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Le Loir : regards proustiens et littéraires

Au fil du temps, au fil de l’eau, le Loir a inspiré maints écrivains et poètes lui donnant ainsi ses lettres de noblesse : de Proust à Ronsard en passant par Racan…, sans oublier quelques passionnés, à la plume alerte et enfiévrée, qui ont laissé entrouverts leurs manuscrits, leurs carnets de notes, notes de musique pour enchanter leur coup de cœur, et aussi leur nostalgie.

 

Dans ce paysage, théâtre de verdure bucolique, des odes ont magnifié les ondes cristallines du Loir, des alexandrins ont épousé les méandres sans fin de cette rivière paresseuse qui musarde dès le printemps venu. Les eaux claires du Loir se délient indolemment entre les rives fleuries comme l’encre bleu de Chine glisse entre les lignes d’une page blanche en quête d’enluminures.

Proust Saint-Éman croquis

Ceux qui se sont entichés de cette rivière, à la lecture de ces quelques vers, de ces phrases évocatrices, vont retrouver, à n’en pas douter, dans un coin de leur mémoire, ces moments de calme, de sérénité, de communion, intimement ressentis lors d’une promenade, en amont, en aval du cours d’eau, véritable kaléidoscope de sensations, d’échos, de lumières. Des images, pêle-mêle, ne manqueront pas de s’imposer à leur esprit : une couverture de lentilles d’eau posée sur le lit de la rivière bordée de renoncules d’or, d’iris aux feuilles d’un vert sombre frémissant sous une légère brise, des roseaux à la tête haute veillant comme des suricates sur les champs avoisinants, des libellules aux ailes satinées virevoltant d’une herbe à l’autre, des têtards fébriles frétillant à l’ombre des berges broussailleuses parsemées de noisetiers et d’aulnes, au loin un chien qui aboie, un faisan qui prend bruyamment son envol les faisant sursauter, un coucou qui chante les  prenant au dépourvu sans un sou en poche, un pic épeiche qui fait résonner avec son bec un tronc creux et au détour du chemin, derrière un rideau de peupliers argentés, le clocher d’une petite église… ne serait-ce pas celle de Saint-Éman ?

 

Au début du XXIe siècle, un nouveau schéma territorial et une réorganisation administrative tendant à réduire le nombre de communes en France ont vu les maires des plus petits villages perdre leur autonomie, leurs domaines de compétences, ainsi que l’identité même de leur village qui se voit affublé aujourd’hui d’une fantaisie toponymique proposée par un bureau d’études anonyme. Les villages perdent leur âme et se coupent à tout jamais de leurs racines. Ils sont nombreux à sombrer dans l’anonymat, dans la banalité, dans la standardisation. Grâce à Marcel Proust, et surtout depuis le centenaire de sa naissance célébré en 1971, avec dans ce sillage le nouveau nom de baptême d’Illiers en « Illiers-Combray » , et l’inauguration du Musée Marcel Proust, l’année suivante, les projecteurs, avec beaucoup plus d’acuité, allaient être dirigés sur le petit village de Saint-Éman, « Saint-André-des-Champs », placé sur le chemin « du côté de Guermantes », vers les sources de la « Vivonne ». Saint-Éman, sous cet éclairage, est sorti de l’ombre en accueillant régulièrement, au fil des ans, des « pèlerins » proustiens venant se mirer dans une « espèce de lavoir carré où montaient des bulles ».

 

Dans ce chapitre, il est légitime, en reconnaissance des bienfaits qu’en tire notre village, de consacrer à Marcel PROUST une place de choix, la première. Son œuvre « À la Recherche du Temps Perdu » est à la source de notre renouveau culturel local et du regain d’intérêt des visiteurs curieux et érudits, qui musardent au printemps, du côté de Guermantes, le long de la Vivonne parmi les aubépines en fleurs, et l’automne venu, entre les fruits mordorés des pommiers tombés au sol, clins d’œil à la Normandie, du côté de Balbec et au Perche naissant, pays du cidre.

