Dimanche 19 avril 1925 :
l'inauguration du Monument aux morts de Saint-Éman
Dans sa parution du 28 avril 1925, le journal « La dépêche d’Eure-et-Loir » relate dans le détail l’inauguration du monument aux morts de Saint-Éman. L’article mentionne les personnalités présentes ainsi que le déroulement de la cérémonie : discours, chants, vin d’honneur, signature du registre… ces moments solennels parfaitement restitués vibrent encore aujourd’hui à nos oreilles avec en écho « l’hymne aux morts », poésie de Victor Hugo récitée par deux petites filles de l’école
Le dimanche 19 avril, la commune de Saint-Éman a solennellement inauguré le monument qu’elle a élevé à la mémoire de ses enfants morts au champ d’honneur.
À 14h30 la compagnie des sapeurs-pompiers de Nonvilliers-Grand-Houx - qui, bien que faisant partie d’un autre canton, a fort aimablement répondu à l’invitation de la municipalité et a fait apprécier de tous sa parfaite tenue – rend les honneurs près du monument, où arrivent bientôt les autorités, les invités, les enfants des écoles, une délégation des mutilés et combattants (section d’Illiers) précédée de son drapeau porté par M. Bihourd, aveugle de guerre.
M. Bouvart, sénateur, préside la cérémonie. Prennent place à ses côtés MM. Triballet, député ; Maurice, conseiller d’arrondissement ; Percheron, maire de Saint-Éman ; Feugères des Forts, maire de Nonvilliers-Grand-Houx, accompagné de son adjoint M. Blin ; Charrier, maire des Châteliers-Notre-Dame ; Boutfol, adjoint au maire d’Epeautrolles ; Chapron, maire d’Illiers ; Chagot, adjoint ; Chapet, Ferré Emile, conseillers municipaux ; Petit et Gillot, président et secrétaire-trésorier de la section des mutilés d’Illiers ; Golfier, maréchal des logis de gendarmerie ; Villiaume, pharmacien ; Landier, instituteur en retraite, etc. L’assistance observe le silence le plus complet. Elle songe à ceux qui sont partis dans les premiers jours de 1914 et qui sont tombés, mortellement frappés, devant l’ennemi. Jusqu’à la fin de la cérémonie, elle gardera cette attitude respectueuse.
M. Bouvart donne la parole à M. Percheron, maire de Saint-Éman.
Discours de M. Percheron
Maire
M. Percheron présente tout d’abord les excuses de M. le Préfet, M. Viollette, député ; M. Ginat, percepteur d’Illiers, puis remercie de leur présence MM. Bouvart, sénateur ; Triballet, député ; Maurice, conseiller d’arrondissement ; les maires de communes voisines.
Il remercie également tous ceux qui ont répondu à l’appel de la municipalité : la Société des mutilés du canton d’Illiers, la Compagnie des sapeurs-pompiers de Nonvilliers et aussi toutes les personnes qui ont tenu à s’associer à cette manifestation de la reconnaissance et du souvenir.
Après avoir exprimé la gratitude du Conseil municipal à tous les souscripteurs dont la générosité lui a permis d’élever ce monument à la mémoire des enfants de Saint-Éman morts pour la défense du pays, M. Percheron continue en ces termes :
« Mesdames, Messieurs,
« Des voix plus éloquentes que la mienne ont déjà dit, en maintes circonstances, tout le dévouement des combattants pendant la guerre.
« Qu’il me soit permis aujourd’hui, dans le cadre familial de notre petite commune, d’évoquer le souvenir de ces dures années de guerre, afin de dégager les enseignements et les leçons que comportent ces tragiques événements.
« Il n’est personne qui ne se souvienne – et avec quelle émotion ! - de ce début d’août 1914 où tous les enfants de la commune, se joignant à ceux de la France entière, se rendirent à l’appel de la patrie en danger pour défendre le sol et la liberté menacés.
« Avec un douloureux serrement de cœur, nous les avons vu partir, et nous avons suivi ensuite, avec une angoissante émotion, toutes les étapes de leur long et terrible calvaire.
« Ce furent d’abord les désastreuses batailles et les désillusions, puis la Marne où nos armées opposèrent à l’envahisseur une barrière infranchissable ; et ce furent ensuite les tranchées avec les combats quotidiens et sanglants, les gaz, les mines souterraines, les liquides enflammés, les bombardements d’artillerie, tous les moyens de destruction accumulés, jusqu’au moment où vint enfin la victoire libératrice.
