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Les moines de Tiron aux Abbayes du Loir, source primaire du Loir

En quelques dates, en quelques faits marquants...
 
Du XIIe  au XVIIe siècles

La présence des moines de Tiron sur la métairie des « Abbayes du Loir », dont les terres sont situées en limite du Perche, entre les paroisses de Corvées-les-Yys et du Thieulin, est avérée depuis le XIIe siècle.

Moine de Tiron

Une charte fut signée en 1120 entre les religieux de Saint-Denis rattachés à l’Ordre de Cluny et ceux de Tiron dépendant de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron créée par saint Bernard de Ponthieu en 1109. Ce traité concernait différents biens fonciers dont la possession était une source de litige entre les deux abbayes.

À l’époque du comte Rotrou III le Grand,  les moines de Saint-Denis cédèrent à ceux de Tiron tout ce qu’ils possédaient au-delà du Loir jusqu’à la route pavée de Chartres « quatre charruées de terre, soit environ cent hectares, à l’emplacement de Notre-Dame du Loir » avec l’étang de la Motte et le moulin du Ravin. Les moines clunisiens avaient toutefois exigé d’avoir un étang en amont et en aval de la métairie des « Abbayes du Loir ».

« quicquid terre habebant ultra Ledum usque ad viam Carnotensem, et stannum supra predictum fluvium, et molendinum stanni cum ortulo qui est inter aquam molendini et aquam de portis stanni,... »

Moine de Tiron

En échange, Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres et son frère Goslin abandonnèrent au prieur de Saint-Denis à Nogent ce que Payen de l’Orme et Hugues de Rivray tenaient en fief.

 

Dès 1121, on trouve mention du « Prieuré du Loir », élevé dans ce pays de gâtine, « lieu dévasté, lande déserte », dans le cartulaire de l’abbaye de Tiron.

Extrait du cartulaire de l'Abbaye de Tiron (1156)

Le prieuré du Loir tirait son nom de la rivière du Loir (*) qui autrefois prenait sa source à une fontaine aux eaux vives située à mi-côte, au-dessous de la ferme dite aujourd’hui « Abbaye du Loir » et des ruines de la chapelle de Notre-Dame du Loir toujours visibles. De nos jours, cette fontaine, peu abondante, se perd au milieu de l'étang du Loir qui n'est plus lui-même qu'un marécage. On distingue encore la levée de terre formant digue qui fermait la vallée, entre Beaurepère et Briscou.

(*) Étymologie du mot Loir : en 616, Ledo ; en 800, Ledum ; en 1142, Ler ; à partir de 1283, Loir.

En 1189, Yves de Courville fit don aux moines de Tiron de toutes les dîmes qu’il avait à prendre sur les terres du Loir, « in terris de Ledo ».

En l’an 1200, s’installe un prieuré clunisien sous la protection de saint Sauveur, à proximité des abbayes du Loir, sur les terres de chasse de la famille Rotrou, à l’emplacement du village actuel de Champrond-en-Gâtine. Cette proximité allait générer de nombreux conflits de voisinage. Les procès conduisirent à des arbitrages de justice, et parfois même à certaines légendes telle celle des carpes encapuchonnées à l’époque de Sully, quatre siècles plus tard !

 

Une archive datée de mars 1212 mentionne les dîmes de la ferme du Loir au bénéfice du monastère de Tiron :

 

« ... religiosos viros abhatem et conventum monasterii Tironensis et eorum firmarium sue domus de Ledo, reos exaltera, super eo quod rector predictus exig-ebat a dicto firmario decimam omnium laborum et granorum que colligebat in terris sue firme predicte de Ledo... »

 

Après Geoffroy de Lèves, Gauthier, nouvel évêque de Chartres, reconnaissait par acte rédigé en 1224 que tout ce que les religieux possédaient en leur seigneurie du Loir n’était aucunement assujetti à l’évêque de Chartres.

En 1297, « Aalis, dame de la Gastine en la paroisse des Puys » consentait, par acte de reconnaissance, que ses officiers n’aient aucun droit de juridiction « sur la maison dou Ler ».

Une ordonnance du Chapitre de Chartres prise en 1301 réglait les droits d’usage des habitants des Corvées dans les bois du prieuré du Loir.

En 1474, à l’issue d’un procès, une mainlevée était prononcée en faveur des religieux de Tiron « de l’empeschement et brandonnement (*)» fait sur la bonde de l’étang du Loir par les officiers de Charles, Pierre, Louis et Françoise d’Estouteville, enfants et héritiers de feu Blanchet d’Estouteville, seigneur de la Gastine. Le seigneur des lieux contestait le pouvoir des moines de Tiron à gérer selon leur bon vouloir le vannage de l’étang de l’abbaye du Loir compromettant, en aval, l’alimentation des étangs et le bon fonctionnement du moulin de la Gastine rattachés au château de Villebon.

