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Pérégrinations, trafics et vols de reliques

Il peut paraître irrévérencieux de parler de marché pour des choses si saintes, et pourtant la généralisation de l’utilisation des reliques a abouti, dès le haut Moyen Âge, à la création d’un véritable commerce des reliques. La demande était énorme puisque chaque église avait besoin de sa relique, chaque évêque voulait, pour son diocèse, des reliques, si possible, plus attrayantes que celles de son voisin. Les abbayes et les monastères en réclamaient aussi. Les rois, les papes en recherchaient pour la plus grande gloire de Dieu et pour leur prestige personnel. La forte demande créait une offre dépourvue de toute morale et religiosité.

La période des croisades (1095-1291) fut particulièrement propice au développement du marché des reliques. La mise à sac de Byzance lors de la IVe croisade, en 1204, n’eut pas d’autre effet que celle de s’emparer de ses richesses et tout particulièrement, de ses reliques pour en alimenter l’Occident.

 

En marge des processions et des lieux de culte qui attiraient la foule assoiffée de merveilles et de miracles, aubergistes et taverniers se préoccupaient de la prospérité de leurs établissements. Celle-ci était garantie par l’afflux des fidèles sur les routes de pèlerinages ou dans les rues du bourg menant à la cathédrale.

Aussi, on les voyait, entre deux verres de vin, trafiquer comme de vulgaires voyous, quelques soi-disant reliques, bien souvent sorties de l’arrière-boutique voisine, auprès de croyants fatigués, assoiffés et affamés après de longs jours de marche. La fin du XIe siècle verra croître cet afflux mystique et profitera de ce trafic secondaire, mais non négligeable, de reliques presque toujours frauduleuses.

 

Il y avait aussi des « montreurs » professionnels de fausses reliques que dénonçait déjà Grégoire de Tours, au VIe siècle, comme imposteurs. L’évêque de Paris fera arrêter l’un d’eux et trouvera dans son sac : «  un contenu qui fit beaucoup de dupes par sa fourberie,… des racines d’herbes diverses, … des dents de taupe, des os de souris ainsi que des griffes et de la graisse d’ours ».

 

Avec ce développement du trafic de biens spirituels, on volait les reliques pour se les approprier, les revendre mais également pour fondre les reliquaires et les échanger contre de l’argent sonnant et trébuchant. L’exemple du vol du corps de saint Marc à Alexandrie par les Vénitiens demeure célèbre. Pourtant, le vol le plus profitable fut celui des ossements de sainte Foy, à Agen, au IVe siècle, par un moine de l’abbaye de Conques, en Rouergue, où, transférés, les restes de la jeune martyre furent à l’origine de l’enrichissement du lieu qui devint l’un des plus grands centres de pèlerinage de l’Occident, contre son rival de l’époque, le monastère de Figeac, sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Si, aujourd’hui, en qualité de jacquet, vous décidez d’emprunter la voie du Puy-en-Velay, la via Podiensis, un frère de l’ordre des Prémontrés, à la tombée du jour, ne manquera pas de vous conter ces péripéties du vol des reliques au pied du tympan du Jugement dernier de l’abbaye de Conques.

 

Certains ont entendu parler des innombrables têtes de saint Jean-Baptiste, de saint ayant… dix mains, si l’on compte bien… Il y eut pire : on vit circuler des brindilles du Buisson Ardent (du mûrier sauvage où Dieu a été révélé à Moïse), des barreaux de l’Échelle de Jacob, des rayons de l’Étoile des Rois Mages, des morceaux de nappe des noces de Cana, les pantoufles de saint Joseph, toute une garde-robe du Christ, la fiole contenant la sueur de l’archange saint Michel quand il combattit le démon, et un bout du doigt du Saint-Esprit !

 

Et le comble fut atteint lorsque apparurent les reliques gazeuses. Ainsi, on a pu recenser plusieurs souffles de Jésus conservés en bouteille, le « han » de saint Joseph fendant une bûche, et enfin, un éternuement du Saint-Esprit, dont Agrippa d’Aubigné rapporta l’existence, contenu dans une fiole que les huguenots brisèrent à Périgueux, durant les Guerres de Religion. Il faut savoir raison garder !

La Révolution française n’épargna pas les reliques. Leur culte fut officiellement interdit et l’on en détruisit de nombreuses après la loi du 10 septembre 1792 qui ordonnait que l’on apportât tous les objets du culte aux hôtels des monnaies dans le but évident de fondre les reliquaires... Puis s’ensuivit, à Paris, le grand feu du 3 décembre 1793 où l’on brûla, en place de Grève, les reliques, celles de sainte Geneviève entre autres, dont on jeta les cendres à la Seine.

La laïcisation de la seconde moitié du XIXe siècle atteignait de plein fouet le culte des reliques qui prêtait le flanc à la moquerie. Mais qui oserait dire que le culte des reliques est mort ? Les saints les plus récents font déjà l’objet d’un culte, d’un engouement certain, on vénère aujourd’hui les saris blancs aux bandes bleues de Mère Teresa de Calcutta.

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