 

Des sources du Loir, à Saint-Éman, jusqu’à sa convergence, à Briollay, du Perche à l’Anjou, nous vous invitons, avec quelques morceaux choisis, à accoster le long des berges, pour y poser les pieds comme autant d’alexandrins, pour des étapes littéraires dans des endroits champêtres, entre bocages et peupleraies, pour des « promenades-lectures » qui, nous l’espérons, très longtemps, vous enchanteront :  Saint-Éman, Illiers-Combray (Proust), Alluyes, Montboissier (Chateaubriand), Cloyes (Zola), Vendôme (Balzac), Couture-sur-Loir (Ronsard), Aubigné-Racan (Racan), jusqu’aux portes de l’Anjou ( Le Loyer, Du Bellay).

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Au fil du Loir...

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Autour de Saint-Éman,
Saint-André-des-Champs, du côté de Guermantes.

Du côté d’Illiers, du côté du Loir, La Vivonne, on vient respirer le parfum dont Marcel Proust imprègne «Combray», première partie de «l’édifice immense du souvenir» qu’est A la recherche du temps perdu: le «Parfum» d’une tasse de thé ou de tilleul où s’amollissait une madeleine. Le jeune Marcel a fait des séjours jusqu’à l’âge de dix ans chez la sœur de son père, Elisabeth Amiot, dans la maison de tante Léonie. Il y revient après la mort de celle-ci, en 1886. Le traditionnel «pèlerinage» de la journée des aubépines organisé, au mois de mai, par la Société des Amis de Marcel Proust est une belle opportunité pour démêler avec perspicacité et imagination l’imbroglio des lieux «transmigrés» dans l’œuvre de Proust entre Mirougrain/ Montjouvin, Tansonville/Roussainville, Saint-Eman/Saint-André-des-Champs,….

Marcel Proust (photo)
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À la recherche du temps perdu :
"Du côté de chez Swann"

« Le plus grand charme du côté de Guermantes, c’est qu’on y avait presque tout le temps à côté de soi le cours de la Vivonne. On la traversait une première fois,…, sur une passerelle dite le Pont-Vieux. Dès le lendemain de notre arrivée, le jour de Pâques après le sermon, s’il faisait beau, je courais jusque-là, voir… la rivière qui se promenait déjà en bleu ciel entre les terres encore noires et nues, accompagnées seulement d’une bande de coucous arrivés trop tôt et de primevères en avance, cependant que ça et là une violette au bec bleu laissait fléchir sa tige sous le poids de la goutte d’odeur qu’elle tenait dans son cornet. »

 

« Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que j’avais été aussi surpris quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray, que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes,...»

 

Proust
À la recherche du temps perdu :
"Le temps retrouvé"

« Un de mes autres étonnements fut de voir les « sources de la Vivonne », que je me représentais comme quelque chose d’aussi extra-terrestre que l’Entrée des Enfers, et qui n’étaient qu’une espèce de lavoir carré où montaient des bulles ».

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« Pendant toute la journée, dans ces promenades, j’avais pu rêver au plaisir que ce serait d’être l’ami de la duchesse de Guermantes, de pêcher la truite, de me promener en barque sur la Vivonne, et, avide de bonheur, ne demander en ces moments-là rien d’autre à la vie que de se composer toujours d’une suite d’heureux après-midi. »

 

« Au sortir de ce parc, la Vivonne redevient courante. Que de fois j’ai vu, j’ai désiré imiter quand je serais libre de vivre à ma guise, un rameur qui, ayant lâché l’aviron, s’était couché à plat sur le dos, la tête en bas au fond de sa barque et la laissant flotter à la dérive, ne pouvant voir que le ciel qui filait lentement au-dessus de lui portait sur son visage l’avant goût du bonheur et de la paix .»

 

« Nous nous asseyions entre les iris au bord de l’eau. Dans le ciel férié, flânait longuement un nuage oisif. Par moment, oppressée par l’ennui, une carpe se dressait hors de l’eau dans une aspiration anxieuse. C’était l’heure du goûter. Avant de repartir, nous restions longtemps à manger des fruits, du pain et du chocolat sur l’herbe, où parvenaient jusqu’à nous, horizontaux, affaiblis, mais denses et métalliques encore, des sons de la cloche Saint-Hilaire... »

 

« ...le côté de Guermantes avec sa rivière à têtards, ses nymphéas et ses boutons d’or, ont constitué à tout jamais pour moi la figure des pays où j’aimerais vivre, où j’exige avant tout qu’on puisse aller à la pêche, se promener en canot, voir des ruines de fortifications gothiques et trouver au milieu des blés, ainsi qu’était Saint-André-des-Champs, une église…, rustique et dorée comme une meule; et les bluets, les aubépines, les pommiers qu’il m’arrive,…, de rencontrer encore dans les champs,.. »

 

« C’est parce qu’il y a quelque chose d’individuel dans les lieux, quand me saisit le désir de revoir le côté de Guermantes, on ne me satisfait pas en me menant au bord d’une rivière où il y aurait d’aussi beaux, de plus beaux nymphéas que dans la Vivonne. »

Au fil du Loir...

