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La châtelaine de Goussencourt à Saint-Éman...
 
… un visage de la Duchesse de Guermantes.  

En parcourant l’ouvrage de George D. Painter, publié en septembre 1959, et consacré aux années de jeunesse de Marcel Proust entre 1871 et 1903, nous trouvons trace de la châtelaine de Goussencourt qui prête ses traits à Oriane, la Duchesse de Guermantes, chère au cœur de Marcel, « adolescent fasciné » ... Cette image de la châtelaine de Goussencourt, dans le parc de son château des Pâtis à Saint-Éman, vêtue de belles toilettes aux senteurs d’aubépines en fleurs.

Comtesse Greffulhe en robe de bal par Otto

En abordant un tel sujet, nous savons déjà que nous allons « courroucer » et « titiller » quelques érudits proustiens qui préfèrent trouver le portrait de la Duchesse de Guermantes, véritable personnage protéiforme, du côté de la comtesse Greffulhe (le « gratin » prononçait « Greffeuille ») qui était regardée comme la beauté la plus accomplie de la haute société d’alors. D’autres évoquent les traits de la comtesse de Chevigné… et aussi ceux de Geneviève Straux. Ces belles dames du Faubourg Saint-Germain, du boulevard Malesherbes… alors vous pensez bien, une comtesse de la campagne, à Saint-Éman, entre Beauce et Perche !

Comtesse Greffulhe (1860-1952) par Nadar

En toute humilité, nous nous permettons d’écrire que personne n’a le monopole de l’exacte interprétation et lecture de la pensée proustienne.

 

Mais en émanois que nous sommes, nous accordons beaucoup de crédit aux propos tenus par George D. Painter, auteur anglais, rappelons-le, célèbre et reconnu pour sa biographie de Marcel Proust.

 

A travers les chapitres intitulés « Le Jardin d’Illiers », « Les Deux Côtés d’Illiers » et « Le Salut par Ruskin » nous retrouvons la famille de Goussencourt à la fin du XIXe siècle entre le château « neuf » des Pâtis et la chapelle de la Vierge dans l’église Saint-Jacques à Illiers où le petit Marcel Proust a fait plusieurs « arrêts sur image » sur l’élégante châtelaine de Goussencourt.

La période des vacances du petit Marcel passées à Combray court autour des années 1880… jusqu’à ses premières crises d’asthme vers l’âge de 10 ans. Dans certains écrits, Il est parfois fait mention d’ultimes vacances de Pâques à l’âge de 13 ans.

 

La famille Proust décida que l’air d’Illiers était mauvais pour la santé de Marcel. « Le Loir, disait le docteur Proust, est une menace pour toute la ville », et ses amis les aubépines et les pommiers en fleurs s’étaient tournés contre lui, punissant son amour par les angoisses de l’asthme. Seul pourrait le guérir l’air de la montagne et de la mer.

Photos de Marcel Proust et de son frère Robert à l’époque des vacances passées à Illiers-Combray.

Blason de la famille De Vernety

La châtelaine de Saint-Éman maintes fois aperçue à la messe du dimanche par le petit Marcel était Gabrielle de Vernety de Saint-Hubert, mariée avec le baron Louis Antoine « Edgar » de Goussecourt qu’elle avait épousé le 13 février 1874 à Orléans.

 

Gabrielle de Vernety de Saint-Hubert née en 1850 descendait d’une illustre famille. Un de ses aïeux fut fait marquis de Saint-Hubert (un domaine de Sorgues) le 13 novembre 1787 par le pape Pie VI. 

Sorgues (Vaucluse), Château de Saint-Hubert

Nous savons que Marcel Proust n’était pas insensible à ces illustres et nobles descendances parant d’un charisme certain les châtelaines s’en prévalant ou pas d’ailleurs… mais les révérences de l’entourage s’en chargeant.

 

La chapelle vouée à la Vierge dans l’église Saint-Jacques d’Illiers était le théâtre où le petit Marcel, spectateur, admirait à loisir avec son regard enfantin, la « Duchesse de Guermantes » parée de dentelles, une ombrelle à la main. 

 

« … Sous le clocher se trouve la chapelle latérale dédiée à la Vierge. C’est cette chapelle que l’on pare, « au mois de Marie », d’épine rose et blanche et dans laquelle la duchesse de Guermantes, à Combray, s’assied « au soleil intermittent et chaud d’un jour de vent et d’orage », lors du mariage de la fille du docteur Percepied.

 

Les bancs de la noblesse locale, les Goussencourt de Saint-Éman (évoquant les Guermantes), les châtelains de Tansonville, d’Eguilly-les-Brandières et de Beaurouvre se trouvaient dans la chapelle de la Vierge, et Marcel doit y avoir vu souvent, à la messe du dimanche, la châtelaine de Saint-Éman, première incarnation de la duchesse de Guermantes ».

