top of page

La glacière du château de Saint-Éman

En septembre 2025, une rencontre avec M. José Abreu, propriétaire du château, permet de confirmer l’existence dans le passé d’une glacière dans l’enceinte de la propriété. Une petite construction voûtée en pierres à l’image de l’actuel bâtiment à pompe de l’étang existait bien à une soixantaine de mètres à l’arrière droit du château, côté Nord. Le propriétaire a longtemps cru, avec l’escalier qui descendait en colimaçon dans une cavité creusée dans le sol qu’il s’agissait de l’entrée d’un tunnel !

Emplacement de la glacière du XIXe aujourd’hui détruite 

© C.Guyon (09/2025)

Visite des extérieurs du château avec M. Abreu, propriétaire

© C.Guyon (09/2025)

La confusion est fréquente et alimente l’imaginaire d’une enfance perdue. Ce tunnel a d’ailleurs bien existé sur le domaine, orienté Est-Ouest, partant des communs du château des Pâtis et se dirigeant vers la ferme des Lubineries, propriété rattachée au domaine, en direction des Bois de Saint-Éman où l’on pouvait fuir et se cacher en cas de danger. Des tronçons de galerie ont été repérés grâce à quelques tassements de terrain. Les fouilles sont demeurées vaines, et parfois stoppées par la présence de poches d’eau causées par les couches d’argile à silex. Un bruit court que le tunnel du château reliait aussi, côté sud-est, les faubourgs d’Illiers. Nous en doutons fortement car la galerie, sur son parcours, serait  descendue de 200m à moins de 170m, conformément aux courbes de niveau des lieux, et se serait naturellement remplie d’eau avec les nombreuses résurgences de la rivière souterraine présentes dans la faille géologique dite « faille de Saint-Éman ». Dans les années 1950-1960, des enfants du village venaient jouer dans ce tunnel partiellement éboulé et inondé, et quelques rares personnes parmi les plus âgées se plaisent aujourd’hui à se remémorer ces temps jadis, quand l’heure de l’école buissonnière avait sonné invitant à un « Voyage au centre de la terre ».

 

La glacière du XIXe siècle du château de Saint-Éman est aujourd’hui détruite. De discrètes traces de fondation au sol recouvertes d’herbe témoignent de son existence passée. Le propriétaire me confirme avoir vu, en cet endroit, des marches en pierre de taille s’enfoncer dans un trou partiellement comblé. Il a ensuite entrepris de boucher définitivement la cavité et de niveler le terrain. L’emplacement de l’ouvrage était d’ailleurs conforme aux règles édictées pour la construction de toute glacière. L’abri était construit au nord, avec une ouverture orientée elle aussi plein nord, pour garder la fraîcheur et rester à l’abri des fortes chaleurs sous une végétation dense. Il existe d’ailleurs toujours en ce lieu un bosquet de chênes. Comme il était de coutume, le petit local voûté devait également être couvert sur trois côtés d’une butte de terre pour assurer une parfaite isolation thermique. La profondeur de la cuve où était stockée la glace était souvent égale à la largeur de l’abri. Elle est estimée à 3m à 4m au château de Saint-Éman. Au fond de la cuve, sous un plancher surélevé fait de planches en chêne, un trou était aménagé pour permettre le drainage de l’eau de fonte de la glace.

 

Au XIXe siècle, les hivers étaient plus rigoureux qu’aujourd’hui, à Saint-Éman comme ailleurs. Le comte de Goussencourt faisait extraire la glace de son étang par blocs. Ceux-ci étaient empilés ensuite  méthodiquement dans le puits de la glacière. Chaque bloc était emmailloté dans une couche de paille de seigle en guise d’isolant pour minimiser la fonte et conserver la glace plusieurs mois jusqu’à l’automne suivant et servir tout particulièrement pendant les fortes chaleurs. On stockait très peu de nourriture dans les glacières, la température de congélation étant aléatoire, non maîtrisée, on préférait encore à l’époque  conserver la viande et autres aliments dans le sel et la saumure.

 

La famille de Goussencourt, dans son projet de construction du « château neuf » à Saint-Éman, s’inscrivait en ce XIXe siècle dans les canons du bon goût et du raffinement de l’aristocratie française en matière d’art de la table. Tout château construit sous Napoléon III, se devait d’avoir sa glacière ! Lors des réceptions mondaines à Saint-Éman, la maîtresse des lieux, Marie-Gabrielle de Vernety de Saint-Hubert, seconde épouse du comte Edgar de Goussencourt faisait ainsi preuve de raffinement en offrant à ses hôtes de marque un dessert à la crème glacée, le nouveau péché mignon des palais raffinés… Venus d’Italie, les desserts glacés sont apparus, dans le royaume de France, au temps de Louis XIV sous forme de sorbets aromatisés au sirop de fruits. Il y avait une dizaine de glacières dans le château de Versailles, il en subsiste encore trois aujourd’hui. Par la suite, la crème glacée, plus onctueuse, plus gourmande est apparue sur les tables raffinées au XIXe siècle chez les nobles et les aristocrates. Le domaine de la famille de Goussencourt à Saint-Éman n’échappait pas à cette mode et à ce nouveau caprice culinaire.

 

Outre la spécificité de la crème glacée, la glacière offrait l’avantage de servir des boissons fraîches pendant la saison chaude et de conserver pour quelques jours des aliments frais en veillant à limiter les ouvertures de la porte afin de préserver l’isolation thermique de la glacière, gage de conservation des blocs pendant de longs mois.

 

En ces temps révolus, vers 1880, nous pouvons aisément imaginer Léonie, la cuisinière du château de Saint-Éman, aller prélever avec un pic à la main des morceaux de glace dans la glacière située à quelques enjambées de l’office. Elle versait cette glace qu’elle avait préalablement pilée et salée dans un seau en bois dans lequel elle plongeait un récipient en métal contenant de la crème fraîche. L’action du froid permettait de donner de la consistance à cette crème, celle-ci était agrémentée, selon les goûts du moment, de sirop, de confiture ou de fruits frais en purée (fraises, framboises,…). On mélangeait le tout en tournant une petite manivelle pour obtenir une belle onctuosité et avoir ainsi une texture « comme la neige ».

 

Pour illustrer notre propos, nous présentons le modèle de sorbetière particulièrement utilisé au XIXe siècle dans les belles demeures de l’aristocratie française et anglaise.

Source : https://www.liseantunessimoes.com/comment-faisait-on-de-la-creme-glacee-au-xixe-siecle/

Pour compléter notre article et permettre à chacun de se faire une idée de la configuration de  glacière construite dans les parcs de château encore visible de nos jours, vous trouverez, à titre d’exemple, la photo de la glacière du château d’Ermenonville dans l’Oise. À la voir, on comprend la méprise des visiteurs avec l’hypothétique entrée d’un mystérieux souterrain...

Source photo glacière d'Ermenonville : https://fr.wikipedia.org/wiki/Glaci%C3%A8re

bottom of page