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Larcher

Philibert-Louis Larcher était Inspecteur de l’Éducation Nationale. L’heure de la retraite sonnée, il se trouva touché par la grâce proustienne, il entra en « religion » faisant du Pré Catelan son cloître. Il s’investit pleinement, et sans compter, dans ce qui sera le plus bel engagement de sa vie : une reconnaissance internationale du Combray de Proust. Il crée, dès 1947, la Société des Amis de Combray, puis des Amis de Marcel Proust, dont il est secrétaire général. À la fin de sa vie, il verra se concrétiser ce qui lui tenait particulièrement à cœur : en 1971, Illiers devient Illiers-Combray, et l’année suivante le musée Marcel Proust est inauguré dans les murs de la Maison de tante Léonie. On doit à Philibert-Louis Larcher de nombreux articles et plus particulièrement deux ouvrages : Le Parfum de Combray et Le Temps Retrouvé d’Illiers édités en 1971.

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"La Maison de Tante Léonie"

En décembre 1947, Philibert-Louis Larcher, en annexe d’un manuscrit intitulé le Miracle de Saint Éman, à la mise en scène théâtralisée, écrivit une ode à la source du Loir :

 

Fontaine pleine de mystère

Révèle nous de la Bonté

La source et répand sur la terre

La joie et la fécondité.

 

La fleur vers ton onde se penche

Et ta fraîcheur, en vérité,

Redonne une teinte plus franche

Aux couleurs et fait la beauté.

 

Au lin candide en sa blancheur

Du corps ayant pris la souillure

Chaste un baiser de l’onde pure

Rend sa virginale candeur.

 

De notre soif insatiable

Viens étancher la cruauté

Car nous mourrons, sois secourable,

Si tu ne nous rends la santé.

 

Dans ton onde où le ciel se mire

Ô Fontaine sous ton cristal

C’est le paradis qu’on admire

Dans son infini triomphal.

Lucien GORON (1886-1954)

Goron

Lucien Goron est né à Illiers en 1886. Docteur ès-Lettres, il fut professeur aux écoles normales d’instituteurs à Foix. Il a écrit de nombreuses études de géographie physique, notamment sur le Loir, et aussi sur sa nouvelle terre d’accueil, les Pyrénées ariégeoises. Sa conférence à la Faculté des Lettres de Toulouse donnée le 17 janvier 1948 a été retranscrite dans l’ouvrage intitulé : « Le Combray de Marcel Proust et son horizon ». Le 18 mars 1954, Lucien Goron se tua dans un accident de la circulation. Une école élémentaire de Foix porte aujourd’hui son nom.

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Dans la revue Norois parue en 1968 avec le concours du Centre National de la recherche scientifique, il est fait état des travaux de Lucien Goron. Il y évoque notamment le Loir et le paysage verdoyant à Saint-Éman (se reporter au chapitre : Étymologie, Géologie, et Hydrologie) et signale en passant, dans ses notes, à titre de curiosité de la « Géographie littéraire », que:

 

«...c’est le caractère inattendu et quelque peu étrange de ce paysage, aux yeux des gens de Beauce, qui lui a valu de devenir le modèle du mystérieux pays de Guermantes où Marcel PROUST a placé le château de la duchesse représentant, à ses yeux d’enfant, un monde inaccessible d’aristocratique élégance. C’est bien à tort, en effet, que de nombreux commentateurs de l’écrivain considèrent ce pays de Guermantes comme un paysage de rêve, une contrée mythique et purement symbolique créée par la seule imagination du romancier. Pour nous, dont la jeunesse s’est en partie écoulée à Illiers, devenu le Combray, il ne peut faire aucun doute que c’est le bocage de Saint-Éman, entrevu des passerelles de Guignard, à la fin habituelle des promenades faites en remontant le cours de la rivière, qui se trouve évoqué avec exactitude dans les pages où PROUST place dans le pays de Guermantes les sources de la Vivonne, c’est à dire du Loir, et le décrit comme une « région fluviatile », aux « petits enclos humides où montaient des grappes de fleurs sombres », lesquelles ne sont autres que les fleurs violacées de l’Orchis tacheté, abondant au printemps dans ces prairies mouillées. »

Autour d'Alluyes,
du côté de la grive qui chante.