(*) Au Moyen Âge, le brandonnement d’une parcelle objet d’un litige consistait à l’entourer de bâtons enveloppés de paille pour en marquer la saisie, où tout accès était interdit, que seule la main levée pouvait libérer.

Les moines défricheurs.

 

Ces litiges étaient bien éloignés du chaleureux accueil qui avait été réservé aux moines au début du XIIe siècle. Leur présence était en effet souhaitée et encouragée par les seigneurs au sein de leur fief. L’édification de chapelles était encouragée pour la célébration du culte et des communautés s’organisaient au sein de prieuré. Le savoir-faire des moines dans l’agriculture était un gage d’enrichissement et de valorisation du domaine seigneurial. Les moines étaient passés maîtres en défrichement et drainage des zones boisées et humides.

Pour preuve, en l’an 1132, les moines cisterciens de l’abbaye de Sept-Fons dans l’Allier fondaient leur monastère dans une lande marécageuse partiellement boisée et insalubre.

Des fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour des réseaux de tiges d’aulne noir imputrescibles drainant l’eau et asséchant les parcelles à mettre en culture. Ces techniques étaient exportables dans tout le royaume et mises à profit par les moines quelque soit leur Ordre ecclésiastique. Les moines de Tiron, sur leur possession aux « Abbayes du Loir », en véritables paysans défricheurs  étaient associés à la pratique du « Campus Rotundus in Gastina », qui signifie : « champ rond en Gâtine », nom donné au village voisin de Champrond-en-Gâtine.  Les moines défrichaient des clairières en forme circulaire au milieu des bois, qu’ils labouraient et ensemençaient ensuite. La gâtine, ou gastine, est une lande de zone humide, à ne pas confondre avec le terme de bocage parfois usité dans notre région, cette appellation est plutôt réservée aux paysages agraires normands et vendéens.

À la fin du XVIe siècle.

 

C’est à partir de 1573, à la lecture des archives, que nous notons un désengagement progressif de l’abbaye de Tiron dans les affaires de la métairie du Loir. La préoccupation des nouveaux commendataires était de percevoir les dîmes et droits divers. Une partie des terres était dorénavant donnée en fermage.

Un bail était rédigé par Charles de Ronsard pour le compte des religieux de Tiron pour les terres du Ledo, autrement dit « l’abbaye du Loir » avec Claude de Vanssay, seigneur de la Gaudrière, paroisse de Digny, et Claude de Cernay, seigneur de la Brosse, paroisse de Brunelles.

En 1582, une autre procédure de partage était engagée avec le seigneur du Boistier de Fontenay implanté dans le Perche nogentais.

 

Commentaires :

Cette période, à la fin du XVIe siècle, témoignait de temps particulièrement difficiles pour l’abbaye de Tiron. Après Geoffroy II Laubier, abbé titulaire, en 1551, l’abbaye de Tiron allait être donnée par Henri II, Roi de France, à des personnages étrangers à la congrégation de Saint-Bernard, souvent laïcs. Les nouveaux abbés commendataires, dont le cardinal Jean du Bellay, percevaient à leur seul profit les deux tiers des revenus et laissaient la direction religieuse à un prieur.

Le 19 mars 1562, 3 000 cavaliers germaniques, à la solde des Huguenots, prenaient d’assaut l’abbaye, massacrant trois religieux, et profanant l’église pillant tout pendant trois jours. Charles de Ronsard, frère du poète, essaya en vain de restaurer l’abbaye qui fut à nouveau pillée le 6 février 1591 par un corps de 500 Suisses à la solde d’Henri IV, roi de Navarre. Ces faits expliquent, que quelques décennies plus tard, les relations entre les moines de Tiron établis aux abbayes du Loir soient particulièrement sensibles avec Sully au château de Villebon.

 

Entre 1594 et 1596, Gilles de Fontenay, seigneur du Boistier, faisait l’acquisition de terres dans les paroisses des Corvées et du Thieulin, dépendantes de l’abbaye du Loir, et tenues à titre de cens (redevance foncière) et de rentes au bénéfice de l’abbaye de Tiron.

 

Au cours de la période de 1608 à 1634, les archives mentionnent plusieurs procédures contre les seigneurs du Boistier pour obtenir le paiement de 5 sous de cens et 35 livres de rente dus sur les terres de l’abbaye du Loir.

