

Les registres d’appel journalier de l’école de Saint-Éman
Pendant les heures sombres de la seconde guerre mondiale 1939-1945, le cahier d’appel journalier de l’école avec ses motifs d’absence est le meilleur baromètre pour connaître les aléas de la vie dans un petit village comme Saint-Éman au fil des saisons entre travaux des champs, maladies et pénuries récurrentes.
Les registres des années scolaires de 1942 à 1947 de l’école primaire mixte dirigée par Madame Sani, puis par M. Brulard en sont de belles illustrations.

Nous espérons aussi qu’à travers ce texte, des enfants, et petits-enfants, ayant quitté le village de Saint-Éman, terre de leurs ancêtres, retrouveront dans ces écrits la trace de leurs parentés, en les imaginant en tenue d’écolier au temps de la guerre... Se les représenter à l’époque des tickets de rationnement et mobilisés comme de vrais petits soldats, dès le mois d’août 1942, dans la lutte contre les doryphores envahissant les champs de pommes de terre.

Année scolaire
1942-43
30 élèves étaient inscrits en cette rentrée scolaire 1942-1943. L’effectif des enfants représentait au total 18 familles prouvant l’importance des fratries dans la salle de classe. Il y avait souvent 3 à 4 enfants du même foyer comme les familles Bay, Choquet, Pichot, Taillandier.
L’institutrice Mme Sani avait son petit garçon Claude en classe.

Quand on regarde le plan d’origine de la classe établi en 1882, on voit que la classe était prévue pour 24 élèves… cela explique que parfois des élèves ne pouvaient être accueillis faute de place… comme Fernande Mauduit, et Gisèle Ridet en novembre 1943.

À partir de décembre, les mois d’hiver amènent leur lot récurrent de maladie. Les motifs de grippe, otite, rhume, diarrhée, bronchite, laryngite, rougeole, angine… de « toux opiniâtre », sans oublier les « bobos » qui sont nombreux. Avec la neige et la boue, d’autres absences font prendre conscience de la pauvreté de certains villageois, des enfants ne pouvant venir à l’école au motif : « pas de chaussures » (*).
(*) NDLR : A la rentrée scolaire, en octobre 1945, 6 enfants de la même famille manqueront une demi-journée pour « achat de galoches ».
Par contre certaines absences ne s’expliquent pas… l’institutrice, incrédule et empreinte de scepticisme, se voit contrainte d’inscrire dans le cahier d’appel une explication qui n’est pas une bonne excuse en soi… « paresse » « sans raison (parents à la maison) », « négligence des parents »... et aussi avec un brin d’ironie bienveillante « fatigué » !
En avril-mai 1943, on enregistre à l’école de Saint-Éman une épidémie de rougeole. 14 enfants l’ont attrapée et certains ont manqué les cours pendant un mois.


Année scolaire
1943-44
Année scolaire
1943-44
La rentrée des classes 1943-1944 se fait avec un premier effectif de 34 élèves qui va sérieusement augmenter le mois suivant.
En novembre 1943, l’école mixte de Saint-Éman accueillait jusqu’à 43 élèves avec les enfants Desmets Huguette et Nelly inscrites en fin de liste, à la dernière minute.

Le mois suivant, les enfants Bordy Albert et Simone quitteront l’école, déménageant à Levallois, et Félicien Pommier fera son entrée dans l’effectif. Il habitait la ferme de Crasnes sur la commune d’Illiers exploitée par son père Clotaire Pommier.
À chaque rentrée scolaire, en octobre, un grand nombre d’écoliers manquaient toutefois l’école pour « travaux aux champs », « aide son père », « battage, déchaumage, labours », et aussi « garde les vaches ».

En avril 1944, une nouvelle épidémie frappe l’école, il ne s’agit plus de la rougeole mais de varicelle. 8 élèves sont absents, chacun une quinzaine de jours. Un cas de gale est également signalé.
En cours d’année, des élèves qui atteignaient 14 ans, âge de fin de scolarité obligatoire, quittaient l’école dès le jour de leur anniversaire, sans demander leur reste.

Année scolaire
1944-45
Les feuilles du cahier d’appel pour cette année scolaire ne figurent pas dans le registre.

Année scolaire
1945-46
37 élèves étaient inscrits à la rentrée scolaire 1945-1946. Les cours sont suivis avec beaucoup plus d’assiduité, la fin de la guerre 1939-1945 y est certainement pour quelque chose… Le cahier d’appel mentionne peu d’absences.

Par contre en janvier 1946, on constatait dans l’école une véritable hécatombe avec une épidémie de coqueluche qui touchait 27 élèves, la feuille du mois de janvier était jonchée de petites croix rouges. Une dizaine d’enfants au mois de février n’auront pas encore repris l’école. Une autre particularité distingue cette page de janvier 1946, c’est la météo du jour qui fait son apparition, portée en bas du tableau.
Nous savons ainsi qu’il y a eu un grand froid au cours de la première quinzaine du mois suivi de chutes de neige. À partir du samedi 26 janvier le vent a soufflé plusieurs jours annonçant la tempête du 1er février accompagnée de chutes de grêlons.
Le vendredi 1er mars, et pour deux jours, l’école de Saint-Éman est fermée : « Abondante chute de neige contraignant les enfants à rester chez eux. Routes impraticables ».
En mars 1946 : Saint-Éman, les enfants du cours préparatoire à la fin d’études

La page du registre daté de mars 1946 offre l’avantage par son détail, de connaître la répartition des élèves au sein même de la classe. Nous savons ainsi que l’école accueillait 38 écoliers répartis en 5 niveaux : CP1 avec 7 enfants, CP2 avec 7, CE avec 13, CM avec 7, et 4 élèves en FE (Fin d’Études). On imagine les prouesses des enseignants et leur capacité d’adaptation à satisfaire les différentes attentes pédagogiques de ces nombreux enfants qui souffraient aussi d’une certaine promiscuité dans une classe prévue, rappelons-le, pour 24 écoliers.
Et le mois suivant, en avril 1946, l’effectif était porté à 43 élèves avec notamment l’arrivée des enfants Guet, et deux autres du village de Saint-Éman âgés de 6 ans, admissibles à l’école obligatoire.


Année scolaire
1946-47
M. Brulard était en charge de la direction de l’école primaire de Saint-Éman. L’effectif était toujours aussi important et comptait 41 élèves. Le cahier d’appel de l’époque confirme une fréquentation plus régulière de l’école, l’assiduité se confirme, les absences se raréfient. En février 1947, malgré la chute de neige, les lecteurs que nous sommes, bien installés dans le confort et les progrès du XXIe siècle, ont du mal à imaginer qu’à cette époque encore des enfants ne pouvaient pas se rendre à l’école « faute de chaussures ». De ce fait, une dizaine d’enfants n’avaient pu suivre les cours pendant toute la deuxième quinzaine de ce mois de février 1947.