Chateaubriand

François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848)

CHATEAUBRIAND et son épouse, gravement malade, ont été invités à passer un mois au cours de l’été 1817, dans le pavillon des Roses, au domaine de Montboissier par le Comte et la Comtesse de Colbert-Maulévrier. L’écrivain évoque ce séjour dans l’un des plus célèbres passages des Mémoires d’Outre-Tombe (Livre III, chapitre I) : « La grive de Montboissier » qui renvoie littérairement à l’image de la fameuse « madeleine » de Proust, tout comme le Combray au Combourg de Chateaubriand.

 

Aujourd’hui, les bords du Loir se font toujours l’écho de ce texte conférant à ces lieux qui nous sont familiers, une place de choix dans l’histoire littéraire :

Chateaubriand (portrait)

« Je suis maintenant à Montboissier, sur les confins de la Beauce et du Perche… Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d’automne ; un vent froid soufflait par intervalles. À la percée d’un fourré, je m’arrêtai pour regarder le soleil ; il s’enfonçait dans les nuages au-dessus de la tour d’Alluyes,… Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. À l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. »

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« Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg ne m’entretenait que de l’avenir, et me promettait une félicité que je croyais bientôt atteindre; le même chant dans le parc de Montboissier ne me rappelait que le passé, et des jours perdus à la poursuite de cette félicité fugitive. »

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Autour de Cloyes-sur-le-Loir,
du côté de Rognes.

Zola

Émile ZOLA (1840-1902)

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Zola, chef de file du Naturalisme, pensait depuis quelques temps consacrer un volume des Rougon-Macquart à un drame terrien. Le 6 mai 1886, installé à l’auberge du Bon Laboureur à Châteaudun, il écrivait à son ami Henry Céard :

« Je tiens le coin de terre dont j’ai besoin. C’est une petite vallée à quatre lieues d’ici, …, entre Perche et Beauce et sur la lisière de cette dernière. J’y mettrai un petit ruisseau (L’Aigre) se jetant dans le Loir, ce qui existe d’ailleurs. J’y aurai tout ce que je désire, de la grande culture et de la petite, …, un horizon typique, très caractérisé,… Enfin, le rêve que j’avais fait. Je retourne demain à Cloyes, d’où j’irai revoir en détail ma vallée et ma lisière de Beauce. Après-demain, j’ai rendez-vous avec un fermier, à trois lieues d’ici, en pleine Beauce, pour visiter sa ferme. J’aurai là toute la grande culture. Aujourd’hui, je suis resté à Châteaudun, pour assister à un grand marché de bestiaux. Tout cela va me prendre quelques jours, mais je rentrerai avec tous mes documents, prêt à me mettre au travail. Et voilà. Un temps merveilleux, un pays charmant, je ne parle pas de la Beauce, mais des bords du Loir. »

Dans son roman « La Terre » achevé en août en 1887, Émile Zola évoquait en ces termes le Loir traversant la région de Cloyes :

 

« À droite et à gauche, le Loir se déroulait, avec ses courbes molles, coulant au ras des prairies, bordé à gauche des jardins de la ville, dont les lilas et les faux ébéniers laissaient pendre leurs branches dans l’eau. En amont, il y avait un moulin à tan, au tic-tac sonore, et un grand moulin à blé, un vaste bâtiment que les souffleurs, sur les toits, blanchissaient d’un vol continu de farine ».

