Au temps de la Révolution française, 1789
Saint-Éman devient Éman, un village sans paroisse
1789 : Dans l’esprit des villageois (*) de Saint-Éman l’événement qui allait marquer l’année ne devait pas être la prise de la Bastille, acte pourtant fondateur et symbolique de la République naissante. Les émeutes dans la capitale semblaient bien éloignées de leurs préoccupations quotidiennes et devaient leur parvenir en sourdine.
(*) NDLR : En 1790, le village comptait 78 habitants. Au début du siècle, 16 feux (le critère de l’époque) étaient recensés.
Par contre, trois mois auparavant, un événement fédérateur allait réunir tous les habitants ainsi que des personnalités des environs dans la petite église de Saint-Éman. Il s’agissait de l’inhumation d’Henry Barthélémy Marie Du Mouchet de la Mouchetière, le seigneur des lieux.
« L’an mil sept cent quatre vingt neuf le quinzième jour d’avril, est décédé au château, après avoir reçu les sacrements de pénitence, D’eucharistie, et D’extrême onction Messire Henry Barthélémy Du Mouchet de la Mouchetière âgé d’environ quatre vingt six ans en son vivant seigneur de cette paroisse, et a été inhumé le lendemain dans le cimmetière de cette paroisse…
Signé : Mtre Michel Simon Proust, bailly de la justice de cette Seigneurie ; M. Jean, Michel, Simon Proust, procureur fiscal de la même seigneurie ; de Lamyrault ; Tasset, curé de Méréglise ; Louidé, curé de Magny ; N. Boullie, curé de Nonvilliers ; Bichon, curé de Saint-Hilaire d’Illiers ; Lhermite, vicaire de Magny ; Suhard, vicaire de Saint-Hilaire ; Renault, curé des Châtelliers ; G. Piriou, curé de Saint-Éman et de tous les habitants de cette paroisse dont les uns ont signés avec nous, les autres ont déclarés ne pas savoir signer... »
À partir des actes de décès enregistrés sur la commune jusqu’en 1793, des statistiques révèlent que plus de 30 % de la mortalité concernaient des enfants de moins d’un an. L’espérance de vie n’était que de 35 ans, hors mortalité infantile (25 ans en intégrant cette dernière donnée).
Au temps de la Révolution française, Saint-Éman devient Éman, tout simplement mais pour quelque temps seulement... La décision avait été prise par le conseil municipal courant pluviôse de l’an 2 en application du décret du 16 octobre 1793, soit le 25 vendémiaire de l’an 2. Le village d’Éman passe de la souveraineté du royaume de France à celle du nouveau département de l’Eure et Loir, district de Chartres, canton d’Illiers en 1793.
Le redécoupage territorial qui résulte des décisions du nouveau régime politique, entre Monarchie constitutionnelle et Première République, a l’objectif affiché de réduire le nombre de communes évalué à 44 000 dans les archives parlementaires de l’époque. Elles seront chiffrées à 37 600 (*) en 1870 à la veille de la déclaration de guerre à la Prusse. Ainsi, dans une première vague, entre la proclamation de décembre 1789 et la fin du Consulat en 1804, de nombreux faubourgs et petites communes rurales allaient être supprimés dans les départements.
(*) NDLR : En 2021, sont recensées 34 836 communes en France métropolitaine.
Outre les villages, les paroisses allaient, elles aussi, subir de sombres coupes. En 1802-1803, nous ne comptions plus que 30 400 paroisses sur le territoire national. La ville d’Illiers, quant à elle, en comptait deux, la paroisse Saint-Jacques, côté Beauce, et celle de Saint-Hilaire, côté Perche, cette dernière sera désacralisée et détruite à la Révolution. Nous sommes loin du « Royaume aux 100 000 clochers » sur lesquels les rois de France s’enorgueillissaient de régner.
La paroisse de Saint-Éman est rattachée à celle des Châtelliers-Notre-Dame en 1803. Le curé, Guillaume Piriou, privé de paroisse, officiera désormais dans celle d’Ollé. Il était arrivé à la paroisse de Saint-Éman en mai 1787. Les années précédentes, il était vicaire à Neuvy-en-Dunois puis à Arrou. Il était originaire du diocèse de Quimper. Dans les archives paroissiales de Saint-Éman, les premiers actes signés de la main du curé Piriou sont datés du 18 mai 1787.
An VIII : la difficulté de trouver un citoyen maire pour « Éman », village républicain
Au début du XIXe siècle, concernant les affaires communales, Toussaint Rousseau (1749-1804), ancien garde-chasse, puis régisseur du domaine du comte Louis de Malart, est d’abord désigné agent municipal, signataire des actes d’état civil puis il est nommé maire du village par arrêté préfectoral, il décédera en 1804.
Les archives nous en apprennent un peu plus et nous précisent que Toussaint Rousseau est né le 4 février 1749 à Belhomert, et qu’il est décédé le 29 nivôse An XII (20 janvier 1804) à Saint-Éman. Il s’est d’abord marié avec Marie Françoise Avignon le 26 octobre 1773 à Saint-Éman, puis le 6 vendémiaire à Illiers avec Marthe Baudot. Il a été désigné agent municipal jusqu’au 30 prairial An VIII, puis maire, par arrêté préfectoral, jusqu’à son décès le 29 nivôse An XII. On apprend également dans un document daté du 9 messidor An VIII, voir ci-après, qu’il a été désigné en remplacement du citoyen Auger qui n’aurait pas accepté la charge !