« Nos mobilisés de Saint-Éman remplirent largement leur rôle dans ces terribles années, puisque six d’entre eux y ont laissé leur vie.
« Ce sont : Boutfol Charles, Genty Henry, Denis Célestin, Huvet Gabriel, Melin Eugène, Paggi Marcel. »
(M. Jublanc, ancien combattant, répond à chaque nom « mort pour la France ».
Après cette évocation des glorieux disparus, M. Silly, adjoint, au nom du Conseil municipal, dépose une palme de bronze sur le socle du monument. Deux petites filles de l’école, sous la direction de Mme Hallouin, institutrice, récitent avec sentiment « l’Hymne aux Morts » (1) de Victor Hugo.)
M. Percheron continue :
« Camarades qui manquez aujourd’hui à l’appel, votre souvenir restera profondément gravé dans nos mémoires et dans nos cœurs et cette modeste pierre où sont gravés vos noms rappellera votre sacrifice et dira à tous : « Ceux-là sont morts pour que vous viviez ».
« Vos familles qui ont tant pleuré, vos enfants privés de leur soutien seront l’objet de toute notre sollicitude, car nous n’oublierons pas que vous leur avez donné des droits sur nous.
« Et vous, mes chers enfants, quand vous passerez devant ce monument, ne restez pas indifférents, gardez une profonde et fidèle reconnaissance à ceux dont les noms sont ici.
« Votre jeune âge ne vous permet pas de vous faire une idée exacte de ce que cette modeste pierre représente de souffrances accumulées, de rêves évanouis, de vies brisées...
« Plus tard, vous comprendrez mieux. Mais dès maintenant, sachez bien que ceux qui ne sont plus et que nous glorifions aujourd’hui ont fait le sacrifice de leur vie avec le suprême espoir de vous éviter toutes les horreurs d’une nouvelle guerre. Ils ont voulu que vous puissiez vivre et travailler en paix. Sur le chemin de votre école, ce monument sera pour vous le symbole du sacrifice de vos aînés ; vous vous efforcerez de vous montrer dignes de leur dévouement ; et pour honorer leur mémoire, vous travaillerez, vous aussi, à faire triompher l’idée de paix entre les peuples.
« Vous contribuerez ainsi au relèvement et à la prospérité de notre chère patrie.
« Honneur aux enfants de Saint-Éman morts pour la France. »
M. Percheron termine en adressant ses remerciements à tous ceux qui ont assisté à la cérémonie.
M. Petit, président de la section des mutilés d’Illiers, évoque avec éloquence la mémoire de ses frères d’armes et dépose une palme du Souvenir. M. Maurice, conseiller d’arrondissement, lui succède.
M. Triballet, député, apporte ensuite son hommage aux victimes de la guerre et M. Bouvart, sénateur, après s’être incliné devant la pierre commémorative, dégage les enseignements de la guerre.
Par des chœurs patriotiques, les enfants de l’école, dirigés par Mme Hallouin, célèbrent les vertus héroïques de leurs aînés.
Les autorités reviennent alors à la mairie, signent le procès-verbal et, en compagnie des anciens combattants, lèvent leur verre à la victoire et à ceux qui en furent les glorieux artisans.
​
C’est alors que Mme Ratier-Hatton, mère de huit enfants, reçoit des mains de M. Bouvart la médaille d’honneur des familles nombreuses. Tandis que le président la félicite et lui donne l’accolade, l’assistance manifeste par ses bravos toute sa sympathie à l’égard de la brave mère de famille dont la vie de labeur et d’honnêteté est en ce jour si justement récompensée.
Enfin, M. le maire renouvelle ses remerciements à ses invités et à ceux qui ont travaillé à l’organisation de la cérémonie : le Conseil municipal, Mme Hallouin, institutrice ; Mlle Gouabault, secrétaire de la mairie ; MM. Brissard et Cochery, qui ont construit le monument du souvenir et M. Chasseriau qui l’a décoré de plantes et de fleurs.
(1) « L’Hymne aux Morts » de Victor Hugo :
Ci-dessous, les illustrations, partition et paroles du texte « L’Hymne aux Morts » récité par les deux petites filles de l’école de Saint-Éman, le 19 avril 1925, lors de l’inauguration du monument aux morts de la guerre 14-18 :
Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère ;
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau !
Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! Aux vaillants ! Aux forts !
A ceux qu’enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !
…
Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe,
En vain l’oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe,
Passe sur leur sépulture où nous nous inclinons ;
Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle,
La gloire, aube toute nouvelle,
Fais luire leur mémoire et redore leurs noms !
…
Victor Hugo