 

Et du village de Romilly-sur-Aigre qui prit, dans son roman, le nom de Rognes, Émile Zola décrit ainsi la vallée du Loir :

 

« À l’horizon, de l’autre côté de la vallée du Loir, le soleil, noyé dans une vapeur, n’épandait plus sur la Beauce qu’une nappe de rayons jaunes, au ras du sol. »

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Dès sa parution, La Terre a soulevé de violentes controverses, illustrées notamment par le « Manifeste des cinq », article publié dans le Figaro par cinq jeunes romanciers dans la mouvance d’Edmond de Goncourt, qui conseillaient à Zola de consulter le docteur Charcot pour soigner ses obsessions morbides. De son côté, Anatole France, dans une chronique donnée au journal « Le Temps » qualifiait La Terre de « Georgiques de la crapule ». Toutefois Huysmans, par une lettre écrite en novembre 1887, félicitait Zola en ces termes : « Je viens de terminer La Terre,… L’impression qui se dégage pour moi avant tout, de cette première lecture, est celle d’une incontestable grandeur. Votre cadre de paysages est superbe ;… Quant à vos paysans, ils sont tout bonnement terribles... »

 

Et dire que toutes ces polémiques se déroulaient avant le fameux : « J’accuse… !» qui allait faire couler beaucoup d’encre. Au sein des salons littéraires, l’affaire Dreyfus allait opérer une césure exaltée et durable dans le monde des artistes et des intellectuels.

 

Quant aux beaucerons, ils n’apprécièrent que modérément l’image que Zola avait donnée d’eux. Pour le cinquantenaire de La Terre, le dimanche 27 juin 1937, les amis de Zola organisèrent un pèlerinage littéraire à Romilly, avec une excursion en car et voitures passant notamment par la ferme de « La Touche ». A Ozoir-le-Breuil, au lieu-dit Villeloup, un membre de la famille Hénault voulut interdire l’entrée aux visiteurs et barra la porte ; on jeta même des sceaux d’eau et de purin en direction des visiteurs.

Autour de Vendôme,
du côté du Loir, rivière des poètes.

Honoré de BALZAC (1799-1850)

Balzac
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Honoré de Balzac né à Tours en 1799 a passé une partie de sa jeunesse à Vendôme. Il fut pensionnaire au collège des Oratoriens en 1807 où il étudiera pendant sept ans, pour rejoindre ensuite sa Touraine natale en 1813. Il évoquera ces années vendômoises dans « Louis Lambert », et aussi, à travers la nouvelle « La Grande Bretèche » écrite en 1831. Sur les bords du Loir, à une encablure de Vendôme, il a fait de cette demeure, et de la rivière, le lieu d’un terrible drame, celui d’un amant emmuré vivant. Nous vous en proposons le résumé suivant :

« Lors d’une soirée, le docteur Bianchon raconte à ses amis qu’il a découvert près de Vendôme, sur les bords du Loir, une grande bâtisse sombre abandonnée, à la beauté étrange et mystérieuse, au milieu des ronces envahissantes. Il y retourna à maintes reprises passant des heures agréables en rêveries, au bord de l’eau. Un jour, un notaire vint lui demander de mettre fin à ses visites et de respecter la propriété privée et la dernière volonté de sa défunte propriétaire. Madame de Merret a en effet interdit que l’on pénètre dans l’hôtel particulier de la Grande Bretèche, qu’on le répare, que l’on touche une seule pierre pendant cinquante ans. La raison de ce testament est que Madame de Merret a eu un jeune amant espagnol qui venait la rejoindre nuitamment traversant le Loir à la nage. Mais un jour, le mari, rentrant plus tôt que de coutume, entend du bruit dans le petit réduit attenant à la chambre de sa femme. Alors qu’il veut y pénétrer, Madame de Merret, son épouse, s’interposant, lui fait valoir que cet acte de méfiance signera la fin de leurs relations. Monsieur de Merret lui fait alors jurer qu’il n’y a personne dans le cagibi. L’épouse s’exécute sans ciller et jure sur un crucifix. Mais le mari suspicieux échafaude un plan. Il propose au mari de la servante qui est maçon, de murer sans tarder le cagibi. Madame de Merret jouant son va-tout glisse discrètement quelques billets au maçon pour qu’il laisse une petite brèche dans le mur. Après avoir dormi dans la chambre de son épouse, le mari sort au petit matin. Madame de Merret profite de cette absence pour commencer à briser la paroi de plâtre, mais quand elle s’aperçoit brusquement que son mari est derrière elle à l’épier, elle s’évanouit… Monsieur de Merret remet promptement le mur en l’état, ignorant l’amant, toujours caché, resté silencieux. Le mari déclare à son entourage que son épouse est malade, qu’elle gardera la chambre et qu’il ne la quittera pas, veillant sur elle, jour et nuit, passant ainsi pour un conjoint prévenant et attentionné. Le supplice durera vingt jours, et chaque fois que son épouse est sur le point d’implorer grâce pour l’inconnu mourant, qui est à côté, le mari lui rétorque : « Vous avez juré sur la croix qu’il n’y avait là personne. »

