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Pierre Crépeau... "je me souviens..."

Un ancien élève de l’école de Saint-Éman.

Pierre Crépeau, né le 23 avril 1937, a fêté dernièrement ses 85 ans en famille dans la salle communale de Saint-Éman. Il nous reçoit aujourd’hui le 21 octobre 2022 dans sa maison natale à Guignonville pour évoquer sa scolarité dans notre petite école à l’époque de l’occupation allemande en 1939-1945. Depuis, l’eau du Loir a coulé bien des fois sous le pont ! … et l’école de Saint-Éman a fermé ses portes.

Pierre Crépeau, ancien élève de l'école de Saint-Éman
Pierre Crépeau, feuilletant le registre d'appel journalier de l'année scolaire 1942-1943

C’est le vendredi 2 octobre 1942 que Pierre Crépeau, alors âgé de 5 ans, fait son entrée dans l’école mixte de Saint-Éman. Il est accompagné de sa sœur Lucette de 2 ans son aînée. En cette année scolaire 1942-1943, l’école est fréquentée par 30 élèves. Au cours de sa scolarité, Pierre Crépeau nous dit avoir connu des effectifs allant jusqu’à 48 écoliers.

Première page du registre d'appel journalier de l'année scolaire 1942-1943
Page du registre d'appel journalier de l'année scolaire 1942-1943

Plus de 80 ans après, Pierre Crépeau découvre, avec étonnement et une certaine curiosité, le registre d’appel tenu par sa première institutrice, madame Sani, à l’écriture soignée et appliquée. « Une maîtresse sévère, et quand on se prenait une gifle avec les doigts marqués sur la joue, il fallait pas se plaindre à la maison, sinon on s’en prenait une deuxième ».

 

Un document qui ressurgit aujourd’hui, jadis oublié dans le grenier de la mairie, noyé dans les archives jaunies et écornées. Un véritable bain de jouvence pour ceux qui y retrouvent leur nom ou ceux des  membres de leur famille. Les pages que Pierre Crépeau feuillette l’invitent à remonter le temps, à partir à la recherche du temps perdu… à retrouver des traits juvéniles parmi les rides qui se sont invitées ces dernières années chez tout un chacun… 

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Sur le registre d’appel, les noms des élèves sont classés par ordre alphabétique. À l’évocation d’un nom, d’un prénom, la mémoire de Pierre Crépeau recherche le visage d’un enfant, celui d’un copain d’école, assis à ses côtés sur le même banc, jouant avec lui dans la cour de récréation… des élèves venus de Guignonville comme lui, ou du hameau des Perruches, des Dauffrais, de Grandhoux... Des enfants, pour certains, qui sont devenus, au fil des décennies, des familiers de sa propre existence, croisés dans la vie de tous les jours, en faisant ses courses, en allant à certaines kermesses et à la chasse aussi. Pierre Crépeau se souvient qu’enfant il allait chasser avec le père Grégoire, l’ancien cafetier de Saint-Éman, dans les prés envahis d’abeilles du côté de l’actuel étang Choquet.

 

Ces écoliers à l’âge adulte sont devenus charpentier-couvreur, facteur, préparateur en pharmacie… Pierre Crépeau a fait une bonne partie de sa carrière professionnelle comme électricien travaillant chez Bertin à Illiers. Sur les chantiers, ou dans la rue, les gens des environs le reconnaissaient facilement grâce à ses « bacchantes ». Il ne les a pas abandonnées l’heure de la retraite venue, le temps les a simplement teintées de blanc.

 

À l’instant présent, Pierre Crépeau prend la mesure du temps qui passe en lisant à voix haute les noms qui se succèdent sur la longue page du registre. Il évoque le décès des uns et des autres… « Bernard Ménager, il est décédé il y a quelques mois maintenant, Yolande Ridet, il y a longtemps déjà...et Bernard Hais, je croise encore sa femme de temps en temps... ».

 

Les années 1940 sont bien loin maintenant, la drôle de guerre, l’occupation, Vichy, le débarquement... Les petits-enfants redécouvriront ce passé dans les livres d’histoire avec ses heures sombres. Le temps qui passe, il en a aussi conscience avec les calendriers de la FNACA qu’il distribue chaque année, il est un « ancien d’Algérie »… « J’en ai de moins en moins à distribuer » et de conclure, le regard pensif, « On ne peut pas être et avoir été ».

 

En poursuivant la lecture, certains patronymes n’ont pas laissé de traces dans sa mémoire, « Non, je vois pas, ça me dit rien... », des enfants scolarisés quelques mois seulement, leurs parents, ouvriers agricoles, étant venus faire des travaux dans une ferme du coin le temps d’une moisson ou d’un labour.