Après le pouvoir séculaire des seigneurs des lieux, il semblait en effet difficile, pour la toute nouvelle et jeune République, de trouver des citoyens disposés à conduire les affaires des communes…
Il en va ainsi de la circulaire du 25 Floréal (*), an 8 de la république française, une et indivisible, adressée par le ministre de l’Intérieur aux Préfets qui rappelle le mode de nomination et d’installation des maires et des Conseils municipaux. Le texte insiste sur le fait que le passage d’une administration à l’autre ne doit donner lieu à aucune perte de papiers essentiels, dont les registres de naissances, décès, etc...
(*) NDLR : le 25 floréal an 8 correspond au 15 mai 1800, date à laquelle Napoléon Bonaparte traverse les Alpes et envahit l’Italie.
Le préfet a relayé la demande du Ministère. À Saint-Éman, le citoyen Rousseau, agent municipal, recevait cette missive datée du 9 thermidor, an VIII (28 juillet 1800)…
Je vous invite à me désigner dix citoyens domiciliés dans votre commune, et à en porter les noms dans le tableau joint.
Il n’est pas nécessaire de vous observer que vous devez me désigner que des citoyens qui par leurs lumières et leur probité soient dans le cas d’inspirer la confiance.
Les candidats ne semblaient pas se bousculer… malgré le porte-à-porte de l’agent municipal, les vocations étaient ténues… Ce constat se vérifiait dans un grand nombre de villages du département. Pour preuve, l’impatience du ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte, frère de Napoléon Bonaparte, qui prend la plume, le 4 fructidor de l’an VIII (22 août 1800), pour « secouer » le préfet du département, le citoyen Jean-François-Marie Delaistre, baron Delaître.
Au style du courrier, on devine le courroux et l’impatience du Ministre, qui a du sang bonapartiste !
Je ne puis m’expliquer, citoyen Préfet, le retard que vous apportez à la nomination des Maires de votre département. Comment l’administration peut-elle marcher avec le mélange incohérent de l’ancien régime et du nouveau ! Et comment des fonctionnaires dont l’existence n’est que provisoire, pourraient-ils faire exécuter les lois ! …
J’espère que d’ici au 15 du mois vous m’annoncerez que toutes vos nominations sont terminées...
Je vous salue.
L. Bonaparte
Pour Éman, nouveau village républicain, le préfet a fait remonter au Ministère, une liste où l’on trouve Auger Pierre, en qualité de Maire, avec les conseillers : Onillon Vincent, Auger Vincent, Lepage Jean, Lepage Nicolas, Fauquet Louis, David Pierre, Vivier louis, Onillon Thomas, Laye Cheron.
Mais Pierre Auger, après réflexion, a dû penser que « sa lumière et sa probité n’étaient pas de nature à inspirer la confiance ! ».
Dans une mise à jour dans la nomination des maires du département, le préfet informe que le « maire de la municipalité de St Éman est le citoyen Rousseau, ex. agent municipal, demeurant au dit lieu, en remplacement du citoyen Auger non acceptant ».
Le châtelain, Louis François Alexandre de Malart (1774-1858) reprendra les rênes, le 20 janvier 1804, comme « au bon vieux temps ». Il présidera ensuite à la destinée du village jusqu’en 1837.
Dans le village de Saint-Éman, des petits cultivateurs, des besogneux devaient penser que Révolution ou pas il n’y avait, tout compte-fait, rien de changé... se remémorant la caricature de l’Ancien Régime : Le paysan portant sur son dos un prélat et un noble « a faut esperé q’eu s’jeu la finira ben tôt ! ».
Pour mémoire, Louis de Malart avait épousé en 1801, Marie Madeleine du Mouchet issue d’une longue lignée de seigneurs des domaines de la Mouchetière et de Saint-Éman. Après avoir perdu sa paroisse, le maire allait devoir batailler, entre autres, avec l’instauration du cadastre, une nouvelle révolution administrative et fiscale rompant avec les « us et coutumes » d’antan.
Une loi de mars 1790 avait donné une nouvelle définition de la taxation fiscale des communes. Devant le peu d’empressement des représentants locaux à donner des détails sur leur territoire et sur leurs contribuables, de nouveaux décrets leur enjoignaient de dresser un tableau détaillé des ressources et de lever un plan des parcelles. Le coût des opérations apparut exorbitant aux petits villages ruraux. Devant les nombreux retards, Bonaparte, Premier Consul, bouscula les choses par un arrêté en 1802, qui lui permit, dans un premier temps, de tirer au sort 1 800 communes par an qui devront d’autorité se soumettre à la mise en place du cadastre. Le territoire des municipalités allait être arpenté… et les échanges fonciers correctement notariés et fiscalisés. Le tour du village de Saint-Éman viendra… le 27 avril 1823.
À l’occasion de ces opérations, le pouvoir central poussa à la fusion préalable des petites communes sous le prétexte, entre autres, de prévenir et de limiter les coûts leur incombant pour la mise en conformité cadastrale et le recouvrement des taxes foncières.
Jacques Thomas Onillon, agriculteur au Grand-Bois-Barreau, devenu maire en 1837, va livrer une véritable bataille pour « préserver l’identité et sauver l’âme de son village », un leitmotiv pour les maires qui se succéderont jusqu’au XXIe siècle…