 

Bien des années après, à la mort de son mari, Madame de Merret, enfermée volontaire, vivra recluse dans son château silencieux de la Grande Bretèche et finira par ressembler à un fantôme. A son dernier souffle, elle demandera au notaire d’interdire toute visite, tout travaux dans sa demeure et ce, pendant cinquante ans… 

 

Le bel amant espagnol aurait pu mourir noyé, au clair de lune, en traversant le Loir à la nage pour rejoindre sa belle, et aurait ainsi connu une fin moins tragique que celle d’agoniser dans d’affreuses souffrances, emmuré, assoiffé, torturé par la faim…

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Autour de Couture-sur-Loir,
du côté du princes des poètes.

Pierre de RONSARD (1524-1585)

Ronsard

Pierre de Ronsard est né en septembre 1524 au château de la Possonnière près du village de Couture-sur-Loir en Vendômois. Prince des poètes et poète des princes, Pierre de Ronsard est une figure majeure de la littérature poétique de la Renaissance.   

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 En 1550, dans les recueils Les Odes, Pierre de Ronsard dédie deux poèmes au Loir :

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 « Ode à la Source du Loir »

Source d’argent toute pleine,

Dont le beau cours eternel

Fuit pour enrichir la plaine

De mon pays paternel,

Sois toute orgueilleuse et fiere

De le baigner de ton eau,

Nulle françoise riviere

N’en peut laver un plus beau…

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  « Au fleuve du Loir »

 

Loir, dont le plus beau cours distille

Au sein d’un pays si fertile,

Fay bruire mon renom

D’un grand son en tes rives,

Qui se doivent voir vives

Par l’honneur de mon nom.
Ainsi Thetis te puisse aimer

plus que nul qui entre en la mer.

 

Si Calliope m’est prospere,

Fameux comme Amphryse, j’espere

Te faire un jour nombrer

Aux rangs des eaux qu’on prise,

Et que la Grece apprise

A daigné celebrer :

Pour estre le fleuve eternel

Qui baignes mon nie paternel.

 

Sus donq à haute voix resonne

Le bruit que ma Muse te donne :

Tu voirras desormais

Par moy, ton onde fiere

S’enfler par ta riviere

Qui ne mourra jamais :

Le Renom qui des Muses vient,

Ferme contre l’âge se tient.

Loir, de qui la bonté ne cede

Au Nil qui l’Egypte possede,

Pour le loyer d’avoir

(Eternizant ta gloire

De durable memoire)

Fait si bien mon devoir :

Quand j’auray mon âge accomply

Ensevely d’un long oubly.

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Autour d’Aubigné-Racan,
du côté de la vallée du Loir en sud sarthois.

Honorat de Bueil, seigneur de RACAN (1589-1670) 

Racan

Honorat de Beuil, seigneur de Racan, dit Racan, est né au manoir de Champmarin à Aubigné, dans le sud sarthois, le 5 février 1589.  (Pour information, le nom de Racan fut rattaché à cette commune en 1934). Il rencontrera François de Malherbe en 1605 qui restera son ami et son maître. A partir de 1618, il se fera connaître par ses Stances sur la retraite. Ses poèmes, conformes à la tradition poétique des Anciens, traduisent bien le personnage qui passe pour un rêveur distrait. Racan fut l’un des premiers membres de l’Académie Française fondée en 1635 par Richelieu.

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« Au Fleuve Du Loir Débordé »

 

Loir, que tes ondes fugitives

Me sont agreables à voir,

Lorsqu’en la prison de tes rives

Tu les retiens en leur devoir,

Au lieu de voir sur tes rivages,

Durant ces funestes ravages,

Les peuples maudire tes eaux,

Quand leurs familles effrayées

Cherchent de leurs maisons noyées

Le débris parmy les roseaux!