 

Notre petit écolier de Guignonville se souvient qu’avant l’arrivée d’un nouvel enseignant, monsieur Girard, en 1946, une institutrice avait remplacé madame Sani. En tournant les pages du registre, nous constatons en effet un changement d’écriture à la rentrée scolaire en octobre 1945. Il s’agit de madame Gomand qui ne sera restée à l’école de Saint-Éman que l’année scolaire 1945-1946. À partir du mois de janvier 1946, elle enrichira le registre d’appel de la météo du jour. Nous y apprenons qu’au mois de mars 1946 l’hiver fut particulièrement rigoureux. L’abondance des chutes de neige, dès les premiers jours du mois, avait contraint les élèves à rester chez eux. Pierre Crépeau se souvient que la neige parfois les obligeait sa sœur et lui à emprunter la route passant du côté du pont de la route des Perruches, le chemin derrière leur maison étant impraticable à cause des épais congères. Bien souvent aussi, en milieu d’après-midi, quand les premiers flocons virevoltaient dans le ciel, la maîtresse invitait les élèves qui habitaient au loin, comme aux Roselles, à Bréviande, à Grandhoux,... à partir sans tarder. De nombreux enfants étaient mal chaussés, pas de « godillots » pour le mauvais temps et l’hiver. Les sandales étaient, pour beaucoup, le seul luxe qu’ils pouvaient se payer.

 

À la saison froide, et à tour de rôle, des élèves devaient arriver un quart d’heure plus tôt pour allumer le poêle. Monsieur Ratier de Méréglise venait couper et fendre le bois. Il allait à vélo dans les villages voisins pour « faire » le bois des écoles. Les beaux jours revenus, au début de l’été, Pierre Crépeau se souvient d’une autre corvée, celle du ramassage des doryphores. Il se revoit avec sa petite boite « cueillir » les bestioles à tête orangée tant redoutées dans les champs de pommes de terre, ceux de l’agriculteur des Pâtis, Monsieur Loison, situés du côté de l’ancienne tuilerie-briqueterie dont quelques murs résistaient encore à l’époque… vestiges aujourd’hui disparus.

Page du registre d'appel journalier de l'année scolaire 1945-1946

Au cours de l’année scolaire 1945-1946, dans le registre, Pierre Crépeau peut lire qu’il était en cours élémentaire avec douze autres enfants de la même classe d’âge, Bay Mireille, Choquet Pierre, Ridet Yolande, Gaudin Roger,… L’institutrice avait dans sa classe une quarantaine d’élèves dans quatre niveaux différents. Sa sœur était en cours moyen avec Bay Maryse, Mauduit Raymonde,…

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En janvier et février 1946, la classe a été décimée par une coqueluche très contagieuse. Pierre et sa sœur ont été absents pendant un mois et demi. Les grands, comme Bay Mauricette, Pichot Georgette,… en fin d’études préparant le certificat d’études, ont été moins touchés semble-t-il.

Page du registre d'appel journalier de l'année scolaire 1945-1946
Page du registre d'appel journalier de l'année scolaire 1945-1946

Alors qu’il arrive en cours moyen, il a affaire avec le nouvel instituteur : Monsieur Girard. Il me confirme la passion de ce dernier pour l’aviation comme me l’avait évoquée Léon Ridet. Un jour, se souvient-il, il devait avoir dans les 10 ans, jouant au foot sur le terrain de sport d’Illiers, intrigué par le bruit, il vit un petit avion voler au dessus de sa tête. Ses copains de jeux lui crièrent « C’est Girard l’instituteur ».

 

Pierre Crépeau vers la fin de ses études à l’école de Saint-Éman eut comme maîtresse Madame Girard née Gaubert. Elle était issue d’une famille d’enseignants. Ses parents étaient instituteurs à Champrond-en-Gâtine.

 

Nous sommes alors en l’année 1950… l’heure de la sortie allait sonner et de nouvelles pages restaient encore à écrire pour Pierre Crépeau… l’apprentissage, l’armée, le travail, une vie de famille à bâtir… ainsi va la vie…

 

Au cours de la conversation, nous évoquons la vie dans le village de Saint-Éman, et les hommes qui ont marqué son histoire contemporaine dont Gérard Courteil, Henri Choquet… en évoquant ce dernier, Pierre Crépeau me dit que son propre père avait travaillé avec lui aux Ponts-et-Chaussées à Illiers avant qu’Henri Choquet ne reprenne la briqueterie de Bailleau-le-Pin. Et tout en discutant, Pierre Crépeau me montre la cheminée qui est derrière lui : « Quand j’ai restauré et agrandi cette maison de famille où je suis né, c’est Henri Choquet qui m’a fourni ces briques sorties de sa dernière fournée vers 1975, ce sont les dernières qu’il m’a dit, y’en aura plus d’autres... ».

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