 

En 1629, fut créée une nouvelle congrégation de Saint-Maur qui revenait à la stricte obéissance de la règle de saint Benoît s’intégrant à l’ancienne communauté de l’abbaye de Tiron. Cette dernière   ne comptait plus qu’une dizaine de moines qui décidèrent d’ouvrir un collège royal.

 

La légende des moines - 1630 -

 

C’est à cette époque, un jour d’avril 1630, que se déroula le fait qui donnera naissance à la fameuse légende des moines avec Sully :

« Certain jour, la chaussée d’un étang situé sur le haut loir et appartenant aux Bénédictins de Thiron vient à se rompre. Les moines représentent à Sully que leurs carpes, suivant le fil de l’eau, doivent se trouver en aval dans son étang de la Haute Gâtine. L’illustre huguenot leur conseille de revenir le jour où l’on pêcherait ce dernier étang. Mais ce jour-là, à leur demande réitérée, il répond avec le sourire : ‘ je vous en prie, monsieur l’abbé, reprenez tous les poissons qui portent l’habit de saint Benoît, tous ceux-là vous appartiennent’. La légende veut que les moines, furieux, aient bouché les sources du Loir ».

Comment s’y prirent-ils ? Nul ne le sait. La légende prétend que, par des tampons faits de peaux de moutons, les moines bouchèrent la source. Toujours est-il que celle-ci s’est tarie, et que le Loir, aujourd’hui, sort de terre près de Saint-Éman, quinze kilomètres plus loin. Il n’existe plus à présent qu’une vallée sèche une grande partie de l’année, là où jadis coulait une rivière alimentant un chapelet d’étangs, et actionnant moulins et « usines ».

La littérature témoigne de l’importance des poissons pour les moines de Tiron tant au niveau de la bonne chère que celui du symbole de la nourriture spirituelle. Au Moyen-Âge, le Roman de Renart évoquait comment Ysengrin eut envie de se convertir et comment il fut ordonné moine de l’abbaye de Tyron :

- Et que mangent-ils donc, vos moines ? Des fromages mous ?

- Non pas précisément ; mais de gros et gras poissons. Notre père saint Benoît recommande même de choisir toujours les meilleurs.

 

En ce XVIIe siècle, force est de constater que les moines de Tiron, en ces terres des abbayes du Loir avaient à subir, outre les tensions avec les moines clunisiens des domaines voisins, des conflits ouverts avec les huguenots au risque de voir disparaître l’Ordre de saint Bernard. On semblait vouloir faire porter aux moines de Tiron tous les malheurs de la terre et vouloir ruiner les riverains de la Haute-vallée du Loir. On les accusait aussi d’avoir attiré les fées maléfiques qui, à la Noël, lavaient le linceul des morts dans la source du Loir pour en couvrir les passants à la tombée de la nuit. Ces maudites fées plutôt sorcières se livraient à de macabres danses. Elles célébraient aussi, en ces lieux, de funestes et sacrilèges offices... une autre légende…

 

Les grandes sécheresses - 1636 … 1639 -

 

De leur côté, des météorologues prétendent que les moines de Thiron ne sont en rien responsables du détournement de la source originelle du Loir, que cela est une vue de l’esprit… et reste du domaine de la légende. D’après eux, les canicules d’une ampleur inégalée survenues les années 1636, 1637 et 1639 sont à l’origine de l’asséchement de la nappe superficielle et font suite au comblement progressif par les sédiments des sources secondaires et des ravines en amont du cours primaire.

Lors de l’été 1636, des témoins rapportaient « un effroyable harassement de chaleur » pendant de nombreuses semaines. Ces canicules s’accompagnaient d’une mortalité importante en raison de la dysenterie résultant de la baisse et de la contamination des cours d’eau : 500 000 morts dénombrés lors de l’été 1636. Ces sécheresses successives ont fait connaître des conditions de vie très difficiles aux paysans contraints de tuer leur maigre cheptel privé de pâtures. Des indigents étaient réduits à manger des racines comme des bêtes… La collecte des dîmes et impôts suscitait bien des mécontentements dans les campagnes. De là, allait naître, dans toute la région ouest du royaume la révolte des « Va Nu-pieds », un nouvel épisode de jacquerie pendant l’Ancien Régime.