Déja, dans les terres prochaines,

Ton courroux, enflé de boüillons,

Traînant les arbres dans les plaines,

Arrache les bleds des seillons;

Déja les peuples des campagnes

cherchent leur salut aux montagnes;

Les poissons logent aux forests,

Quittant leurs cavernes profondes,

Et la nasselle fend les ondes

Où le soc fendoit les guerets.

 

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

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Au fil du Loir...

« Du petit village de Rognes, bâti sur la pente, quelques toitures seules étaient en vue, au pied de l’église, qui dressait en haut son clocher de pierres grises, habité par ses familles de corbeaux très vieilles. Et, du côté de l’est, au-delà de la vallée du Loir, où se cachait à deux lieues Cloyes, le chef-lieu de canton, se profilaient les lointains coteaux du Perche, violâtres sous le jour ardoisé. »

Mais, pour voir des chasteaux superbes,

Détruits par tes débordements,

A peine laisser dans les herbes

Les marques de leurs fondemens;

Pour voir les champs les plus fertiles

Changez en marests inutiles,

Cela ne m’offenseroit pas,

Si ton impetueuse rage

Ne s’opposoit point au voyage

Où l’amour conduisoit mes pas.

 

Si quelque vain desir de gloire

Te donne une jalouse ardeur

D’imiter la Seine ou la Loire

En leur admirable grandeur,

Lorsque, lassé de ton audace,

Changeant ta colere en bonace,

Tu rentreras dans ton berceau,

L’on t’appelera temeraire

De voir qu’en ton cours ordinaire

Tu n’es plus qu’un petit ruisseau.

 

Ô pere ingrat à mes prieres!

Pourquoy m’es-tu si rigoureux ?

Autrefois les dieux des rivieres

Comme moy furent amoureux.

L’œil de la belle Dejanire

Fait qu’encore aujourd’huy soupire

Et brusle dans son froid sejour

Ce pauvre fleuve, triste et morne,

Qui predit avecque sa corne

L’esperance de son amour.

 

L’on voit encore en la Sicile

Celuy qu’un beau feu consumoit,

A qui rien ne fut difficile

Pour joüir de ce qu’il aimoit;

Et peut-estre cette inhumaine

Qui donne à mon cœur tant de peine

Blesse le tien des mesmes traits,

Quand ses yeux, où l’amour réside,

Viennent dans ton cristal liquide

Prendre conseil de leur attraits.

 

C’est d’où vient la jalouse envie

Qui s’oppose à mes volontez:

Pour joüir tout seul de Sylvie,

Tu l’enfermes de tous costez.

Ces beaux astres de qui les flâmes

Captivent tant de belles ames

Sont captifs dans une maison,

Et semble qu’en tes bras humides,

A l’exemple des Aloïdes,

Tu tiennes les dieux en prison.

 

Mais toutes mes plaintes sont vaines:

Le bruit de ses flots irritez,

Qui vont grondant parmi les plaines,

Garde mes cris d’estre écoutez.

Il faut, sans plus longue demeure,

Ou que je passe, ou que je meure.

Puisque l’excez de mes douleurs

Aucune tréve ne m’octroye,

Autant vaut-il que je me noye

Dans ce fleuve que dans mes pleurs.

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Au fil du Loir...

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Autour de Briollay,
du côté de l’Anjou, entre Loir et Loire.

Leloyer

Pierre LE LOYER (1550-1634) 

Lors d’une conversation avec Thibault Baton de la revue il Designo pour laquelle il écrit un article sur le dernier vignoble du Loir en Anjou situé sur la commune de Huillé entre Briollay et Durtal, nous apprenons l’existence d’un poète méconnu, Pierre Le Loyer. Il convient aujourd’hui de lui rendre justice et de nous pencher sur les textes qu’il a voué à son Loir natal.

Pierre Le Loyer, sieur de la Brosse, est connu pour être un démonologue du XVIe, spécialiste des croyances liées aux démons, avec un goût prononcé pour la poésie l’amenant ainsi à côtoyer et à sympathiser avec Ronsard.

Il est né le 24 novembre 1550 à Huillé, village près de Durtal, sur les bords du Loir. Il meurt à Angers le 27 janvier 1634, des suites de brûlures lors de l’incendie de son logement.