Duchesse Oriane de Guermantes lors du mariage de la fille du Dr Percepied

© Christian Guyon (avril 2022)

Quant à Ginette Michaux dans « Le regard proustien, la rencontre de Madame de Guermantes » elle reprend et décrit cette scène :

 

Le narrateur de La recherche a souvent entendu parler de Mme de Guermantes et rêvé d’elle. Pour avoir l’occasion de la voir, il assiste, à l’église de Combray, au mariage de la fille du docteur Percepied (*), mariage que la duchesse doit honorer de sa présence : « Tout d’un coup, pendant la messe de mariage, un mouvement que fit le suisse en se déplaçant me permit de voir assise dans une chapelle une dame blonde avec un grand nez, des yeux bleus et perçants, une cravate bouffante en soie mauve, lisse, neuve et brillante, et un petit bouton au coin du nez… ».

(*)  NDLR : Lors d’un entretien en date du 8 octobre 2021, Jeanne Monier (épouse de Marie-Antoine, décédé le 18 mars 2018, petit-fils du Dr Barrois, le personnage du « Dr Percepied » dans l’œuvre de Proust) nous indiquait que si le petit Marcel  évoquait sa rencontre avec la duchesse de Guermantes lors du mariage de la fille du Docteur Percepied, il y avait lieu d’apporter la précision suivante : « Il s’agissait en fait du propre mariage du Dr Barrois avec sa deuxième épouse, Henriette, qui était sa petite belle-sœur ». Au cours de cette conversation nous avons aussi évoqué l’interprétation de quelques proustophiles ou proustolâtres, c’est selon… prétendant que le Dr Percepied avait pris les traits du Dr Galopin. Jeanne Monier réfute à juste raison cette allégation en se référant à des archives personnelles et familiales. Parmi celles-ci se trouvent des ordonnanciers de la pharmacie Adam d’Illiers de 1858 à 1861. Le Dr Barrois ayant succédé au pharmacien Adam avant d’exercer la médecine, avait noté des formulations destinées à Mme Jules Amiot alias tante Léonie. On trouve plus particulièrement une solution buvable d’arséniate de potasse et d’alcoolature d’aconit avec de la teinture de digitale, ainsi qu’une solution pour les cheveux. La « tante Léonie » souffrait d’une pédiculose qui lui aurait fait porter une perruque !… Le docteur Barrois avait pour patient l’oncle Amiot, alors que la « tante Léonie », était soignée par le Docteur Galopin qui avait son cabinet à proximité.

Pérégrinations du « côté de Guermantes »

« Du côté de Guermantes… après les Perruches, on atteint bientôt Saint-Éman. Là se trouve le château des Goussencourt, avec ses tourelles en forme de poivrières. Cependant, lorsqu’il [Proust] parle des vastes bois qui entourent le domaine de la duchesse de Guermantes, Proust pense aux forêts qui forment un demi-cercle sur la crête des collines du Perche, quelques lieues plus loin, à l’ouest, et l’une de ces forêts est appelée le bois de Saint-Éman ».

Par une petite fenêtre ouverte sur Internet sur Proust à Illiers >> via https://www.bude-orleans.org/dossier-Proust/Proust-Illiers.html, on apprend que le Narrateur, dans sa jeunesse à Combray, n’avait jamais eu l’occasion de remonter ni jusqu’à la source de la Vivonne, ni jusqu’au château de Guermantes :

 

« Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que j’avais été aussi surpris — quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray — que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes, je savais qu’ils étaient des personnages réels et actuellement existants, mais chaque fois que je pensais à eux, je me les représentais toujours enveloppés du mystère des temps mérovingiens et baignant, comme dans un coucher de soleil, dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe : “antes” » (Du Côté de chez Swan).


Nos lectures permettent de trouver un autre commentaire évoquant la châtelaine de Goussencourt : « Ce château « de Guermantes » (en réalité le château des Pâtis à Saint-Éman), qui appartenait alors à la famille de Goussencourt, est tout près, un peu mystérieux, car peu visible de la route ».

George D. Painter est venu en septembre 1950 s’immerger dans le « Combray » de Proust, un pèlerinage à l’équinoxe d’automne, écrivant qu’il avait eu le plaisir entre autres de consulter l’exquis « Parfum de Combray » de P.-L. Larcher édité en 1945 chez Mercure de France, … à défaut d’avoir pu s’enivrer du parfum printanier des aubépines en fleurs du côté du « Pré Catelan ».

George D. Painter, vers la fin de son 1er tome consacré aux « Années de jeunesse de Marcel Proust », écrivait :

« … de même que les Guermantes, en tant que châtelains de Combray, avaient été suggérés par les Goussencourt de Saint-Éman, près d’Illiers, de même, les Guermantes, en tant que voisins du Narrateur à Paris, représentent les Maillé ».

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