 

À Villebon, Sully avait la réputation d’être bon avec les pauvres de son domaine en leur procurant de l’ouvrage pour les sauver de la misère :

« Une année de disette, pour donner du travail à la population des alentours, il fit creuser l’étang de la Chapelle. On recevait, dit l’abbé de l’Écluse, jusqu’aux plus petits enfants auxquels on ne donnait quelquefois pas plus d’une demi-livre de terre à porter : on avait la précaution de faire faire pour cet effet un nombre infini de hottes de toutes grandeurs. »

 

Une deuxième nappe d’eau…

 

Bien avant le rapport des météorologues, en 1857, Poudra, officier d’état-major, expert en hydrogéologie, émettait déjà une hypothèse moins légendaire :

 

« Les moines de Tiron découvrirent qu’il existait une deuxième nappe d’eau plus profonde ; par un trou de sonde traîtreusement pratiqué, ils mirent en communication la nappe supérieure avec la nappe inférieure ; toute cette nappe fut alors absorbée et ainsi disparurent toutes les fontaines et cours d’eau qui donnaient naissance au loir. »

 

La source primitive du Loir se trouvait dans la zone très étroite des sables du Perche appelée « Faille de Saint-Éman » s’étendant de Friaize jusqu’à la ferme de la Nicoltière en limite d’Illiers-Combray et de Méréglise. Les eaux profondes venant du bassin versant de Champrond-en-Gâtine culminant à 276 m au niveau de la ferme de la Housserie circulent dans une rivière souterraine sur un lit d’argile à silex, plein sud, avec une résurgence à Saint-Éman, 100 m plus bas… « Le bruit qu’on entend est assez fort pour qu’on devine que les eaux circulent sur une pente très raide. »

 

À la mort de Sully.

 

C’est après la mort du duc de Sully en 1641, en son château de Villebon, que l’on perd la trace des moines sur la métairie du Loir. Le domaine de l’abbaye du Loir, réparti sur plusieurs paroisses, était entièrement donné en fermage. L’abbaye de Tiron faisait abandon de la métairie du loir à Catherin le Chevallier, seigneur de Saint-Laurent qui prétendait avoir droit de coutume sur les terres de l’abbaye du Loir.

 

 

Les moines de Tiron s’en sont allés…

 

Entre les villages des Corvées-les-Yys et du Thieulin quelques vestiges, envahis par les ronces, gardent, malgré tout, la mémoire de ces pages d’histoire, de ce passé marqué, entre autres, par les guerres de religion. Les archives conservent aussi la trace de ces lieux, avec la chapelle de Notre-Dame du Loir, la métairie des « abbayes du Loir », les étangs, et la source du Ledo, objet de convoitise. Les ruines de la chapelle figurent sur le cadastre de 1833 ; sur la carte de Cassini deux étangs sont indiqués au niveau des abbayes du Loir. Sur la carte d’état-major révisée en 1936, seul l’étang de la Motte est mentionné. Et aujourd’hui, comme il faut vivre avec son temps, toute personne surfant sur Internet via Wikipédia, pourra retrouver et avoir la confirmation de l’existence du prieuré Notre-Dame du Loir au lieu-dit « Les Abbayes », commune du Thieulin, au milieu des carrières de Briscou, notre « Rustrel percheron », véritable Colorado du grand ouest.

Auteur :

 

Christian Guyon - Juin 2024

Association Histoire et Patrimoine de Saint-Éman :

https://ahpsainteman.wixsite.com/hlpa

ahp.sainteman@gmail.com

Partenaires :

 

 -Association Ordre de Tiron : ordre.tiron@gmail.com

 -Association Notre Patrimoine. Corvées-les-Yys : sauvegarde.du.patrimoine.28240@gmail.com

 

Sources :

 

  • B.N.F. : Gallica Cartulaire de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron. SAEL, L. Merlet.

  • Archives départementales Eure-et-Loir. Séries E, t1, t2 et H, t1.

  • S.A.E.L. : M.A. Monier. Bulletin n°79-2003 et Mémoires t.1, 1857.

  • Le château de Villebon par Pierre de la Raudière. 2002.

  • Wikipédia : Abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron

Vestiges Notre-Dame du Loir
Vestiges Notre-Dame du Loir
Vestiges Notre-Dame du Loir
Vestiges Étang de la Motte
Pont du Loir à Briscou
Sculpture moine défricheur de Tiron, par Gérard Ferruel
Source primaire du Loir, les Abbayes
Source primaire du Loir, les Abbayes
Source primaire du Loir, les Abbayes
Source primaire du Loir, les Abbayes
Source primaire du Loir, les Abbayes
Plaque Association Ordre de Tiron
Panneau avec plan
Petites Abbayes, famille Védie
Fantôme d'un moine dans le bois de Briscou
Carrières de Briscou
Carrières de Briscou
Carrières de Briscou
Étang de la Gâtine
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