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À travers les poèmes que nous a laissés Pierre Le Loyer, nous vous invitons à vous laisser bercer au rythme des alexandrins sur les rives du Loir, à travers les coteaux :

Je m’allais pourmenant sur les tertres vineux
Qui rendent mon Huillé par tout Anjou fameux.
Rien ne me plaisait tant comme la course lente
Du Loir, qui çà, qui là, par la plaine serpente.
Fleuve, je te salue, ô fleuve en tes eaux.
De vignes va peuplant tes angevins costeaux.
O le séjour de ma Muse angevine
Et de mes vers le fidèle tesmoing,
Que voluntaire en mon coeur je confine,
Bacchus remplit tes costeaux de bon vin
Qui est l’honneur du terroir angevin.
O mon fleuve du Loir, qu’heureuses sont tes sources,
Qu’heureux tes calmes flots et qu’heureuses sont tes courses,
Non pour avoir porté sur tes eaux quelquesfois
Ce poête, l’honneur du peuple vendômois,
Et non pour voir encore mille collines nobles
Chargées à l’entour de si fameux vignobles,
Mais pourvoir bien souvent sur tes rives chenues
Sur les antres moussus, sur tes prées herbüs,
Tant de rares beautés luire de leurs beaux yeux
Non moins que sur la nuit font les flambeaux des cieux,
Se cacher dans tes eaux au-dessus de leurs hanches
Et laver leurs talons et leurs deux cuisses blanches.

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DuBellay

Au fil du Loir...

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Continuons avec un autre texte extrait de l’ « Idylle du Loir et ses sources antiques » :

 

Dont, mon Loir, si ma Muse et ma plume féconde

T’ont mis en grand honneur sur les fleuves du monde :

Si j’ay faict dans Tholose admirer autrefois

Tes belles eaux, tes prez, tes vignes et tes bois,

Je te prie humblement de m’estre ami fidelle…

 

                                                           (P. Le Loyer, Élégie à Marin Boytsve)

Pour conclure, nous vous invitons à découvrir ou peut-être à redécouvrir pour certains d’entre vous le fameux poème de 1579 ayant pour titre « Le Loir angevin » avec son texte authentique en « vieux françois ».

Au fil du Loir...

Joachim Du BELLAY  (1522-1560) 

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Sans être des experts en géographie, il est évident que le Loir n’est pas la Loire, même s’ils finissent par mêler leurs eaux... avec Du BELLAY, nous allons évoquer et revenir sur cette confusion courante, une erreur récurrente, qui nous obligent à préciser, chaque fois, à nos interlocuteurs, et à faire corriger si nécessaire : Loir sans « e »…

 

Concernant le fameux poème « Heureux qui comme Ulysse... » de Joachim Du BELLAY et tout particulièrement son vers «Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin» évoque-t-on, en réalité, le Loir ou La Loire? Sur la toile, cette question continue à faire débat entre les internautes, et la réponse ne semble pas couler de source... Joachim Du BELLAY aurait ajouté un «e» à l’affluent de la Sarthe, pour satisfaire aux besoins de l’alexandrin et respecter ainsi les règles de la prosodie, celle  des douze syllabes.

« Les Regrets » -1558-

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d’usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

 

Quand reverrai-je, hélas ! De mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?

 

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux

Que des palais romains le front audacieux ;

Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

 

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré que le mont Palatin,

Et plus que l’air marin la doulceur angevine.

"Les Regrets" (manuscrit)

Au milieu du XVIe siècle, Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard ont regroupé autour d’eux une « Brigade idéale » de poètes afin de former une nouvelle Pléiade. À l’occasion de la publication des Œuvres de Ronsard, Du Bellay lui a écrit le présent sonnet dédié au Loir et au pays vendômois :

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Comme un torrent, qui s’enfle et renouvelle

Par le dégoût des hauts sommets chenus,

Froissants et ponts et rivages connus,

Se fait, hautain une trace nouvelle :

 

Tes vers, Ronsard, qui par source immortelle

Du double mont sont en France venus,

Courent, hardis, par sentiers inconnus,

De même audace, et de carrière telle.

 

Heureuses sont tes nymphes vagabondes,

Gastine sainte, et heureuses tes ondes,

O petit Loir, honneur du Vendômois !

 

Ici le luth, qui naguère sur Loire

Voulait répondre au mouvoir de mes doigts

Sacre le prix de sa plus grande gloire.

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